samedi 31 décembre 2016

Les Vikings (1958)


En traversant un salon la semaine dernière, je suis tombé sur un téléviseur allumé diffusant une superbe image de drakkar* entrant dans un fjord avec de joyeuses couleurs délicieusement 50's. Il n'en fallut pas plus pour me pousser à commander le DVD séance tenante, et une semaine plus tard, me voilà prêt à parler des Vikings de Richard Fleischer, pourtant pas le metteur en scène le plus appétissant qui fût. Surtout, c'était l'occasion pour moi de rendre hommage au fraîchement centenaire Kirk Douglas, à qui je n'ai pas eu le temps de souhaiter un bon anniversaire début décembre, et envers qui faire de nouvelles découvertes me semblait être un bien meilleur présent qu'établir un top 5 encore assez flou. Alors, qu'a donné cette histoire de guerriers nordiques, mêlant frères qui s'ignorent, caprices du sort sur le thème du pouvoir et princesses à marier prêtes à tout pour résister à un sort funeste?

Eh bien, je ressors de l'expérience avec un sentiment positif: The Vikings est incontestablement un grand divertissement. Tout du moins sur le plan visuel, la musique redondante n'étant pas le point fort de l’œuvre bien que les accords soufflés servent le propos. Au nombre de ces splendeurs visuelles, on retiendra en priorité la superbe photographie de Jack Cardiff qui, après l'Inde de Black Narcissus et l'Afrique de la reine Hepburn, nous plonge dans une atmosphère norvégienne épique et chaleureuse. C'est d'ailleurs ce que ces Vikings ont de mieux à offrir: non seulement les décors naturels sont excellemment utilisés dans le cadre, avec des parois rocheuses ou des cascades restituant l'aspect brut et minéral de l'existence robuste de ces peuples du nord, mais les couleurs sont encore délicieusement variées pour donner au tout des airs de grand spectacle, entre le bleu foncé des mers, le rouge éclatant des boucliers et, ce qui me touche personnellement le plus, le vert sombre de la forêt nordique émaillé de lueurs dorées, fantasme paysager absolu!

jjj,kkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkkazééééééééééééé (Mon chat a tenu à vous donner son avis sur la question, je publie tel quel)!

On appréciera également le jeu des mosaïques lors des génériques: entre les explications animées sur l'histoire des Vikings et leurs incursions en Angleterre, et les crédits finaux en forme de parchemin, le film s'ouvre et se ferme sur des images faussement surannées qui renforcent le plaisir. Mais que cela ne fasse pas oublier la réussite esthétique d'Harper Goff, dont les décors de solides navires, de froids donjons médiévaux, de villages en bois, et de tavernes païennes le disputant aux chapelles colorées, sont presque aussi impressionnants que les fjords norvégiens et les baies bretonne et croate sublimées par Jack Cardiff. Chaque séquence donne ainsi envie de multiplier les captures d'écran (et je n'ai même pas parlé de l'hommage final aux mille flambeaux!), de quoi rendre la découverte franchement exquise.

Dommage que le scénario ne soit pas à la hauteur de la forme. En effet, l'histoire passe son temps à amorcer des pistes avant de les laisser de côté, et nombre de rebondissements sont mal exploités. Par exemple, la question du trône d'Angleterre, développée durant toute l'introduction et dont nous attendons des nouvelles avec impatience jusqu'à la fin, est éclipsée dans 95% du film. Nous retenons donc notre souffle en attendant qu'Eric (Tony Curtis) connaisse un véritable trouble psychologique à l'idée de passer d'esclave à héritier présomptif, mais il n'en est rien: seule la princesse Morgana (Janet Leigh) découvre le pot aux roses, et le problème de succession se résout de façon entièrement elliptique! Même le principal antagoniste, l'usurpateur du sceptre anglais, ne soupçonnera jamais qu'Eric était en fait destiné à le combattre, ce qui est quand même une belle façon de trancher le pied essentiel de la narration! De même, on aurait pu développer la relation Eric-Ragnar (Ernest Borgnine) lorsque l'ancien esclave parvient à capturer le chef viking en s'enfuyant (ils sont père et fils via le viol de l'ancienne reine d'Angleterre), mais là encore, rien ne va en ce sens. Les deux hommes ne se parlent jamais sur le bateau, et les seuls dialogues ont lieu entre Eric et Morgana pour mieux les voir se conter fleurette et tomber amoureux au premier regard. On retrouve bien une sorte de tension familiale dans un furtif échange de regards, alors qu'Eric et Ragnar sont à la merci du perfide Aella, mais on reste constamment sur sa faim puisque aucun personnage ne soupçonne jamais rien sur l'autre. Et Odin sait s'il est frustrant d'en savoir cent fois plus que tout le monde et de réaliser que rien n'est jamais révélé aux principaux intéressés. D'autre part, on regrettera que les personnages féminins n'aient pas grande consistance, encore que Janet Leigh et Maxine Audley leur apportent assez de charisme pour ne pas sombrer totalement dans le cliché. Notons au passage que personne ne s'étonne jamais de voir Enid participer à l'enlèvement de Ragnar, avant qu'elle ne revienne tranquillement sans jamais être inquiétée!

Par bonheur, Les Vikings se rattrapent avec le second pied sur lequel repose l'édifice, à savoir la relation conflictuelle entre Eric, ancien esclave du clan, et Einar (Kirk Douglas), fils légitime de Ragnar. On ne nous épargne pourtant pas quelques frustrations, puisqu'il faut là encore attendre trente secondes avant la fin pour que les deux frères réalisent qui ils étaient par rapport à l'autre (!), mais leur haine et leur rivalité amoureuse sont assez bien nuancées par une sorte d'admiration discrète pour les talents guerriers de chacun pour que le film trouve une véritable histoire à raconter. Tout n'est certes pas entièrement crédible, car on imagine mal deux êtres se détestant avec autant de vigueur s'allier face à un roi inconnu pour les seuls beaux yeux d'une princesse, mais un tel rebondissement permet de mettre en lumière les valeurs positives des Vikings (l'entraide et le respect), alors que peu de choses dans leurs mœurs ne suscitent la sympathie de prime abord. Après tout, le clan de Ragnar est d'abord introduit comme le barbare à abattre face à une couronne anglaise a priori plus civilisée, mais les rôles ne tardent pas à s'inverser. Pourtant, difficile d'aimer réellement ces Vikings: ils sont grossiers, violents et misogynes (voir le viol de la reine et le supplice de la servante dont on coupe les nattes à la hache), à tel point que la Gaule des Mérovingiens passerait par comparaison pour un salon de thé victorien. Mais les embryons de nuance apportés par Ernest Borgnine, devenant de plus en plus humain à mesure qu'il se rapproche du Valhalla, finissent par le rendre finalement plus positif qu'Aella. Sur le thème de la violence, on notera que les deux scènes de mutilation, l’œil de Kirk Douglas et la main de Tony Curtis, sont filmées de façon heureusement tolérable, sachant que le maquillage du premier est assez réaliste pour être salué.

On reconnaîtra enfin que c'est tout à l'honneur du grand Kirk que de ne pas adoucir les aspects fortement négatifs de son personnage. Il compose en effet un Einar violent et vindicatif, qui consomme les femmes avec autant d'ardeur que les cornes de cervoise, si bien qu'il est impossible de se ranger de son côté, malgré son alliance tardive avec Eric. Or, pour un film des années 1950 où l'on aurait pu craindre une rivalité d'ego entre deux stars, c'est un parti-pris très intéressant que de ne pas se donner le beau rôle, alors que Tony Curtis tombe dans le trope plus commun du héros valeureux positif. Ça ne veut pas dire que Tony Curtis est mauvais, loin de là, mais Kirk Douglas offre quelque chose de plus neuf à observer, sans que ce soit l'une de ses meilleures performances, ceci dit. En fait, les deux acteurs restent un peu sur la même note à quelques nuances près, de telle sorte qu'on sera en droit de leur préférer Ernest Borgnine pour sa grande scène finale, malgré l'énorme frustration provoquée par le texte, qui ne lui donne, comme précisé, pas assez de matière alors que le rôle était très facile à étoffer et que l'interprète oscarisé trois ans plus tôt aurait pu trouver là une opportunité en or, si l'histoire s'était souciée davantage de psychologie au lieu de tout miser sur les combats et la beauté des lieux. D'ailleurs, les combats ne sont même pas si réussis que ça, puisqu'ils s'étirent en longueur et manquent souvent d'énergie pas moments. Heureusement, la prise du château fort et l'escalade des haches plantées dans les lourdes portes restent une séquence indéniablement spectaculaire.

Je crois avoir fait le tour de la question. En bref, l'intrigue et les performances concourent à faire tendre l'ensemble vers un 6, mais la découverte est si plaisante que j'ai très envie de monter jusqu'à 7: de beaux décors et de charmantes couleurs suffisent dans ce cas à m'émoustiller au plus haut point, et tant pis pour les opportunités manquées qui étaient tout de même à portée de main.

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* Voir les débats sur la typologie des bateaux vikings: le terme "drakkar" serait apparemment inapproprié.

3 commentaires:

  1. Avant toute chose : bonne année à toi (avec beaucoup de retard, désolé...) !
    J'ai peu de souvenirs du film (par contre c'est un des films préférés de ma soeur, la faute à Kirk-Douglas-son-amour-platonique... Moi je préfère Curtis, j'avoue !), mais je me rappelle très bien des images adaptées de la tapisserie de Bayeux, qui sont en effet délicieuses. Ne serait-ce d'ailleurs pas un excellent sujet de film que la vie de Guillaume le Conquérant ? Je ne crois pas qu'Hollywood en ait fait, même dans le but de surfer sur le succès des Vikings, c'est dommage.

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    1. Merci, à toi aussi!

      Je suis également partant pour un film sur Guillaume le Conquérant, mais j'avoue que c'est une période que je connais très mal. Probablement ma plus grosse lacune en histoire médiévale. Une animation dans le style de la Tapisserie pourrait être délicieuse.

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  2. Je ne connais pas tous les détails, mais c'est un épisode historique très intéressant, et on imagine très bien une grande fresque épique sur le sujet, avec son lot de batailles, d'oriflammes et de navires de guerre - et Errol Flynn dans le rôle-titre !
    Du point de vue de la psychologie des personnages aussi d'ailleurs, car après tout Guillaume n'était pas du tout l'héritier le plus évident : le questionnement sur la légitimité étofferait beaucoup le personnage, à mon avis. Si jamais tu connais un producteur que le sujet intéresserait !

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