jeudi 21 mai 2020

Where to find the boys and the booze!



La découverte de Lee Remick dans A Delicate Balance m'a donné envie de revoir les grands rôles de cette actrice dont on parle trop peu, à tort d'ailleurs, car elle n'a jamais oublié d'être merveilleusement parfaite et nuancée dans tous ses films, même lorsque le jeu n'en valait pas nécessairement la chandelle. C'est le cas de ce western comique, The Hallelujah Trail (Sur la piste de la grande caravane), réalisé par John Sturges et sorti dans l'indifférence générale en 1965. Ce n'est certes pas un grand film, mais il serait bien dommage de faire l'impasse dessus, car c'est tout de même l'occasion de voir Lee Remick réaliser les fantasmes les plus fous de Christina Crawford, puisqu'elle réussit à dénicher the boys and the booze, bien que prétendant ne s'intéresser ni à l'un, ni aux autres! Elle y incarne en effet la présidente d'une ligue de tempérance, bien décidée à stopper un convoi de whisky en plein Colorado, afin de sauver les pauvres âmes de Denver. Sachant que les Sioux convoitent eux aussi la marchandise, et que la cavalerie des États-Unis est chargée de la protéger de multiples factions au beau milieu d'une tempête de sable, les quiproquos ne seront pas longs à arriver...


En vérité, le film commence sous les meilleurs auspices: les citoyens catastrophés à l'idée de n'avoir plus une goutte d'alcool pour passer l'hiver sont dans un premiers temps à hurler de rire, mention spéciale à Donald Pleasence en oracle ivrogne qui lit l'avenir dans une bouteille de whisky, et conduit par-là même les braves habitants de la ville à commander quarante chariots de boissons alcoolisées, qu'il conviendra de faire venir de toute urgence avant que le blizzard ne bloque les routes jusqu'au printemps. Dans le rôle du convoyeur en chef, Brian Keith est lui-même amusant en homme hargneux qui répète inlassablement qu'il est un bon républicain, afin que nul n'ait de doute sur sa couleur politique. Du côté de l'armée, les personnages sont malheureusement un peu moins rocambolesques, puisque le seul personnage ayant un peu de personnalité est le capitaine joué par Burt Lancaster, dont la fonction principale est de rester stoïque face à toutes les situations incongrues qui s’entre-nouent, au point de finir complètement dépassé par les événements. À vrai dire, le pauvre homme est complètement éclipsé par l'énergique Cora Templeton Massingale, vigoureusement incarnée par Lee Remick, qui n'a pas peur de faire la révolution à Fort Russell en réclamant l'égalité hommes-femmes. Ces introductions nécessaires étant posées, on a alors très envie que les aventures commencent, même si j'ai hélas de fortes réserves sur le portrait des Indiens, sachant que Martin Landau grimé en Sioux n'est clairement pas le point fort du film.


Plus dommageable encore, l'histoire se révèle beaucoup trop longue pour finalement peu de choses. Le film dure en effet 2h30, mais certaines scènes sont tellement statiques et répétitives qu'on aurait pu faire des coupes sans aucun problème. Par exemple, ces trop nombreux pourparlers pour savoir quelle tribu indienne lancera l'attaque contre les chariots, ou pour aboutir à une solution alors que les convoyeurs sont en grève à l'instigation des féministes, sont tellement rébarbatifs que le rythme de l'intrigue en pâtit grandement. De même, s'il est hilarant dans un premier temps de voir Lee Remick embarquer toutes ses copines vertueuses dans cette aventure, on regrette fortement que la première moitié du film ne leur consacre qu'un unique running gag, à savoir se promener par tous les temps en répétant à l'infini le même cantique. Surtout, il est très décevant de réaliser que le scénario ne sait pas quoi faire de ces personnages féminins si prometteurs: les amies de l'héroïne n'ont aucune personnalité et sont toutes interchangeables, quelle que soit l'arme qu'elles apprennent à manier pour casser les bouteilles; la fille du capitaine est transparente comme tout, et Lee Remick elle-même est quasiment réduite à un rôle secondaire, car le film préfère ajouter de nouvelles séquences de pourparlers entre hommes au lieu d'approfondir la relation entre la présidente et le capitaine. Les touches comiques passablement lourdes finissent également par faire tourner cette comédie à vide, car si les échanges de situation entre l'héroïne et le soldat, surpris à tour de rôle dans leur bain, font sourire; les cavaliers qui se cachent dans les arbres pour épier leurs consœurs en petite tenue ne sont pas spécialement drôles; les mille tentatives de Donald Pleasence de vider quelques barils d'alcool à l'insu des gardiens deviennent franchement redondantes, tandis que la narration qui se moque de la langue des signes des Indiens n'est pas des plus heureuses. Pour commencer, l'histoire ne se passe même pas en territoire Sioux, mais passons.


Malgré tout, le film n'est pas dépourvu de qualités, loin s'en faut! Malgré ces réserves, on passe tout de même un bon moment, notamment grâce aux jolies images colorées du Nouveau Mexique, servant ici de décors au Colorado; et grâce à la musique d'Elmer Bernstein, une partition à la fois épique et comique qui donne envie de danser! D'ailleurs, j'ai l'hymne de la ligue de tempérance en tête depuis hier: j'ai envie de créer un spectacle autour de ce thème! Autrement, les scènes d'action, lorsque le film se décide enfin à créer du mouvement (!), sont plaisamment dynamiques, à l'exception de celle de la tempête de sable, tellement brouillonne qu'on ne sait plus qui est qui dans ce joyeux bordel. Par contre, la séquence finale de la course folle, alors que Cora tente de dévier les chariots vers un marais pour les engloutir, a été si dangereuse à filmer que l'un des cascadeurs y a laissé la vie. Les producteurs ont ordonné de laisser la scène en question dans le montage final, contre l'avis du réalisateur, ce qui est terrifiant.


Pour finir sur une note plus chaleureuse, parlons un peu de Lee Remick, qui aux côtés des sympathiques Brian Keith et Donald Pleasence donne la meilleure interprétation du film, malgré son temps d'écran limité. La première chose qui frappe est son charisme: en bonne meneuse de troupes, elle a toujours un petit air supérieur empreint de sérénité qui sert absolument le personnage. Elle semble même s'amuser à titiller le capitaine, prêt à tout pour l'empêcher de partir en expédition, ce qui apporte beaucoup plus d'humour à l'histoire que certaines des scènes les plus explicitement comiques. Surtout, elle trouve l'occasion de nuancer à merveille son personnage lors d'une scène d'ivresse superbement jouée dans le registre comique. On attendait évidemment cette scène depuis le début, afin de voir la vertueuse dame faire des écarts de conduite destinés à la rendre plus humaine, et la comédienne ne nous déçoit absolument pas de ce côté là! Elle est constamment drôle et convaincante alors qu'elle se reproche d'avoir gâché la vie et la carrière du capitaine, tout en suggérant qu'elle le désire follement, et ce sans jamais perdre le nord lorsqu'il lui faut retrouver son ingéniosité afin de parvenir tout de même à ses fins. Lee Remick livre ainsi une excellente performance dans un film qu'elle n'a pourtant pas pris grand plaisir à tourner, et qui ne nécessitait même pas une interprétation aussi détaillée. Il est donc tout à fait dommage que l'histoire ne lui soit pas entièrement consacrée: en regardant les grandes lignes, on a l'impression que l'actrice est complètement inutilisée, mais le détail révèle à quel point elle réussit à être brillante avec le peu à sa disposition. Note à Francesco: la nomination pour le Globe comique est parfaitement envisageable. Avec cette scène d'ivresse clôturant cette performance sur une bonne note, on peut même dire qu'elle a bien plus à faire que Julie Andrews dans La Mélodie du bonheur, bien que le film s'ingénie à la laisser de côté autant que faire se peut.


Conclusion: The Hallelujah Trail est trop long pour une avalanche de pourparlers trop statiques, et l'histoire est inutilement complexifiée par des factions si nombreuses que le film finit par ne plus savoir où donner de la tête, se contentant de rester dans un entre-deux gentillet. La fameuse rencontre de toutes les caravanes, si bien annoncée par une carte détaillant le déplacement de chaque troupe, a malheureusement lieu dans une tempête de sable brouillonne au possible, le tout débouchant sur un second acte interminable où l'on passe plus de temps à négocier en vain qu'à faire rire ou avancer dans l'action. Malgré tout, le film reste tout à fait plaisant à regarder, et nombre de séquences divertissent amplement. Le parti-pris parodique, les images chamarrées de Robert Surtees, la musique entraînante d'Elmer Bernstein et une performance de Lee Remick bien meilleure dans le détail que ce qu'on pourrait penser de prime abord, font en tout cas passer un bon moment, bien que ce ne soit ni le western ni la comédie du siècle.


4 commentaires:

  1. Je l'ai vu, figure-toi, mais à l'époque je n'avais pas aimé, malgré Reemick que j'avais trouvé très bien, comme toujours finalement. Je n'étais sans doute pas d'humeur à regarder un film burlesque, en fait. Et effectivement la disparition de l'héroïne, le côté répétitif de certaines scènes m'avaient perturbé !

    Sinon, elle a été nommée aux Laurel Awards pour ce rôle :

    https://www.imdb.com/event/ev0000394/1966/1

    Avec des concurrentes originales de la part de ce groupe, comme toujours.

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    1. Merci pour l'information. Je me suis toujours interrogé sur la valeur des Laurel Awards, qui donnent l'impression de récompenser à peu près tout et n'importe quoi, à la manière des Grammy qui multipliaient les sous-catégories, au point d'en avoir une pour la "meilleure chanson religieuse"!

      Je projette de voir Jane Fonda dans Cat Ballou, même si le film de m'attire pas. Je crois que même en divisant mes catégories entre drame et comédie, Fonda n'arrive jamais à la première place dans mes listes. Ce qui semble étrange pour une star de son envergure.

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  2. Cat Ballou, c'est sympa mais pas exceptionnel (sauf Lee Marvin). On peut en dire autant de Fonda (qui est néanmoins ma gagnante 1977 pour Julia !)

    Le Vengeur masqué

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    1. Julia est mon rôle préféré. Mais entre Gena Rowlands, Shelley Duvall, Sophia Loren et Irène Papas, j'ai de plus en plus de mal à lui donner un prix.

      C'est noté pour Cat Ballou. On verra ça!

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