mercredi 10 juin 2020

L'Histoire sans fin


J'ai fait une bonne action ce samedi et, alors que je n'avais rien demandé, j'ai été récompensé: une personne avec qui j'ai des rapports particulièrement compliqués m'a donné ses codes d'accès à un site bien connu de vidéos en ligne, ce qui me permettra désormais de compléter quelques lacunes cinématographiques sans connaître les affres de la frustration. Au programme du jour: Marriage Story, un film interminable de Noah Baumbach ressemblant à s'y méprendre à Kramer contre Kramer, sorti quarante ans plus tôt.


Comme vous le soupçonnez au vu de l'adjectif employé, je n'ai pas beaucoup aimé ce film, qui n'est pourtant pas mauvais, mais dont l'histoire d'une simplicité enfantine ne méritait pas de s'étendre sur près de deux heures et demie. Malheureusement, Noah Baumbach semble avoir tellement voulu développer ses personnages avant le procès, pour bien faire comprendre les raisons qui les poussent au divorce, qu'il a finalement abouti à un enchaînement de monologues d'une dizaine de minutes qui prennent beaucoup trop de place, et qui auraient pu être réduits par le pouvoir des seules images.


Tout commence bien pourtant, avec le regard de chaque parent sur les qualités de son conjoint dans l'introduction, tandis que certains plans marquants ponctuent le film de part et d'autre, comme le couple s'acharnant à installer un rehausseur dans une voiture, ou la manière de filmer chaque membre du trio comme le maillon d'une chaîne, le fils retenant sa mère par le bras alors que le père veut l'emmener. Outre ces idées de mise en scène, convenues mais jamais inintéressantes, le grand atout du film est aussi la qualité de l'interprétation d'Adam Driver et Scarlett Johansson, toujours très justes et complexes dans chaque séquence, y compris la scène de la colère qui, remise de son contexte, constitue une montée en puissance assez phénoménale qui sonne toujours vrai, malgré des gestes de plus en plus emphatiques.


On n'en dira hélas pas tant de Laura Dern, que j'étais anxieux de découvrir dans le rôle de l'avocate suite à son Oscar, et qui se révèle malheureusement catastrophique d'un bout à l'autre du récit. En effet, il est impossible de la prendre au sérieux en tant que juriste, dont la force aurait dû venir de son charisme, et par-là même d'une attitude calme et posée. Or, Laura Dern se comporte en véritable pile électrique: il n'est pas une scène où elle ne bouge les yeux, le front, les bras, les cheveux, tant et si bien que lors de sa rencontre avec sa cliente, on croirait qu'elle s'apprête à la dévorer après lui avoir servi des gâteaux empoisonnés, à la manière qu'elle a de se rapprocher d'elle tel un raptor. Au tribunal, chaque partie de son corps bouge dans tous les sens, de telle sorte qu'on ne peut imaginer que sa plaidoirie convainque si la dame n'est pas complètement ancrée sur ses appuis. Un personnage réellement fort, en outre habitué à enchaîner les succès, n'a pas besoin de se conduire comme Roger Rabbit à chaque instant: même lorsqu'elle veut montrer à quel point l'avocate est décontractée lors d'une soirée entre amis, Laura Dern n'est jamais en repos à trop vouloir faire exprimer un milliard d'émotions à chacun de ses cheveux, si bien qu'elle achève de nous épuiser! La force, le charisme et la puissance de conviction n'existent que dans le calme, mais la perception que l'actrice a de son personnage ne fonctionne jamais: je trouve par exemple Jessica Chastain nettement plus convaincante dans un film grotesque mais amusant comme Miss Sloane, que Laura Dern cherchant trop à accentuer le côté dévastateur d'un personnage déterminé à gagner avec mille et un mouvements à la seconde.


En outre, non contente d'être représentée par un clown, la pauvre Scarlett Johansson est affublée d'une mère elle aussi calamiteuse dans son jeu outré et flou à la fois. Le personnage étant exaspérant sur le papier, on regrette le calme tranquille d'une Jane Alexander dans l'affaire Kramer, ce type d'interprétation apportant bien plus de crédibilité à ce genre de personnages pris entre deux feux. On regrettera surtout que Noah Baumbach ne soit pas du tout à l'aise avec l'ensemble des seconds rôles féminins. Même la sœur de la mariée, qui hérite d'un rôle de femme un peu paumée, est jouée de manière particulièrement imprécise, sans que cela illustre les pensées confuses du personnage. En revanche, les avocats masculins, au service de l'époux, ont des contours bien mieux cernés dès le départ, aussi est-il assez dommage que cette histoire, qui se voulait parfaitement équilibrée entre les deux points de vue, soit avant tout une balance délicate penchant irrésistiblement d'un côté.


Conclusion: Marriage Story n'est pas un mauvais film, mais ça ne m'a pas plu. C'est bien trop long pour une histoire qu'on pouvait traiter tout aussi bien en une heure et demie, et les seconds rôles féminins tirent, à mon grand regret, l'ensemble de l’œuvre vers le bas. Adam Driver et Scarlett Johansson s'en sortent heureusement avec tous les honneurs, mais je reste malgré tout assez froid devant leur histoire, pourtant très juste et nuancée comme il se doit. Ce premier essai Netflix n'est ainsi qu'à moitié concluant, et je regrette par ailleurs que cette maison de production n'ait jamais pris la peine de sortir ce film sur grand écran dans de trop nombreux pays. Ne le faire qu'aux États-Unis pour se qualifier pour un Oscar est une manœuvre d'assez mauvais goût, alors que pour le reste du monde ça reste plus une vidéo "internet" qu'un film de cinéma. Je tiens à rester ouvert d'esprit et apprécier toutes les formules, mais attention à ne pas négliger le bonheur qu'il y a à se trouver devant un grand écran. Une bonne nouvelle néanmoins: je pourrais vous parler demain d'Hollywood, une mini-série sur laquelle il y a beaucoup à dire, en bon comme en mauvais, mais qui a indéniablement le mérite d'être tout à fait obsédante. Il y a certainement du bon à prendre sur cette plateforme, malgré son emprise croissante terrifiante sur le monde audiovisuel.


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