samedi 19 mars 2016

Room (2015)


Autre film de l'année dernière ajouté à ma collection, voici ce qui valut un Oscar à Brie Larson en février. Bien sûr, après l'avalanche de prix que reçut la demoiselle cet hiver, j'étais évidemment très curieux de découvrir une œuvre que bon nombre de cinéphiles considèrent comme une réussite. Ai-je été séduit?

Tout d'abord, il faut savoir que je n'ai pas lu le livre d'Emma Donoghue et ne puis être déçu par conséquent. Or, avec le film comme seule clef à ma disposition, je trouve ça très solide. En effet, Room est filmé et découpé de façon à jouer avec nos nerfs et troubler un peu nos perceptions du monde, de quoi constituer une expérience captivante et novatrice à mesure qu'une petite cuillère tordue devient un objet culturel de la plus haute importance pour un petit garçon qui n'a jamais vu le monde extérieur. Quitte à devoir dévoiler l'intégralité de l'intrigue, le premier acte est alors des plus angoissants, et l'on se sent oppressé dès la première minute dans cette pièce sombre épouvantable éclairée d'un seul vasistas inaccessible qui isole d'autant plus les protagonistes. L'isolement est d'ailleurs l'un des grands ressorts du film puisqu'on n'a jamais aucun moyen de savoir où les personnages se trouvent dans la première partie, et lorsque l'on entrevoit un bout de jardin le temps d'une fraction de seconde à mi-parcours, on hurle de désespoir comme l'héroïne et l'on prie sincèrement pour que son plan fonctionne. L'échappée cléopâtrienne du fils est à ce titre excitante à souhait, avec un montage qui alterne brillamment les plans pour nous faire vibrer en souhaitant de tout notre cœur que la réussite soit au rendez-vous. Dans le second acte, on enchaîne les soupirs de soulagement une fois à l'air libre, et la toute dernière minute revient vers quelque chose d'effroyable qui rappelle les sueurs froides du début.

Si le scénario est assez simple dans ses grandes lignes, quitte à manquer parfois de subtilité notamment avec le personnage du père, la réussite du film repose en fait énormément sur un réalisateur possédant une excellente maîtrise de l'espace, en jouant notamment sur les contrastes de couleurs, la pièce sombre étant ainsi opposée aux immenses baies vitrées lumineuses de l'hôpital et à la blancheur des moquettes et tapisseries de Joan Allen. Surtout, le choix de Lenny Abrahamson de toujours montrer le monde par les yeux de l'enfant, avec juste ce qu'il faut d'images "réelles" pour que le spectateur comprenne ce qui se passe, est plus que payant, de telle sorte que l'image brouillée de la télévision n'est ni plus ni moins que le reflet de la vision incomplète d'un enfant qui n'a jamais vu le monde, et ne connaît son géniteur qu'à travers les persiennes d'une armoire, ou ne découvre l'air libre qu'à travers les mailles d'un tapis et les soubresauts d'une voiture qui rendent les câbles électriques flous. On s'étonnera néanmoins qu'un enfant jamais sorti d'un vase clos arrive à indiquer aussi vite à la police qu'il a sauté au troisième ralentissement, et que le violeur disparaisse un peu trop rapidement: retourne-t-il se venger de Joy qui l'a berné? Tente-t-il de quitter la ville? Ça n'a pas trop d'importance car l'histoire passe avant tout par les yeux de Jack, mais on est en droit de se poser des questions.

L'autre grande force du film, ce sont évidemment les performances d'acteurs. Et je suis enfin en paix avec Brie Larson. En effet, il est toujours ennuyeux de voir la même personne rafler tous les prix d'interprétation d'une même saison, et c'est d'autant plus rageant lorsqu'on n'a pas accès au film avant les cérémonies. Mais par bonheur, cet Oscar n'est nullement volé malgré la belle compétition en face. Ainsi, on sent dès le début le poids des années d'enfermement pesant trop lourdement sur elle, aussi bien dans sa démarche que dans ses regards, quoiqu'elle ait conservé assez de force de caractère pour sourire à son fils lorsqu'ils jouent. L'atroce expérience qu'elle subit n'empêche donc jamais l'héroïne d'avoir des sentiments humains contrastés, de telle sorte que l'actrice nous la rend encore plus attachante que son seul statut de victime, et quelques scènes de colère peut-être un peu trop marquées dans les yeux nuancent également le personnage pour enrichir la performance, de même que l'agacement palpable qu'elle suggère quand son fils ne veut pas l'écouter. Une fois libre, Brie Larson fait aussi très bien ressentir les séquelles sans trop les montrer, notamment lors de l'odieuse interview où la journaliste lui laisse entendre qu'elle a été une mauvaise mère pour Jack et où l'on sent que Joy accuse douloureusement le coup sans que l'actrice ne l'exprime trop manifestement sur son visage. 

La seule chose qui manque peut-être, c'est de la voir vraiment craquer à sa libération. Certes, elle pleure dans les bras de son fils puis de sa mère, mais lorsqu'elle se réveille à l'hôpital, elle semble légèrement trop sereine, ou tout du moins trop maîtresse d'elle-même, mais c'est aussi que la scène est vue à travers le regard de Jack et qu'on nous précise qu'elle a déjà vu le personnel médical plus tôt dans la matinée. On peut aussi se poser des questions à travers sa chambre d'esprit très adolescent, qui contraste énormément avec le caractère de la jeune femme qu'elle est devenue: comment a-t-elle réussi à se transformer en une adulte aussi posée en sept ans d'enfermement sans jamais devenir folle ou déséquilibrée? J'ai lu que certains reprochent à l'actrice de ne pas rendre le personnage aussi complexe que dans le livre, mais ne pouvant juger que du film, je n'ai absolument rien à lui reprocher, à part ce sentiment de la savoir trop forte par moments dans le second acte. On se demandera peut-être si Joy a accepté son fils aussitôt dès qu'on comprend qu'elle l'a eu en captivité, mais l'histoire démarrant lors du cinquième anniversaire de Jack, on peut raisonnablement imaginer qu'elle a eu le temps de l'accepter quand bien même c'eût été difficile au début, d'autant qu'il est sa seule porte de sortie et son unique espoir.

Jacob Tremblay est justement très adéquat dans le rôle du fils, avec des réactions vivaces qui semblent toujours naturelles, mais ça reste une performance d'enfant, alors comme toujours, difficile de savoir si le jeune acteur a du potentiel puisque son interprétation a été essentiellement construite par le réalisateur et Brie Larson. Parmi les seconds rôles, le beau-père est sympathique, William H. Macy est doté d'une unique scène assez peu subtile où il ne peut se résoudre à regarder un petit-fils qu'il ne veut pas reconnaître, et la lumière du film reste la merveilleuse Joan Allen. En effet, la dame a beau s'être défigurée depuis bientôt dix ans, son jeu reste heureusement intact et elle tire du personnage tout ce qu'il était possible d'en extraire: elle en fait une femme inquiète et chaleureuse, dotée d'un sentiment de culpabilité et d'une volonté de bien faire, et sur qui l'on ressent toujours le poids des années sans sa fille. Ayant tendance à être de moins en moins séduit par les seconds rôles contemporains, j'avais des doutes quant au possible brillant de cette performance, mais tout est heureusement au rendez-vous pour en faire la parfaite interprétation à récompenser en fin de saison. Et c'est là le drame: comment les votants arrivent-ils à s'intéresser à des Machina Wallpaper (qui est allée chercher son Oscar avec sa tapisserie sur le dos tout de même, que dire de plus?), quand ils ont l'occasion de nommer une grande actrice qui aurait déjà dû gagner quelque chose dans les années 1990 et qui donne une excellente performance dans un bon film? Bref, les Oscars ont perdu tout crédit à mes yeux ces dernières années, mais une fois n'est pas coutume, ils ont fait un bon choix avec Brie Larson, de loin la meilleure gagnante dans cette catégorie depuis... Helen Mirren en 2006 en ce qui me concerne, et ce malgré une merveilleuse concurrence en face.

J'irai voir The Assassin aujourd'hui ou demain, mais en attendant, voilà comment je classerai les premiers rôles de 2015 dans l'extrême limite du peu visionné actuellement (Maggie Smith ne me tente pas assez pour une visite en salles, désolé): A récompenser: Charlotte Rampling (45 Years). Envie de nommer: Brie Larson (Room), Rooney Mara (Carol), Saoirse Ronan (Brooklyn). Séduisante mais choisit la voie de la facilité: Cate Blanchett (Carol). Bon début: Alicia Vikander (Ex Machina). Sans intérêt: Alicia Vikander (The Danish Girl), Michelle Williams (Suite française). Non merci: Lily James (Cinderella). Mine de rien, ça fait déjà du beau monde à nommer, et je suis content que mes quatre performances préférées se soient retrouvées aux Oscars, malgré une fraude évidente. Pour les seconds rôles, je nomme Joan Allen (Room), je classe Sarah Paulson (Carol), Julie Walters (Brooklyn) et Kate Winslet (Steve Jobs) comme très intéressantes, Kristin Scott Thomas (Suite française) comme pas mal mais dans un rôle à clichés, Cate Blanchett (Cinderella) comme épouvantable et on ne dira rien de Bryce Dallas Howard car son "film" ne mérite même pas d'être cité.

Quoi qu'il en soit, Room reste une très bonne surprise, mais le premier acte est tellement oppressant que je suis marqué à vie et doute fortement de pouvoir retenter l'expérience un jour. J'aurais pourtant aimé lire le livre pour voir ce qui déplaît à certains chez Brie Larson, mais la seule perspective de revenir ne serait-ce qu'en pensées dans cette chambre immonde m'angoisse beaucoup trop pour ce faire. Dans l'immédiat, j'attribue un très bon 7+, et l'essentiel est de savoir que Brie Larson et Saoirse Ronan ont l'air de jeunes filles intéressantes, drôles et bien plus posées que 90% des starlettes de leur âge, ce qui est rafraîchissant et me donne très envie de voir la suite de leurs activités.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire