vendredi 14 juillet 2023

Ruines et paysages

 


Il y a quelque chose de presque indécent à poster des photos de vacances alors que des compatriotes ne mangent pas à leur faim, que des fascistes paradent avec l'armée dans la capitale, et que l'environnement s'effondre sous nos yeux, au point que mon département d'origine sera sous les eaux de mon vivant puisque les gens qui ont confisqué le pouvoir ne feront absolument rien pour stopper cela. Comme j'ai l'impression que tout le monde s'en moque autour de moi, j'ai peur de ne plus avoir l'énergie de continuer à motiver les troupes pour lutter en faveur de la vie et de la liberté. Je me réfugie donc dans les images de nature verdoyante et de villages sereins croquées ces deux dernières années. Nous voici aujourd'hui de retour à l'été 2021, où j'avais eu la chance de revenir dans la ville pyrénéenne d'Ax-les-Thermes, dans laquelle j'avais suivi une cure au souffre en 1999 et 2000 afin de m'aider à vaincre de multiples allergies de jeunesse. Pour avoir passé les vingt-cinq premières années de ma vie avec les sinus complètement bouchés pendant huit mois de l'année, j'apprécie de pouvoir respirer désormais, ne consommant guère plus d'un paquet de mouchoirs par an.


Nous séjournions à l'époque sur les hauteurs, dans la commune de Prades, où nous louions un chalet. Nous empruntions chaque matin les lacets du col du Chioula afin d'aller aux thermes, avant de regagner les sommets pour des randonnées qui duraient tout l'après-midi. Et tout cela pendant trois semaines d'affilée, un véritable refuge temporel qui m'évitait de songer à l'autre partie des vacances qu'il me fallait passer dans ma famille paternelle. Je garde sincèrement un souvenir ému de cette époque dans les jolis paysages du Sabarthès. Je me souviens tout particulièrement de ma chienne qui adorait courir dans les chemins alors que l'herbe était plus haute qu'elle, et qui avait sympathisé avec un chien de berger qui nous accompagnait régulièrement en promenade. Un jour qu'elle vit des veaux dans un pré, elle s'empressa de les courser malgré sa petite taille, mais elle n'avait pas perçu les vaches adultes qui se reposaient à l'ombre de conifères. Celles-ci formèrent alors une ligne de front pour protéger leur descendance, et c'est ventre à terre, toute penaude, que ma chienne revint sur le droit chemin ! Les sentiers ariégeois de Prades et de Montaillou n'avaient alors plus aucun secret pour moi, aussi ai-je pris grand plaisir à revenir sur certains d'entre eux vingt ans après.

Le château cathare de Montaillou



Situé aux portes du pays de Sault dans l'Aude, à la lisière de la somptueuse forêt domaniale de Niave, le village microscopique de Montaillou ne compte pas plus de 17 habitants ! Ce qui ne l'empêche pas d'avoir un rayonnement prestigieux grâce à la silhouette de son château ruiné du XIIIe siècle. Haut lieu du catharisme, Montaillou fut d'ailleurs l'une des dernières places à tomber dans la région, lorsque le futur pape Benoît XII entreprit d'éradiquer l'hérésie dans le reste du comté de Foix afin de se faire un nom. Le passé cathare du village connut en outre une renommée internationale grâce au succès du livre scientifique Montaillou, village occitan (1975), d'un historien homophobe dont nous tairons le nom, dont l'étude des registres d'inquisition du futur pontife a cependant permis de mettre en lumière un destin de femme rocambolesque, Béatrice de Planisolles, accusée de sorcellerie pour avoir eu recours à des méthodes de contraception.



Démoli puis reconstruit, le château servit par la suite de poste frontière et fut agrandi en conséquence. Ayant toutefois perdu son utilité à l'époque moderne, il fut démantelé en 1638. Il ne subsiste aujourd'hui que les vestiges du donjon. Loin des tumultes passés, la colline boisée que l'on aperçoit derrière fut mon terrain de jeu de prédilection à 12 ans : j'adorais courir entre les chardons et les conifères en imaginant des histoires romanesques ou de grand banditisme. Ces ruines qui défient l'usure du temps constituent indéniablement une belle source d'inspiration.


Un grand frisson à Prades



Malgré tout, aucune vue ne me fit autant d'effet que le terrible rocher de Scaramus sur la frontière occidentale de Prades. Entrevue par hasard au cours d'un été, cette formation rocheuse qui semblera anodine à plus d'un m'avait littéralement glacé le sang depuis les hauteurs boisées du pic de Gérale. Mais rien ne fut comparable à ce séjour hivernal où nous avions entrepris une randonnée depuis le col de Marmare jusqu'au col du Fajou : le ciel qui s'obscurcissait de minute en minute avait fini par se transformer en véritable tempête de neige, ce qui nous avait contraints à faire demi-tour devant une bergerie. Mes repères étant brouillés, je n'avais pas vraiment réalisé sur quel chemin nous nous trouvions, si bien que j'avais commencé à imaginer une histoire à propos d'un mouton égaré dans la neige, qui cherchait à regagner son havre de paix chaleureux incarné par cette bergerie. Hélas ! Lorsque nous revînmes le lendemain sous un ciel parfaitement dégagé, je réalisai que la maisonnette en question n'était autre que la gardienne des lieux du roc qui m'avait tant fait peur l'été précédent. Sous son manteau blanc, celui-ci était encore plus effrayant que par le passé, à tel point que je fus, pour l'unique fois de ma vie, complètement tétanisé. Impossible de faire le moindre pas alors que la forme immaculée monstrueuse s'érigeait droit devant moi.



Maintenant, allons comprendre : pourquoi diable craindre ce rocher bien inoffensif sur un plateau paisible des Pyrénées, alors que d'autres montagnes à travers le monde ont un aspect primitif bien plus effrayant ? Je n'ai jamais su l'expliquer. Revenir sur les lieux à l'âge adulte m'a cependant permis de vaincre les démons du passé, puisque j'ai pu dépasser sans problème la bergerie pour m'approcher du roc. Si je devais chercher des embryons de réponse, je dirais que l'absence d'arbre, les falaises bien plus imposantes en vrai qu'en photo, un toponyme méphistophélique et la sensation d'être pris au piège dans ce qui ressemble à un cul-de-sac sous certains angles avait dû m'angoisser plus que de raison.



Pour se rassurer, mieux vaut lui tourner le dos et contempler le pla de Sept Cases où se trouve la bergerie mentionnée, qui offre une vision bucolique sur les sommets pyrénéens derrière un rideau de chardons roses.



À défaut de moutons, des vaches paissant alentour furent des compagnes de bon aloi pour m'aider à retrouver ma sérénité enfuie. De toute manière, les versants boisés sont autrement accueillants que les pentes dénudées du rocher de Scaramus, preuve que les arbres sont l'avenir des êtres vivants. Il faut donc les préserver coûte que coûte.



De nature aventureuse, j'aimerais toutefois revenir explorer de plus près le fameux roc, ne serait-ce que pour me donner une petite dose d'adrénaline, mais aussi parce qu'une croix gravée sur une paroi est à retrouver. Le point de vue sur certaines des plus hautes montagnes de ce côté-ci de la célèbre chaîne vaut de toute manière le détour.

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