jeudi 1 janvier 2015

The Dark Angel (1935)


Je réalise à l'instant que L'ange des ténèbres est un film de Sidney Franklin, preuve qui si l'on a bel et bien tendance à oublier le réalisateur de nos jours, ses œuvres élégantes (The Barretts, The Good Earth) ont toujours quelque chose de fort plaisant qui donne envie d'y revenir. The Dark Angel a même l'insigne honneur d'avoir ma préférence dans sa filmographie, et s'il est effectivement difficile de trouver quoi que ce soit d'inventif dans sa mise en scène, hormis la très bonne idée de faire revivre les levers de Kitty enfant à Kitty adulte, tous les aspects techniques du film forment un ensemble raffiné, ce qui, ajouté à un casting de luxe aux performances très intéressantes, a de quoi divertir constamment.

Pour ce faire, Franklin et son photographe, le prodigieux Gregg Toland, ont concocté des images exquises en multipliant les gros plans sur leur actrice principale, l'excessivement belle Merle Oberon, en sublimant les intérieurs luxueux où se déroule la plus grande partie de l'intrigue (Oberon, candélabre à la main, sous la rampe d'escalier dont l'ombre apporte d'autant plus de profondeur au plan), et en filmant de très belles images rurales, dont les enfants dans le pré aux moutons, les fenêtres du manoir, les rails du train, les cavaliers sous une branche en arc, ou encore Oberon à terre entourée de hauts de forme. La décoration de Richard Day tente quant à elle de restituer une atmosphère britannique indéniablement agréable, avec l'intérieur mignon du cottage de Fredric March, meublé d'un fauteuil au tissu fleuri; les grandes colonnes du manoir et les cheminées en arc de cercle ou en ogive. Les costumes d'Omar Kiam sont en revanche assez peu impressionnants bien qu'élégants, et curieusement, je préfère les vestes de Fredric March, surtout l'uniforme militaire (fantasme!), aux fourrures de Merle Oberon, malgré ses chapeaux ravissants. Ceci dit, l'élément technique qui marque le plus, c'est l'excellente musique d'Alfred Newman, principalement pour les accords solennels lors des adieux aux soldats.

Cette forme, élégante à souhait, met alors dans de très bonnes dispositions pour apprécier une histoire bien dans l'air du temps, celle de deux amis d'enfance amoureux de la même femme en pleine première guerre mondiale, et le scénario adapté de Guy Bolton par Lillian Hellman et Mordaunt Shairp est bien équilibré entre les problématiques d'amour, de jalousie et de séparation dans un premier temps, avant de se recentrer sur le handicap et les états d'âme du héros. Ainsi, l'histoire tourne vraiment autour de Fredric March et, si Merle Oberon est techniquement un premier rôle avec un temps d'écran similaire, elle n'en reste pas moins d'essence plus secondaire, quoiqu'elle soit plus développée qu'Herbert Marshall, le troisième membre du groupe.

Quoi qu'il en soit, fort du personnage le plus important et de son immense talent, c'est sans surprise que Fredric March domine le film. Tel le soleil (oui, je suis très amoureux), il éblouit par son dynamisme et son humour, avec en point d'orgue son saut depuis la fenêtre du manoir pour obliger Merle Oberon a lui répondre, et la tête qu'il fait une fois à terre est à mourir de rire! Mais lorsque la permission prend fin plus tôt que prévu et que la guerre revient frapper de plein fouet, il devient alors beaucoup plus sérieux sans aucune difficulté, jouant bien l'amertume lors du mariage avorté, et prenant bien soin de ne pas verser dans le mélodrame au son des canons, quand il rassure sa bien aimée en faisant comme si de rien n'était: "I hope you like the Sauternes my dear." On relèvera peut-être quelques scènes un peu mièvres, ou en tout cas très romantiques, lors des moments de tendresse avec sa partenaire, mais le charme et la gravité sont extrêmement bien rendus par l'acteur dans cette première partie. Par la suite, alors qu'Alan revient du front aveugle, March doit ajouter une dimension physique à son jeu, chose dont il s'acquitte admirablement en prenant bien soin de tâtonner et de toucher les objets dans les lieux inconnus, avant de devoir faire illusion devant ses amis d'enfance en se comportant avec naturel devant eux, et allant jusqu'à leur servir à boire sans défaillir: on suppose qu'à ce moment-là, il a eu le temps de mémoriser les gestes après plusieurs mois passés dans le même cottage, même si un peu plus tôt, il donne un mouchoir un peu trop rapidement à la fille de sa logeuse. Ses regards en biais sont aussi très bien joués, et quand il parle aux enfants juste en face d'eux, on a vraiment l'impression qu'il ne les voit pas et que ses yeux se portent au loin, dans le vide.

Cependant, c'est surtout sur le plan émotionnel qu'il impressionne, puisqu'il ne cherche jamais à s'attirer la pitié de quiconque, pas même du spectateur, et il est d'ailleurs déchirant dans les rares moments où on le voit défaillir, notamment après le rêve dans le train où sa frayeur d'être ainsi vu par son ancienne fiancée transpire sur son visage lorsqu'il s'écrie: "Help me! Help me!", ou encore lors de la promenade champêtre où son désarroi d'être à proximité de Merle Oberon touche droit au cœur. En fait, la grande peur du personnage est qu'on le plaigne, et la complicité qu'il crée avec les enfants, après qui il s'est brièvement énervé, émeut bien davantage que les flots de mélodrame qu'on aurait pu attendre d'un tel rôle, de même que son apparente joie de voir ses deux amis mariés en son absence, alors que perce une certaine dose de dépit dans ses paroles et une certaine gravité sur son visage, une fois seul. Sa dernière scène est encore excellemment jouée, mais je n'en dis pas plus pour ne pas faire trop de révélations.

De son côté, Merle Oberon est, comme je le disais tout à l'heure, dotée du personnage de la fiancée éplorée impatiente que les hommes reviennent du front, rôle qui pourrait la définir comme secondaire bien qu'elle soit assez développée pour constituer la deuxième force motrice de l'histoire. Toutefois, on sent bien que le film ne lui appartient pas, et le seul élément qui aurait pu la rendre complexe, à savoir son hésitation entre les deux hommes auxquels elle tient le plus, est en fait désamorcé dès le début puisqu'elle fait bien la différence entre son amour pour March et son affection plus amicale pour Marshall. Autrement, elle prend bien soin de composer un personnage attachant, allant même jusqu'à éblouir lors de son entrée en scène très charismatique, avec son amusement devant les garçons et la complicité qu'elle crée avec sa grand-mère; mais il faut bien avouer qu'elle a tendance à devenir un peu mièvre en fonction des séquences, ce qui empêche de goûter son interprétation avec autant d'appétit qu'on l'aurait souhaité. Ainsi, elle use par moments d'une voix mélodramatique au possible qui a tendance à la rendre vaporeuse ("Alan! Alan darling!" "Gerald! Gerald dear!"), et sa façon de s'effondrer en pleurs n'est pas toujours très crédible, pas plus que ses regards pétrifiés d'effroi lorsqu'elle entend les coups de canon. Et quand elle découvre que son ancien fiancé a survécu, ses expressions sont très bonnes mais la voix devient trop vite sirupeuse: "Alan! Alive!" Par bonheur, elle réussit tout de même de véritables morceaux de bravoure, spécialement dans les passages où elle se retient d'être trop expressive. Sa déception lors de ses retrouvailles avec March est alors extrêmement bien jouée, et c'est avec beaucoup de charisme et de dignité qu'elle s'exprime avec, cerise sur le gâteau, une larme au coin de l’œil qu'elle fait sortir sans aucune difficulté et qui étoffe joliment la scène. Elle est aussi très douée pour estomper ses sourires après des moments de gaieté, sans compter que son dynamisme lui permet de créer une bonne complicité avec ses partenaires, quelle que soit la tonalité de la séquence. Je ne peux donc pas dire que la performance soit totalement réussie, bien que les aspects positifs l'emportent largement.

Herbert Marshall est quant à lui entièrement éclipsé par ses partenaires, et l'on perd un peu la complexité du personnage, qui a techniquement envoyé son meilleur ami dans une situation dangereuse par jalousie, mais qui est ensuite trop effacé pour intéresser quant à ses motivations. On appréciera surtout la scène touchante où March et Oberon lui apprennent leurs fiançailles, suite à quoi il sourit avant de cacher sa tristesse à sa mère en conservant sa contenance. La mère justement, incarnée par Janet Beecher, est également pas mal lorsqu'elle fait bien sentir qu'elle n'est pas dupe, mais le personnage est vraiment trop secondaire pour captiver. Je conclurai simplement sur eux en relevant qu'à travers une poignée d'actions, Marshall permet d'éviter certaines incohérences, notamment en prenant un verre des mains de Fredric March, aveugle, pour justifier que celui-ci puisse faire illusion, preuve que les scénaristes ou le réalisateur ont pensé à tout.

Émouvant et raffiné, avec tout ce qu'il faut de drame et de romance pour séduire, The Dark Angel vaut donc vraiment le coup d’œil et mérite bien un solide 7/10, ne serait-ce que pour la performance de Fredric March. On regrettera juste que Merle Oberon n'arrive jamais à m'éblouir autant que je l'aimerais, alors qu'il s'agit d'une actrice soucieuse de jouer que j'apprécie beaucoup.

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