samedi 2 mai 2015

Divas au soleil


J'adore la pluie. J'aime tout particulièrement les jardins d'avril fleuris sous un ciel gris et rien ne m'excite plus que d'entendre gronder l'orage en promenade, avec le risque de finir trempé si on ne presse pas le pas. Ceci dit, j'aime surtout les choses avec leur contraire, et lorsque la pluie ne cesse de tomber du matin au soir, j'en viens à vivement regretter un joli soleil de plomb aperçu sous un feuillage rafraîchissant. Pour oublier le mauvais temps de ces derniers jours de vacances qui m'empêche de sortir sous peine de ressembler à ça, j'en profite alors pour parler de Meurtre au Soleil (1982), histoire de continuer notre périple christien en compagnie d'un casting de luxe, et ce dans de fabuleux décors des îles de la Méditerranée, des lieux qui devaient être absolument enchanteurs à l'époque de l'histoire, avant que la pythie de Delphes ne décide de les polluer pour les trois prochains siècles en une unique pression du doigt.

Première surprise en redécouvrant le film: c'est beaucoup plus réussi que dans mon souvenir. Je donne quand même ma préférence à Mort sur le Nil qui m'a fait vibrer de bonheur lorsque je suis resté deux mois à l'hôpital au collège, mais Meurtre au Soleil est encore mieux photographié, avec de jolies couleurs qui mettent d'autant plus en valeur les lieux de l'intrigue que les teintes délavées des autres films christiens, et côté musique, la réussite est absolue, avec une partition entièrement adaptée de Cole Porter, que je préfère même aux chansons originales, c'est dire. Je suis généralement peu inspiré par la catégorie oscarienne de la meilleure musique adaptée, catégorie ayant disparu dans les années 1980, mais les airs réjouissants de Meurtre au Soleil justifieraient à eux seuls l'existence d'un tel prix, sachant que le lauréat de 1982, Victor Victoria, aurait été plus à sa place comme musique originale. Par ailleurs, le film qui nous occupe est franchement ludique puisqu'on peut réellement résoudre l'énigme en même temps que Poirot, pas comme dans l'Orient-Express où on n'était même pas fichu de nous montrer la lettre H brodée sur le mouchoir, et où les femmes de chambre mettaient la main à la pâte en grand secret. Quoi qu'il en soit, tous ces aspects contribuent à faire de Meurtre au Soleil un divertissement très honorable, idéal à regarder par temps de pluie pour s'évader dans de superbes décors supposément grecs quoique espagnols, et c'est évidemment un très grand plaisir de retrouver un casting très solide dominé par Diana Rigg et Maggie Smith.

Malgré tout, les véritables stars de Meurtre au Soleil sont en réalité les costumes d'Anthony Powell, qui, ayant visiblement trouvé qu'il n'avait pas eu la main assez lourde avec les turbans d'Angela Lansbury dans Mort sur le Nil, a décidé de transformer avec soin chaque acteur en meneuse de revue drag. Sincèrement, si l'on exclut le vermisseau soumis et sans volonté qui sert d'époux à Diana Rigg, son horrible rejeton maussade et James Mason qui a dû se faire piquer son moindre truc en plumes par sa femme depuis belle lurette, tous les personnages rivalisent d'ostentation comme pour décrocher le premier rôle d'un prochain spectacle queer, aussi me semble-t-il judicieux de regarder l'habituel top des protagonistes par le prisme de leurs costumes, du plus correct au plus grotesque, afin de déterminer qui aurait eu le plus de chances de détrôner Divine...

Garbo: I vant to be al...

Tallulah: Non, pas vous dahling, l'autre.

Orfeo: ... de son piédestal au tournant des années 1980. Et mine de rien, ce n'est pas chose facile considérant que chaque personnage se change en moyenne toutes les deux heures, en particulier Maggie Smith qui réussit l'exploit de porter cinq costumes différents le jour du meurtre, même pour aller du premier étage au rez-de-chaussée. Sachant cela, qui va gagner le prix de la queeritude ultime? [Attention, ça va spoiler méchamment à partir de maintenant.]

10 ~ Odell Gardener (James Mason)

Bon, évidemment il n'a aucune chance, mais il fallait bien trouver des noms pour monter jusqu'au top 10, et entre son petit œillet de poche et sa vulgarité non feinte, Mr. Gardener n'est pas le plus indigne du lot, quand bien même il s'agit là du moins bon rôle de l'iconique James Mason.

09 ~ La secrétaire (Barbara Hicks)

Je sais, elle fait de la figuration et n'apparaît que trois secondes sous la pluie londonienne, mais je suis sûr que sous ses airs de fonctionnaire frigide et renfrognée se cache une vraie bête de scène prête à voler la vedette à tout le monde, même aux drag queens les plus réputées.

08 ~ Le joli porteur

Suis-je le seul à trouver ce monsieur fort charmant avec sa peau basanée et son petit costume impeccablement taillé et moulant comme il se doit?

07 ~ Hercule Poirot (Peter Ustinov)

Certes un peu trop bedonnant pour être sexy, mais... Grands dieux, ce look! Avec ce maillot qui pousse le vice à porter les initiales du héros en écusson, ce peignoir aux animaux et ce bonnet de bain ressemblant méchamment à la coiffe d'une cantinière qui perd ses cheveux, voilà un personnage qui ne risque pas de passer inaperçu au bain. En espérant qu'Actéon ne soit pas dans le coin... Quoi que... Je doute qu'il s'y arrête longtemps...

06 ~ Patrick Redfern (Nicholas Clay)

Le doute n'est plus permis: si vous avez des interrogations sur le public visé par ce film, ce maillot de bain pas du tout tendance années 1930 achèvera de vous convaincre. Dommage que le modèle soit franchement falot, imberbe et ne puisse rien faire pour dissimuler ses bourrelets, ce qui à la réflexion rend l'expérience bien moins sexy qu'elle n'en a l'air. On notera en tout cas que le photographe a très bien saisi les enjeux du film en ne prenant même plus la peine d'avoir la tête du personnage dans le cadre au fur et à mesure des séquences au bord de l'eau. On classera néanmoins l'acteur assez haut car les lois mathématiques sont imparables: de jolies fesses seront toujours plus attrayantes que des aisselles flasques sauce poireaux. Mais je préfère quand même le joli porteur de bagages.

05 ~ Rex Brewster (Roddy McDowall)

Mais qui a eu la bonne idée de nous rappeler toutes les deux secondes, ô pauvres spectateurs, que le personnage joué par Roddy McDowall est homosexuel? Parce que c'est vrai qu'entre son admiration sans bornes pour une starlette à paillettes, ses tenues de marin et ses petites danses super maniérées, on avait encore quelques doutes. Ma préférence va néanmoins à sa tenue de soirée assez chic, l'écharpe autour du cou le faisant certes ressembler à un éditorialiste aussi nullissime qu'inutile tout en le rendant malgré tout plus séduisant que son peignoir de capitaine de sitcom.

04 ~ Christine Redfern (Jane Birkin)

"Oooooh! Je suis une pauvre petite chose malheureuse et trompée qui fond comme neige au soleil au moindre rayon. Snif snif. Oh! Et en plus j'ai le vertige. Bouh. Que je suis à plaindre. Ou pas. Niark niark niark!" On adore tout particulièrement la métamorphose de la dame qui intervient quand celle-ci en a techniquement le moins besoin, mais qu'importe, sa sortie de scène est irrésistible, quand bien même son chapeau de trois kilomètres de diamètre ne lui sied guère, à force d'étouffer le semblant de charisme qui lui reste. Allons, je suis mauvaise langue: Christine n'est pas qu'une pauvre geignarde insignifiante puisqu'elle sait tout de même faire preuve de dynamisme en invitant la grognasse maussade à venir faire du dessin avec elle à la plage. Mais avouons que ses épaulettes beaucoup trop larges, ou que ses rayures même pas fichues d'aller dans la même direction, la mettent nettement moins en valeur que son kimono certes excentrique et sans doute inconfortable à force de voler dans tous les sens, mais dont les couleurs s'accordent mieux à son teint.

03 ~ Arlena Marshall (Diana Rigg)

Attention, on entre ici dans le trio de tête, et ça envoie du lourd! Diana Rigg se défend en tout cas très bien en n'hésitant pas à se vêtir de rouge, quitte à assortir sa robe du soir à la couleur de ses lèvres, et revêtant également des tenues décolletées très métalliques, un ensemble noir et blanc à rayures et un supêêêrbe maillot à pois multicolores qui devrait faire pâlir de jalousie toutes les clientes des clubs de thalasso du monde entier. Un petit bémol tout de même, car le personnage dépasse allègrement les bornes de la vulgarité autorisée, mais on adore malgré tout son petit sourire faussement étonné lorsqu'elle s'en prend à son admirateur préféré, sa façon de rabrouer l'insupportable ado maussade pas particulièrement polie elle non plus, et surtout son petit duel en musique avec la rayonnante...

02 ~ Daphne Castle (Maggie Smith)

... qui peut lui en remontrer à chaque instant sur le terrain vestimentaire, mais aussi sur le terrain de la drôlerie, puisque le personnage reste hilarant à toujours chercher un coupable via des hypothèses franchement abracadabrantes. Sans parler de son petit sourire de fierté lorsqu'elle parvient à compter sur les doigts du détective avant de se laisser duper en beauté. En tout cas, nous avons là une diva de choix, dont le fort potentiel queer est visible dès l'entrée en scène avec ses gestes maniérés pour ouvrir un rideau. Quant à ses tenues, ça oscille entre des vestes à pois qui ont l'air d'embarrasser l'actrice en premier lieu avec leurs motifs tout droit sortis d'un fond de placard de cuisine d'une école maternelle des années 1970; une veste métallique destinée à l'aider à voler la vedette à sa rivale, une veste incrustée de faux bijoux tous plus kitsch les uns que les autres alors qu'elle sert des saucisses lors d'un mot d'esprit très subtil envers les anciens succès d'Arlena; et une tenue de promenade gay friendly ornée d'un T-shirt aux couleurs de l'arc-en-ciel. Dommage que son ombrelle chinoise n'ait pas, comme la mienne, des nénuphars peints dessus. Dommage également que ses grosses lunettes rondes franchement affreuses n'aient pas le même effet que celles portées par...

01 ~ Myra Gardener (Sylvia Miles)

... notre grande gagnante de la soirée, parce que chacune de ses tenues, depuis le chemisier bleu à pois blancs au maillot de bain avec gros nœud de caniche dans les cheveux, en passant par les chaussons velus ultra vulgaires, la robe rouge et jaune métallisée, le voile de pharaonne et le look bleu de la mort qui tue, est à mourir de rire! Attention, si vous avez l'audace de cliquer sur les photos pour les avoir en gros plan, je ne réponds de rien! Le plus monstrueux, c'est lorsqu'on prend deux minutes pour écouter le doublage français opéré par nulle autre que Micheline Ursula Dax, ce qui nous ramène bel et bien à Divine et achève de faire du personnage une gorgone tellement vulgaire que même la pauvre Méduse en serait pétrifiée d'effroi: "N'est-ce pâââââs Octââââââve?" "Plutôt la clâââssique rrrrâge de dents de la crrrrroqûêûse de diamânts!" "Vous êtes producteuuuur! N'est-ce pâs mon chouuuu?" Ceci dit, rien que la version originale vaut son pesant d'or avec toutes les grimaces et sourires carnassiers de l'actrice qui, étant toujours et fort heureusement parmi nous, ferait bien de se lancer dans une comédie musicale sur les trois Gorgones: ça ferait fureur dans le monde de la nuit!

Voilà, j'espère sincèrement que ces articles christiens vous auront plus. Nous finirons par deux mots sur Rendez-vous avec la mort, également meilleur que dans mon souvenir, avec plein de jolies images pour touriste pas très difficile, et où Piper Laurie et Lauren Bacall rivalisent de rires narquois parfaitement jouissifs, notamment la première qui sait comment regarder un adversaire pour le fusiller dans la seconde avec un incendiaire: "And I can prove it." Dommage que le film suinte les années 1980 par tous ses pores, en particulier avec le beau gosse musclé tout droit sorti d'une pub pour rasoirs jetables. Mais tous vulgaires soient-ils, ces films n'en restent pas moins hautement divertissants et toutes ces vieilles divas peinturlurées sont irrésistibles chacune à leur manière. De là à conclure par un top 10 des meilleurs personnages christiens de cinéma? Peut-être dans un prochain article.

2 commentaires:

  1. Le montage Maggie Smith est devenu mon fond d'écran actuel ! Merci beaucoup. :-)

    Ah, je suis persuadé que quelqu'un a pensé à Bette Davis dans Now, voyager, pour l'entrée spectactulaire de Jane Birkin : l'escalier, la tenue, le chapeau, la transformation ... ça commence avec un plan sur les pieds ? je ne sais plus .. pourtant je repassais cette séquence en boucle, dans mon jeune temps. Comment ? Non ! Je ne faisais pas ça avec celle où on voyait l'époux en maillot de bain. Pourtant, ça participe un peu de la même sensibilité !

    L'AACF

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui, je n'avais pas pensé à Now, Voyager, mais c'est vrai que les deux entrées se ressemblent. Pas de plan sur les pieds pour Birkin, mais ça commence avec le buste, et l'effet est renforcé par les coupes sur Roddy McDowall ébahi et Sylvia Miles blasée, elle-même juste devant un statue de bœuf aux gonades très apparentes et semblant se dire: "Que fait-elle celle-là? C'est moi la diva ici!"

      Quand je regardais le film en français sur ma vieille VHS, j'adorais cette même séquence, mais surtout pour Sylvia Miles qui sortait un très rauque et très distingué: "Qui c'est ça Roubeurrrrr?" Il en faut peut pour me faire rire en fait.

      Supprimer