dimanche 2 juillet 2023

Passages


Hier, j'étais invité à rejoindre une amie coincée pour le travail dans la très désagréable ville d'Angoulême. Étant arrivé avec beaucoup d'avance, j'ai voulu tuer le temps en allant voir Passages, avant que les cinémas ne ferment en prévision des émeutes. C'est un film d'Ira Sachs, spécialiste du cinéma gay, qui s'était déjà illustré il y a une dizaine d'années avec Love Is Strange, que j'avais très envie d'aimer et qui m'avait laissé de marbre. Cette fois-ci, la perspective de voir le très séduisant "oh my god, fuck with me fellow" Franz Rogowski dans un couple homosexuel était d'autant plus émoustillante. Hélas : le film m'a laissé aussi froid que ma précédente rencontre avec le réalisateur.

Quel dommage, car Passages brille pourtant par sa grande originalité ! En effet, le scénario traite de l'adultère dans un couple bourgeois, chose qui n'avait jamais été vue à l'écran avant aujourd'hui… Avec en prime un héros tyrannique qui s'interroge sur sa propre sexualité, puisque le voilà très attiré par une femme après plusieurs années de mariage avec le même homme. Ce faisant, le réalisateur perfectionniste, Tomas, se laisse porter au gré de ses désirs, en entraînant son entourage dans une spirale infernale et autodestructrice qui finit très vite par agacer. Il faut dire que je suis las de ces personnes toxiques qui ne pensent qu'à l'instant du moment sans se soucier des autres : j'en ai rencontré beaucoup trop dans ma vingtaine pour continuer à leur chercher des excuses, et tout cela m'a rappelé une période déplaisante de ma vie. Ici, Tomas prend carrément plaisir à blesser tous ses partenaires, en avouant d'entrée de jeu à son mari qu'il l'a trompé, tout en continuant à s'inviter chez lui sans gêne aucune lorsqu'il a une folle envie d'être enculé. Idem pour sa conquête féminine, qu'il envisage sans problème de larguer après l'avoir mise enceinte sans jamais vouloir assumer son rôle de parent.

Dès lors, difficile de s'intéresser à un film où un personnage aussi nuisible est de tous les plans. Franz Rogowski a beau être extrêmement attrayant dans ses vêtements à la mode, et jouer de belles émotions de type égaré à travers ses regards, Tomas n'en reste pas moins une personne nocive à qui il est impossible de trouver des circonstances atténuantes. Je ne suis pas non plus attaché au mari trompé joué par le très laid mais très bon Ben Whishaw, puisque celui-ci se sert également sans vergogne d'une nouvelle conquête pour passer ses frustrations en attendant le retour de l'être aimé. Ainsi, Martin a beau promener dans tout le Marais ses yeux rougis, il fait preuve d'une immaturité consternante, ce qui achève de rendre le film vraiment irritant. Eh ! On parle de types autour de la quarantaine qui se comportent de manière aussi égoïste que des lycéens qui viennent juste de perdre leur pucelage : grandissez un peu bon sang !

Passages enchaîne donc tous les clichés sur la communauté gay parisienne sans avoir quelque chose de neuf à raconter sur le sujet. On ne nous épargne même pas l'écrivain intello soit disant pas intéressé par sa carrière ou la célébrité : pitié ! Le personnage le plus touchant pourrait éventuellement être la femme incarnée par Adèle Exarchopoulos, bien qu'elle aussi n'ait aucun scrupule à coucher avec son crush d'un soir alors qu'elle le sait marié. On se demande également comment une institutrice a réussi à s'agréger au milieu branché du cinéma indépendant, ce qui rend toutes ces relations assez insaisissables. Notons au passage qu'on tergiverse à n'en plus finir sur le film de Tomas, dont le tournage d'une séquence ouvre l'histoire, mais qu'on ne voit jamais ne serait-ce qu'une bribe du produit fini. Moyen de signifier à quel point celui-ci est perdu dans sa propre vie ? Pour illustrer son propos, le réalisateur ajoute cent cinquante mille séquences de circulation où le héros conduit sa voiture ou sa bicyclette en tournant en rond dans la ville, sans respecter la signalisation routière, preuve que le monsieur manque sérieusement d'imagination.

À vrai dire, même les doses d'humour qu'il tente d'injecter à son histoire s'inscrivent uniquement dans le malaise. En témoigne cette rencontre de Tomas avec les parents d'Agathe, devant qui il se présente sans s'être changé après avoir couché avec son ex, et qui en retour le questionnent de manière insistante avec un mépris non dissimulé. Il n'y a décidément pas une relation saine dans l'ensemble du film, ce qui est insupportable. L'abus d'ellipses pour brouiller les repères temporels afin de nous plonger dans la psyché tourmentée du héros plombe également l'intégralité du projet. On n'a par exemple jamais l'impression que les deux hommes ont pu se supporter pendant quinze ans avant d'en arriver là. Même la rencontre des deux personnes trompées est désagréable au possible, avec cette tentative de présent avortée et cette volonté manifeste de blesser l'autre sous le manteau de la courtoisie. Après tout, le cadeau d'adieu de Martin n'a pour but que d'éloigner Agathe de sa vie, bien que celle-ci ait un argument de taille à faire valoir pour compromettre le voyage idyllique des amants retrouvés.

En définitive, j'ai beau chercher, je ne comprends pas comment il est encore possible de faire un film pareil en 2023. Tous les clichés éculés depuis un siècle sur l'adultère, autant sur la forme que sur le fond, sont moulinés par Ira Sachs pour aboutir à un résultat hyper toxique qui donne envie de fermer la porte à tous ces personnages malveillants. L'imitation sans saveur de la Nouvelle Vague n'aide pas : dans un registre un peu similaire de bourgeois qui se cherche en faisant du mal autour de lui, le très beau Once More de Paul Vecchiali savait montrer des personnes bien plus attachantes voilà déjà 35 ans. Finalement, le seul apport de Passages à l'histoire du cinéma, c'est une très belle scène de cul entre deux hommes, pour une fois convaincante, là où nombre de réalisateurs se plantent généralement sur toute la ligne. Celle-ci s'oppose d'ailleurs brillamment à la séquence bien plus laide de sexe hétéro au début de l'histoire, ce qui la renforce par contraste. Néanmoins, une unique scène réussie dans l'ensemble d'un film interminable et très irritant ne suffit clairement pas à rendre ces Passages dignes d'intérêt. Cette séquence donne bien envie de baiser, mais clairement pas avec des monstres d'égoïsme qu'il conviendra de fuir de toute urgence.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire