samedi 3 décembre 2016

L'Empire du soleil (1987)


Autre film de 1987 situé en Chine en pleine guerre mondiale, voici Empire of the Sun, une œuvre du bien connu Steven Spielberg adaptée d'un roman semi-autobiographique de James Graham Ballard, à propos d'un enfant d'une dizaine d'année séparé de ses parents dans une Shanghai occupée. Les intellectuels vous diront que c'est l'un des films "sérieux" du réalisateur, par opposition à son cinéma de divertissement de type Indiana Jones, nous rappelant par-là même que Spielberg a souvent été critiqué pour son regard apparemment trop enfantin sur le monde.

Un tel regard se retrouve forcément dans Empire of the Sun, puisque la guerre est exclusivement perçue à travers les yeux du jeune héros. C'est à la fois joli et par moments ridicule. Joli, parce que la métaphore de l'âme montant au ciel, confondue avec le bombardement atomique de Nagasaki, réussit le tour de force de donner une touche de poésie à l'atroce le plus insoutenable. Ridicule, parce que certaines séquences sonnent faux, à l'image du bombardement du camp de prisonniers, où Jamie regarde la scène, émerveillé, en restant sur le toit pour mieux crier d'excitation sans jamais se soucier du risque. On peut également être gêné par le côté trop ostensiblement aventurier de la vie de camp, puisque une fois le transfert effectué, Jamie court sur une musique épique et agréable de John Williams pour faire du trafic de marchandises, comme si le camp était un terrain de jeu, tandis que les femmes font la lessive comme dans une communauté villageoise particulièrement paisible. Cet aspect est heureusement balancé par une dureté non feinte, passant par la ruse de certains soldats japonais qui font d'abord semblant de garder leur calme pour mieux donner des coups à la surprise générale. Tout de même, ce camp de prisonniers s'apparente trop souvent au village d'Heidi, et pas assez à un film comme Three Came Home. Mais, répétons-le, nous sommes censés voir la cruauté du siècle à travers les yeux d'un enfant de onze ans, si bien que le forçage de trait n'arrive jamais à me déranger totalement. Les critiques ont souvent comparé le film avec Hope and Glory de John Boorman, sorti la même année, dont je ne me souviens hélas plus mais qui a meilleure presse.

Quoi qu'il en soit, même si l'on a beaucoup de mal à croire à certains pans du film, ça ne l'empêche jamais de faire son petit effet. Et force est d'admettre que Steven Spielberg est extrêmement doué pour tout ce qui est de la forme: la tension indicible est toujours prenante, avec notamment une scène de foule spectaculaire où les habitants de Shanghai tentent de gagner le port en catastrophe, scène qui déclenche d'ailleurs l'histoire puisque c'est à partir de là que Jamie se retrouvera livré à lui-même. Avant ça, le contraste entre guerre et bal costumé est franchement saisissant: les invités de la haute société britannique avancent difficilement, déguisés, dans les rues de la ville, alors que les couleurs de leurs vêtements tranchent avec la grisaille et l'angoisse sourde des alentours. Le travail sur l'image est dans tous les cas extraordinaire: les empreintes de pieds dans la maison désertée, le panneau gigantesque d'Autant en emporte le vent, révélant Jamie devant le chaos de la guerre de Sécession dans une Atlanta en flamme, le fascinant amphithéâtre où sont entreposées toutes les richesses des Occidentaux saisies par les Japonais... Voilà autant de trouvailles marquantes qui sont en outre éblouissantes. Il faut dire que Spielberg est bien aidé par la photographie d'Allen Daviau, avec tous ces jeux sur le soleil levant, et surtout la séquence des étincelles qui met si bien en valeur l'avion qui fascine tant le héros. Le motif de l'avion est d'ailleurs très bien exploité tout au long du film, depuis le jouet dont Jamie ne veut jamais se séparer, aux avions de guerre au destin terrible: tout est toujours lié d'un point de vue narratif, et tant mieux.

Finalement, le seul bémol du film, c'est peut-être l'interprétation. Le héros est hélas insupportable sur le papier, à toujours parler sèchement à ses domestiques au départ, puis à toujours se mêler de ce qui ne le regarde pas, et Christian Bale ne parvient pas à faire ressortir en lui un once de sympathie: il hurle, il s'excite pour un rien, ce qui est peut-être la réaction normale d'un enfant de onze ans perdu en plein conflit, mais sa performance m'agace malgré tout. A ses côtés, John Malkovich incarne l'archétype du mentor viril et débrouillard cher à l'univers toujours très masculin de Spielberg, mais le personnage est si manipulateur qu'on a évidemment du mal à s'attacher à lui. Après, je sais que j'ai toujours du mal à apprécier des protagonistes dans des histoires trop masculines, aussi le problème vient-il, peut-être, de mon ressenti. J'imagine fort bien que la complicité qui se noue entre Basie et Jamie doit parler davantage à tous les garçons plus virils que moi, et je suppose que la fameuse scène où le héros salue les soldats qui l'intriguent, mais qui le retiennent prisonnier, doit faire plaisir à plus d'un. Par bonheur, Empire of the Sun comporte un personnage féminin marquant, incarné par la toujours captivante Miranda Richardson, qui garde beaucoup de personnalité malgré l'extrême inconfort qu'elle subit de plein fouet. Dommage qu'Emily Richard soit en retour coincée dans un rôle typique de mère inquiète, uniquement définie par sa capacité à rester dans l'ombre d'un fils et d'un mari plus actifs, malgré une scène finale très émouvante.

Moralité: L'Empire du soleil est excellent sur la forme, pour sa photographie à tomber par terre, ses choix de réalisation ingénieux et ses motifs toujours au service de la narration. Parfois, le regard "enfantin" est un peu maladroit, et les personnages me touchent peu, mais quand on atteint ce niveau de perfection dans l'image et la montée en tension, il n'y a qu'à s'incliner. Un bon 7/10 est plus que mérité, ne serait-ce que pour l'excellent usage du son fait à partir d'une version hypnotique de Suo Gân, qui illustre le film dans son ensemble, donnant la coloration poétique et enfantine recherchée à ces événements tragiques.

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