samedi 27 juin 2020

Les Derniers Tsars

Coucou!


Je profite d'avoir accès à Netflix pour explorer plus avant leur catalogue, avec cette semaine une série américaine de 2019 traitant du règne de Nicolas II (1894-1917). C'est une période de l'Histoire qui me fascine depuis tout petit: quand mes parents ont divorcé, mon père a gardé la biographie de Raspoutine, ma mère celle du tsar, et j'adorais me faire peur en feuilletant les photographies du starets au regard perçant. Plus tard, je me suis entiché de son assassin, le séduisant Félix Youssoupoff, et ma passion pour le grand écran m'a fait croiser l'incontournable Anastasia à plusieurs reprises, à travers les différents portraits de son usurpatrice Anna Anderson. J'étais donc tout à fait disposé à découvrir une série de six heures sur toutes ces questions.


Malheureusement, plusieurs éléments ont contribué à me faire sortir de la narration dès les premières minutes. Déjà, le choix d'une actrice blonde pour incarner Alexandra. Je n'ai aucune sympathie pour la tsarine, et je fais rarement la fine bouche devant des interprètes photogéniques qui se doivent d'exercer un pouvoir de séduction devant la caméra, mais cette fois-ci la blondeur de la comédienne m'a franchement perturbé tout du long. Sans doute parce que j'avais vu trop de clichés de la véritable impératrice auparavant: une Janet Suzman rousse, mais au moins coiffée à la mode de l'époque, et n'affichant pas un corps de top model dans tout le palais d'Hiver, était nettement plus convaincante jadis, au moins sur le plan physique. Chez les Derniers Tsars, l'acteur incarnant Nicolas est quant à lui beaucoup trop sexy par rapport à son illustre personnage, mais il a au moins le mérite d'être passablement crédible dans son allure, ce qui renforce le sentiment qu'Alexandra détonne dans ces décors somptueux.


Autre surprise, et pas des plus agréables: découvrir au bout de quelques minutes que la série n'est pas une fiction à proprement parler, mais une docu-fiction avec apparitions d'historiennes et de professeurs d'université pour commenter les événements joués à l'écran. Là, c'est ma faute. C'est ma très grande faute. J'aurais dû me renseigner avant de cliquer sur la vidéo, mais dès que j'ai vu quelque chose intitulé Les Derniers Tsars, je me suis précipité sans me poser aucune question! Parfois, les commentaires sont pertinents, mais de fausses notes assez énormes viennent entacher le sérieux du propos: l'image du mausolée de Lénine avant la Révolution, ou les signes de croix catholiques, ne sont pas des plus heureuses. Par ailleurs, le mélodrame incongru impliquant le précepteur des enfants, Pierre Gilliard, et sa protégée Anastasia, tourne rapidement au grotesque: filmées de manière sirupeuse avec mains qui se séparent dans la tourmente et visages figés par des cris, les scènes en question font le plus mauvais effet. En outre, la fixation que fait le précepteur, et par ricochet le récit, sur la seule Anastasia, n'est pas du meilleur goût: si les autres cadets ont au moins droit à un embryon de personnalité, les aînées sont quasiment inexistantes, ce qui n'est pas forcément judicieux dans la mesure où se sont bien elles qui étaient les plus à mêmes de comprendre la situation politique qui leur fut fatale. Les avancées dans le temps à propos d'Anna Anderson semblent quant à elle racoleuses: comment peut-on croire qu'il y a encore du suspense à tirer de cette histoire, qui n'est déjà plus celle des Romanov, un siècle après les faits?


Psychologiquement, les autres portraits proposés ne sont jamais inintéressants, car la série tente de montrer des personnages pétris de contradictions, avec leurs défauts et leurs qualités. Les historiens ont au moins le mérite de ne pas rester trop longtemps dans l'extase impériale et de souligner à quel point les décisions du couple régnant furent catastrophiques pour leur pays et leur dynastie. Un empereur sans envergure, héritier d'une situation pour le moins épineuse, et une tsarine dépressive incapable de se ressaisir, elle-même héritière de toute la pensée morbide et mystique du XIXe siècle, n'étaient clairement pas les personnes appropriées pour désamorcer le déclin en cours de leur empire: leurs inflexions toujours plus autoritaires ont conduit à la catastrophe. Cependant, en privé, on découvre une famille aimante et finalement touchante, rongée par une pression impossible à évacuer et un secret de taille quant à la maladie incurable de leur fils. Il est de nos jours impossible d'être favorable aux Romanov compte tenu de leur inconséquence ahurissante dans leur gestion de l'État, mais les nuances apportées par les portraits de famille rendent ces personnes complexes et finalement plus accessibles. De toute manière, quels que soient les crimes commis par un individu, nul ne mérite d'être assassiné. Ceci est valable pour Raspoutine, que la série brosse sous un portrait à juste titre négatif, mais sur lequel les scénaristes appuient trop fort. Je pense également que le starets était un aventurier bouffi d'orgueil qui cherchait surtout à avancer sa propre cause, et certes, sa proximité avec la famille impériale a cristallisé toutes les haines dans les années 1910, mais il n'avait pas forcément que de mauvaises idées: il était par exemple opposé à l'entrée en guerre de la Russie. Tout antipathique soit-il, la série ne lui laisse assurément aucune chance, alors qu'un portrait aussi complexe aurait mérité d'être brossé avec plus de nuances.


Par contre, je suis content qu'on parle un peu d'Ella, la sœur de la tsarine, qui en dehors de chez Camus est généralement laissée pour compte dans ce genre de récits. La reconstitution ne lui fait pourtant pas vraiment honneur, ne serait-ce que par l'assassinat de son époux, où l'on croirait un couple inconséquent qui se déplace sans escorte, mais au moins, la grande-duchesse a le mérite d'exister. J'aimerais d'ailleurs qu'une fiction lui soit entièrement consacrée: entre les drames de son enfance, le conflit entre ses origines germaniques et son nouveau pays, son mariage compliqué, son côté charitable qui la rend parfaitement complexe et sa fin non moins tragique que celle de sa belle-famille, il y a largement matière à composer une belle symphonie pathétique. En l'état, il faudra se contenter d'une petite apparition, mais là où la série m'a agréablement surpris, c'est par son interprétation de qualité. La comédienne qui incarne l'impératrice a beau n'être pas convaincante physiquement, elle n'en livre pas moins une performance fébrile à mesure que le personnage se renferme sur lui-même et plonge dans ses addictions, tandis que son mari à l'écran joue bien un tsar complètement dépassé par les événements. Dans le rôle de l'impératrice douairière, l'actrice n'est pas sans rappeler Irene Worth dans Nicolas et Alexandra il y a un demi-siècle, en dévoilant la force de caractère d'une personne bien plus lucide que ses successeurs. De son côté, Raspoutine est incarné avec charisme par un comédien dont la vigueur compense l'absence d'éclat dans les yeux et dans la barbe du charlatan, alors que l'assassin de la famille impériale est quant à lui interprété avec des nuances bienvenues.


Malgré tout, la série ne peut s'empêcher de céder aux pires facilités contemporaines pour appâter le chaland, ce qui en constitue probablement le plus gros point noir. Le langage est d'une grossièreté sans bornes, avec le sacro-saint "fucking" mis à toutes les sauces, et même si les familles royales sont de fait nettement plus communes et vulgaires que l'image qu'elles s'acharnent à donner d'elles, il ne faut pourtant pas oublier qu'une princesse de Hesse avait reçu assez d'éducation pour ne pas dire "merde" aussi spontanément que "bonjour". Outre ce langage fleuri, on nous impose également, comme dans Hollywood, une avalanche de sexe inappropriée. Je suis moins prude que ce qu'on pourrait croire à me lire, mais j'aime que l'érotisme reste élégant, ce qui n'est clairement pas le cas ici. Franchement, était-il nécessaire de voir Nicolas et Alexandra copuler comme des lapins, les fesses à l'air, à même le sol? Avait-on vraiment besoin de voir Raspoutine se faire fouetter dans une bassine par trois femmes nues? Je ne pense pas qu'une série qui se veut un tant soit peu historique ait absolument besoin de montrer ses personnages dans de telles situations. Surtout, la débauche de violence dans le dernier épisode est très honnêtement insoutenable. Quoi que l'on pense des actes des personnes montrées ici, les voir se faire cribler de balles une par une relève d'un voyeurisme hautement désagréable qui ne devrait pas avoir sa place dans une reconstitution: il faut savoir s'arrêter à temps, comme le film de Franklin Schaffner qui avait eu, en son temps, le bon goût de conclure avant les tirs funestes. Qu'on laisse les morts reposer en paix, même si on ne les aime pas. En outre, la série oublie de montrer le personnel également assassiné cette nuit-là, comme si le peuple restait quantité négligeable face aux têtes couronnées: ce n'est pas faire honneur à la mémoire de personnes à la fidélité éprouvée, qui ont fait leur travail jusqu'au bout dans de terribles circonstances, que de les rayer du récit sans autre forme de procès.


Finalement, Les Derniers Tsars ne sont pas vraiment une bonne série, mais on y trouvera tout de même des choses intéressantes. Le paradoxe est qu'on est assez loin de la réalité par moments, malgré une reconstitution parfois impressionnante de minutie dans certains détails. Même si le tout reste une fiction, on aurait assurément aimé un peu plus de tact: le sexe, le sang et les gros mots sont certainement plus vendeurs que la délicatesse, mais Nicolas et Alexandra faisait bien mieux sur le même sujet sans céder à tous les vices de son époque, malgré d'inévitables longueurs.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire