lundi 16 mai 2016

Orfeoscar de la meilleure actrice 1971


J'avais cet article en projet depuis ma rétrospective 1971 de l'année dernière, mais j'ai beaucoup tardé tant les problèmes étaient difficiles à résoudre. En effet, dans quelle catégorie classer Lynn Carlin? Et comment départager une bonne dizaine de candidates toutes plus méritantes les unes que les autres? Concernant la première question, j'ai finalement décidé après revisite de classer la comédienne comme second rôle: le couple qu'elle forme avec Buck Henry est en quelque sorte le moteur du film parce qu'il fallait bien sortir une famille du lot afin d'illustrer le conflit de générations, mais dans les faits, ils ne sont que des silhouettes noyées dans un propos plus général, et l'actrice n'est plus qu'une adulte parmi tant d'autres dans la seconde partie, sachant qu'elle est également absente des recherches dans la ville lors d'un premier acte entrecoupé de numéros musicaux. On peut alors l'imaginer comme premier rôle si l'on considère que Taking Off est avant tout l'histoire d'une famille, mais on peut tout aussi légitimement la nommer comme second rôle en fonction de la structure du film et de son point de vue très choral. Son temps d'écran est si minime que je choisis la seconde option. Quant à la seconde question, poursuivons l'aventure plus avant si vous le voulez bien! Les cinq finalistes de l'année sont donc:


5. Jessica Walter dans
Play Misty for Me

Qui l'eût cru? Me voilà en train de nommer un personnage de psychopathe tout droit sorti d'un film de Clint Eastwood des années 1970! Eh bien oui: la performance de Jessica Walter reste l'une des plus séduisantes de l'année, et je la fais passer avec grand plaisir devant des rôles légendaires dans des films de prestige. La principale raison, c'est que son interprétation est si bien dosée qu'elle fonctionne quelle que soit la lecture qu'on veuille faire du film. Si comme moi vous le considérez davantage comme une comédie (une histoire où un personnage lacéré de coups de couteau plaisante à propos du ménage sur sa civière est à mon avis un sommet d'humour noir), alors la performance de Jessica est l'une des choses les plus drôles qui soient: sa façon de se moquer des narines de Clint Eastwood, sa manière de questionner sa virilité en hurlant qu'il est un mauvais coup avec force grimaces hilarantes, sa maîtrise parfaite du second degré (c'est fou ce qu'un homme ferait pour une tarte aux pommes), ses sourires de petite fille excitée dans le premier acte... Tout est à hurler de rire, jusqu'à ses grimaces affolées dans le taxi (I love you!). Mais si vous préférez voir le film sous un angle tragique, tout fonctionne également à merveille: les sourires de petite fille deviennent pathétiques, les insultes envers la productrice peuvent aussi bien faire rire que mettre mal à l'aise tant elle sont déplacées, les menaces envers la fiancée ont quelque chose de réellement terrifiant et les scènes de colère soulignent parfaitement qu'Evelyn aurait besoin d'un psychiatre, sans qu'on ait besoin de nous prendre par les sentiments à partir d'un quelconque drame passé qui l'aurait mise dans cet état. En fonctionnant aussi bien sur les deux tableaux, cette interprétation dépasse de très loin ce qu'a pu faire Glenn Close dans son navet horrifiant, et Evelyn Draper devient l'un des personnages les plus mythiques de l'histoire de la psychopathie au cinéma.


4. Mari Törőcsik dans
Szerelem (Amour)

L'une des raisons pour lesquelles j'ai autant tardé à poster l'article, c'est que je voulais absolument mettre la main sur Szerelem, l'un des chefs-d’œuvre européens porté par deux actrices légendaires (Lili Darvas), dont celle qui incarne le mieux l'âge d'or du cinéma hongrois: Mari Törőcsik. Sa prestation dans Amour me donne une furieuse envie de découvrir tous ses autres rôles, en particulier celui qui lui valut une palme à Cannes. Le plus intéressant, c'est qu'il ne se passe pas grand chose dans le film: c'est avant tout un dialogue en huis clos puisque l'une des dames est clouée au lit, et la performance de Mari Törőcsik passe avant tout par le dialogue, puisqu'elle doit inventer des histoires à la vieille dame afin que celle-ci ne soupçonne pas ce qui est vraiment arrivé à son fils et puisse partir en paix. Pour ce faire, l'actrice use d'un jeu très sobre où son calme est impressionnant: on la sent immédiatement bienveillante dès son apparition via ses sourires et sa volonté d'aider, mais son dévouement ne masque jamais une très forte personnalité qui fait tout le charme du personnage. Ainsi, un léger agacement est perceptible par moments puisque le mensonge l'affecte finalement plus encore que la vieille dame; plus loin, une main sur le visage fait ressentir en un geste l'abattement d'une héroïne épuisée par les drames passés et la situation actuelle; et c'est dont tout naturellement qu'on la voit craquer au beau milieu de l'histoire. En fait, elle dynamise le film à elle seule en nuançant parfaitement ses émotions afin qu'on ne s'ennuie jamais dans cette chambre, et ça reste un bel exploit puisque sa performance couvre à la fois la dimension banale d'un film mis en scène à travers son dialogue et les détails du quotidien, et la dimension politique tragique prégnante dès qu'on s'évade du lieu principal. C'est peut-être un tout petit peu trop subtil pour moi, mais ça reste une interprétation exceptionnelle.


3. Glenda Jackson dans
Sunday Bloody Sunday

Seigneur! Une Glenda Jackson enfin plus vulnérable qu'à l'accoutumée? Vite, profitons-en, car ce n'est pas quelque chose qu'on reverra de sitôt! En effet, j'ai toujours eu beaucoup de mal à aimer Glenda Jackson autant que ses collègues des années 1970 parce qu'elle s'est toujours présentée d'un film à l'autre sous le même profil, celui d'une femme charismatique jusqu'à l’écœurement à qui la nuance semble systématiquement inconnue avant les cinq dernières minutes, où les personnages se mettent enfin à être tristes ou à douter d'eux-mêmes. Or, c'est tout l'inverse ici, non qu'elle ne soit pas charismatique (elle l'est absolument!), mais parce qu'elle apporte une bonne dose de doute et de tristesse contenue d'entrée de jeu, compte tenu de la situation atypique captivante qui la voit partager son amant avec un médecin de ses connaissances. Elle ajoute notamment beaucoup d'inquiétude et de nervosité dès les premières minutes lorsqu'elle appelle la famille de son amant, elle se montre heureuse en toute simplicité une fois qu'elle se retrouve avec lui, et ses regards sont encore très beaux alors qu'elle se contente de lui prendre la main sur un air d'opéra. A son actif encore, Jackson ajoute une bonne dose d'ironie afin d'enrichir cette situation compliquée, comme lorsqu'elle avoue à son partenaire qu'elle sait où il va ("Have fun with"... mais il est déjà parti), ou à travers l'humour dont elle fait preuve avec le chien ou les enfants. A la fin, sa performance devient peut-être légèrement rébarbative, mais de la part de Glenda Jackson, l'innovation est à saluer mille fois et son inquiétude, sa déception et sa colère sont si bien jouées que la victoire serait tout à fait envisageable. Sans compter que sa rencontre avec son rival a lieu de façon si adulte qu'on ne pourra que féliciter l'actrice d'apporter de la nuance et de la complexité jusqu'à la dernière seconde.


2. Vanessa Redgrave dans
The Devils

Il m'est absolument impossible de me décider entre mes deux dernières finalistes, mais disons que j'ai davantage de goût pour la sobriété. Vanessa Redgrave s'arrête alors à la deuxième place aujourd'hui, mais je ne garantis pas qu'elle ne montera pas sur la première marche dans quelques temps. Il faut dire que son interprétation est fascinante, et étonnamment en phase avec le style outré de Ken Russell. Son plus bel exploit: s'arrêter toujours au bon moment afin de glisser avec justesse sur l'intrigue entière. Ainsi, son rire nerveux de l'introduction est immédiatement tempéré par un mélange de sérieux et de dépit alors qu'elle sermonne les religieuses; sa façon de caresser toute une panoplie de symboles phalliques, des clefs aux miroirs, est jouée avec un naturel impressionnant qui n'appuie pas trop lourdement le pouvoir de suggestion de l'image; son trouble et son excitation devant Grandier sont certes très expressifs mais c'est constamment crédible, et lorsqu'elle tente de s'arracher sa bosse après une rêverie érotique, il y a une fois de plus quelque chose de très vrai dans l'excès. En fait, Vanessa Redgrave fait en sorte que Mère Jeanne des Anges ne soit jamais une caricature malgré les outrances du scénario, et l'on sent systématiquement qu'elle est avant tout une vraie femme blessée, dépitée d'être dans un couvent contre son gré. A ce titre, les dialogues avec Gemma Jones sont particulièrement savoureux: dans le premier, son rire jaune alors qu'elle parle de sa vocation en dit plus long sur le personnage que mille répliques, et dans le second, sa violence est assez pathétique pour qu'on ait envie de la plaindre. Surtout que cette violence est immédiatement suivie d'une scène de déception où elle croit que Grandier l'appelle alors qu'elle se trouve devant un autre prêtre: tout est extrêmement crédible, et sa façon de préparer une vengeance tout en mêlant exaltation et gravité fait de la scène en question l'une des plus complexes du film. Cette performance reste alors particulièrement expressive, et ce jusque dans une dimension physique puisque l'actrice penche toujours la tête sur le côté et va jusqu'à se torturer les mains avec un crucifix, mais tout reste constamment crédible malgré l'excès. A vrai dire, je préfère même cette version du personnage à celle de Lucyna Winnicka dix ans auparavant, les tortures que s'inflige Redgrave ayant quelque chose d'incroyablement jouissif qui me font grandement hésiter à la classer première.


1. Julie Christie dans
McCabe and Mrs. Miller

Mais voilà, Julie Christie dans ce western atypique qu'est McCabe and Mrs. Miller donne l'une des performances les plus sublimes que j'aie pu voir à l'écran, et à présent que je connais assez bien l'actrice, je suis convaincu qu'il s'agit là de son plus grand rôle. Vanessa Redgrave a ainsi d'autres chances de remporter une statuette, mais Julie Christie atteint ici son pic absolu et c'est bien pour ce film que je tiens à la récompenser. Ce qui me touche par-dessus tout, c'est que la part de composition m'impressionne davantage ici que dans les rôles peut-être plus iconiques de l'actrice: bien que très différentes, sa lumineuse Lara et sa frivole Diana de 1965 ont quelque chose de très "christien" en elles, mais l'équilibre me semble vraiment merveilleux chez Constance Miller, un personnage effectivement très bien dosé entre personnalité d'une actrice qui ne s'efface pas derrière le rôle et interprétation d'une héroïne au langage rude et au comportement assuré. Le point d'orgue d'une telle performance? Toute prostituée soit-elle, Mrs. Miller n'évoque jamais rien de vulgaire (je suis amplement d'accord avec l'Anonyme au cœur fidèle sur ce point!) ce qui explique pourquoi elle me semble sublime à plus d'un égard, et c'est d'ailleurs un bon choix puisque la dame prétend se hisser dans la société en étant à présent la patronne de sa maison close: il faut donc qu'on la sente assez ferme pour s'imposer dans un univers masculin, mais aussi assez magique pour continuer d'attirer une clientèle. Il en va d'ailleurs de même dans sa relation avec Warren Beatty: elle n'hésite aucunement à marchander avec lui, mais elle le regarde aussi avec assez de tendresse pour bien faire sentir qu'il y a de véritables sentiments et une vraie personnalité attachante sous la façade de dureté qu'elle s'impose devant autrui. Le même balancement s'opère avec ses employées, notamment Shelley Duvall qu'elle sait rassurer de façon chaleureuse lors de sa première fois, tout en faisant preuve d'assez de fermeté pour rappeler qui est la patronne. Mais le plus beau dans tout ça, c'est peut-être cette séquence dans le lit où elle regarde McCabe avec un sourire prêt à attiser son désir, avant de se mettre à pouffer sous la couverture comme une petite fille: on sent vraiment qu'il y a du vécu et de la complexité chez cette héroïne. La tristesse qui s'empare d'elle dans ce monde isolé et son addiction à l'opium, jouée de façon extrêmement naturelle où rien n'est appuyé, finissent quant à elles de brosser un portrait haut en couleur du personnage, et le tout forme assurément ma performance préférée de l'année.


Orfeoscar winner Julie Christie!


Voilà pour les résultats. Aujourd'hui, nous disons Julie Christie, mais ça reste très serré avec Vanessa Redgrave, sans compter que j'aimerais beaucoup récompenser The Devils dans l'une des catégories principales. Que faire? Il est difficile de trancher, mais ça confirme que 1971 reste une année passionnante, qui vaut bien mieux que l'image de laideur qu'on a souvent de cette décennie obscure. J'hésite également à intervertir les places de Glenda Jackson et Mari Törőcsik, mais ne connaissant pas encore assez bien la seconde, la "surprise" de la première me fait plus d'effet dans l'immédiat et je conserve l'ordre actuel. Enfin, si je devais établir un top 10 des performances de l'année, je me dirigerais en priorité vers... Kitty Winn dans The Panic in Needle Park, parce qu'elle souligne très bien la déchéance de son personnage, depuis la jeune fille sage du début à la droguée, tout en faisant très bien sentir la sensation de manque sur son joli visage triste. Il est d'ailleurs très dommage qu'elle n'ait pas fait plus de cinéma. Viendrait ensuite Susan George dans Straw Dogs, parce que même si elle hérite de la séquence la plus nauséabonde de l'année (elle embrasse de plein gré son violeur et semble même prendre un certain plaisir à la violence qu'elle subit), ça ne l'empêche pas de livrer une excellente prestation où la jeune femme dynamique et enjouée du début devient peu à peu traumatisée par tout ce qui lui arrive, sans pour autant perdre de son répondant bien que le dernier acte ne lui appartienne plus. Suivraient enfin Liv Ullmann dans Utvandrarna, pour une performance très calme mais toujours intense qui méritera tout de même une seconde visite quand le film circulera à nouveau; et Janet Suzman dans Nicholas and Alexandra, parce que même si dotée du cliché habituel de l'épouse souffrante et dévouée, elle donne à son impératrice une vraie force de caractère et montre surtout à quel point la souveraine croit à ses convictions. C'est une performance bien plus riche dans le détail que ce qu'on pourrait croire de prime abord, et j'ai prévu d'écrire un article à ce sujet. Croisons les doigts pour que je m'y tienne! Enfin, j'attribuerais la dixième place à Glenda Jackson pour Mary, Queen of Scots, parce que tout en restant dans sa zone de confort jacksonienne, c'est toujours un plaisir que de voir la dame suinter de charisme par tous ses pores, dans un rôle royal qui plus est. Dommage que la nuance, à savoir un peu de larmes et d'inquiétude, n'apparaisse que dans les cinq dernières minutes.

Parmi les autres performances dignes voire très dignes d'intérêt pour les trois premières, citons... Vanessa Redgrave dans Mary, Queen of Scots, un film où elle reste un peu brouillonne dans la première partie avant de reprendre du poil de la bête et dominer Glenda Jackson lors de leurs deux confrontations. Geraldine Page dans The Beguiled, parce qu'elle est idéalement distribuée en matriarche castratrice qui vampirise aussi bien ce pauvre Clint Eastwood que toute une maisonnée de jeunes filles en mal d'amour, dont Elizabeth Hartman. Je ne cache pas ma hâte de voir ce que Sofia Coppola fera du remake avec Nicole Kidman et Kirsten Dunst, en espérant que ce projet pourra faire revenir les deux actrices sur le devant de la scène! Jane Fonda dans Klute, un film qui vaut mieux que l'impression initiale ennuyeuse, où l'actrice réussit l'exploit d'être aussi horrifiante que magnifique. Horrifiante parce qu'elle abuse de cette affreuse Méthode qui n'a d'autre effet que de révéler ses limites à mesure qu'elle agite les mains pour rentrer dans le personnage, magnifique parce qu'elle arrive malgré tout à brosser un très bon portrait psychologique d'une prostituée un peu perdue qui tient quand même à avancer. Lili Darvas dans Szerelem, parce que même si elle reste principalement couchée, la part de composition est indéniable. Diana Rigg dans The Hospital, pour une performance très charismatique qui me touche cependant peu. Ruth Gordon dans Harold and Maude, parce qu'elle est sympathique comme tout et s'élève au-dessus de cet horrible film atrocement daté. Shirley MacLaine dans Desperate Characters, parce qu'elle souligne bien la morosité qui pèse sur les épaules de son personnage. Gena Rowlands dans Minnie and Moskowitz, un film trop ostensiblement "indépendant" pour me plaire, mais où l'actrice est comme toujours irréprochable. Simone Signoret dans Le Chat, un film déprimant où elle est sèche de dépit, comme il se doit. Verna Bloom dans The Hired Hand, où son sérieux impressionne dans une certaine mesure. Et pour conclure Barbara Loden dans Wanda, un film apparemment éligible hors festivals en 1971, bien trop amateur pour me séduire mais où la part de composition reste intéressante. Pour les performances qui ne méritent pas à mon sens de sortir du lot, vous pouvez vous reporter à l'inventaire tout juste mis à jour.

2 commentaires:

  1. J'ai découvert hier Les Lèvres rouges (1971) avec Delphine Seyrig. Je déteste en général les films de vampire (surtout les films de vampires lesbiens ... ça a vraiment un côté exploitation cheap) mais là ... chapeau pour la direction artistique et la mise en scène. Delphine Seyrig(en anglais) est absolument fascinante, un grand numéro à voir, je pense, même si le charisme et les dialogues font la moitié de la performance elle-même.

    J'ai revu, après lecture de ton article, Frissons dans la nuit et je n'arrive pas à me décider entre comique et tragique pour le performance de Walter. J'ai vraiment eu des fous rires ! Content de la voir dans ta sélection, de toute manière.

    L'AACF

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    1. Je n'avais jamais entendu parler des Lèvres rouges alors, une fois de plus, merci pour la suggestion! Je suis encore peu familier de Delphine Seyrig mais elle me captive déjà: si Marienbad me sort par les yeux, Nouvelle Vague oblige, sa voix aristocratique est divine dans Le Charme discret, et elle éclipse tout le monde dans Peau d'âne (ce qui n'est pas très difficile puisque Deneuve se fait elle-même voler la vedette par un poussin). J'attends donc de la découvrir en vampire lesbienne, ainsi que dans Muriel, Jeanne Dielman et autres si tu as des titres à me proposer. Mais cette voix, vraiment!

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