mardi 15 mars 2016

Brooklyn (2015)


Suite de ma rétrospective 2015 avec deux nouveaux films au compteur, ceux qui valurent des nominations et plus à deux actrices de mon âge ou plus jeune que moi, ce qui est effrayant. Commençons par l'histoire la plus charmante mais peut-être la moins marquante, encore que je me sois bien reconnu dans le portrait d'Eilis Lacey, une jeune fille qui cherche sa place dans un monde où tout est beau et courtois: le rêve!

Et allons tout de suite à l'essentiel: c'est très beau. Brooklyn nous offre en effet de magnifiques photos de mer, de jolis décors d'antan et toute une panoplie de costumes très colorés qui me touchent droit au cœur et me donnent envie de sonner chez Saoirse Ronan pour lui demander de partager sa garde-robe avec moi. En outre, ces jolis effets visuels, accompagnés d'une musique ravissante aux accents à la fois romantiques et guillerets, sont au service d'une histoire chaleureuse qui permet de s'évader miraculeusement pendant deux heures tout en divertissant constamment. Je ressors ainsi de l'expérience particulièrement ravi et courrai acheter le DVD dès que ce sera disponible. A ce stade, vous allez donc vous imaginer que je vais mettre une très bonne note en fin d'article. Pourtant... je ne suis pas du tout convaincu par la trame narrative et ai légèrement l'impression de m'être fait avoir.

En effet, le scénario choisit constamment la voie de la facilité en nous présentant un monde où tout se teinte d'une robe rose bonbon et où des anges viennent résoudre chaque conflit d'un claquement de doigts avant même que l'héroïne ait réellement le temps d'être affectée par ce qui lui arrive. Le plus gros défaut du film est ainsi d'avoir transformé Eilis en la plus effroyable des Mary Sue. Anne vous expliquera le concept bien mieux que moi, mais j'entends par-là que le scénariste a ôté toute complexité à l'héroïne en en faisant une personne belle, intelligente et racée à qui tout arrive sur un plateau et que le reste du monde vient aider à franchir de minis obstacles qu'elle a à peine le temps de voir venir avant de s'en contreficher totalement dès la séquence suivante. Tout cela met du baume au cœur, c'est indéniable, mais d'un point de vue narratif, c'est aberrant. Je m'en vais d'ailleurs vous révéler les trois quarts de l'intrigue pour bien illustrer mon ressenti, en vous épargnant le seul et unique spoiler digne de ce nom, qui n'intervient que dans le dernier tiers du film.

Voilà donc comment se passent les choses pour notre jeune émigrée. Ainsi, il n'y a pas de travail pour elle en Irlande, mais elle a quand même un emploi dans une boulangerie. Il lui est malgré tout difficile de trouver une place plus gratifiante? Et hop, voilà qu'un prêtre sorti de n'importe où arrive à la sponsoriser outre-Atlantique en lui offrant un job de vendeuse dans un magasin de luxe. Lors de la traversée, ses compagnes de voyage monopolisent les toilettes à mesure que le navire tangue? Et hop, une jeune femme déjantée qui ne semblait pas faire grand cas d'elle arrive à point nommé pour lui octroyer le précieux territoire pour le reste du trajet. Eilis a néanmoins mauvaise mine en débarquant parce qu'elle n'a rien mangé sur le bateau? Et hop, la jeune femme déjantée la maquille en star de cinéma et on lui valide son passeport sans problèmes. Une fois installée, Eilis n'en reste pas moins la dernière arrivée à la pension et doit se contenter d'une chambre très commune? Et hop, dès que la belle suite avec entrée indépendante se libère, on la lui offre sur un plateau juste parce qu'elle est l'héroïne et qu'il faut que tout soit rose et doré pour elle. Ceci dit, elle n'a pas les moyens de se payer les cours lui permettant de réaliser son rêve, en l'occurrence devenir comptable? Et hop, le gentil prêtre s'arrange pour lui financer les trois premières années en sortant l'argent de sa poche comme un lapin de son chapeau. Elle passe cependant tout son temps à travailler au grand magasin et à sortir tous les soirs, mais elle réussit ses examens avec mention plus que très bien sans qu'on la voie jamais réviser.

Et ce n'est pas fini! Eilis a le mal du pays et se sent seule? Et hop, il lui suffit d'aller au bal une seule fois pour trouver l'homme de sa vie du premier coup. Au magasin, elle est la plus inexpérimentée des vendeuses et a du mal à sortir de sa coquille? Et hop, l'amour la transforme du jour au lendemain en commerçante épanouie qui surpasse toutes ses collègues. On la prévient ensuite que sa possible belle-famille italienne lui sera hostile? Et hop, tout le monde se met à l'adorer en une minute dès qu'elle leur montre qu'elle sait manger des spaghettis sans éclabousser toute la cuisine de sauce tomate. Elle n'a par ailleurs pas de maillot de bain pour aller se baigner à Coney Island? Et hop, sa patronne rigide devient tout à coup sa meilleure amie et lui offre la plus belle pièce du magasin. Après ça, comme il faut tout de même un peu de noirceur pour pouvoir lancer le second acte, le scénariste décide de faire mourir subitement sa sœur adorée restée en Irlande afin qu'Eilis doive faire l'expérience d'un retour au pays. Mais, passée une mini scène de larmes elle semble avoir tout oublié du tragique événement et ne paraît traumatisée à aucun moment dans la seconde partie. Avant de partir, elle craint toutefois que sa logeuse l'ait entendue faire l'amour avec son petit-ami italien? Mais en fait non, tout va bien, personne n'a rien entendu dans la pension et le conflit potentiel est une fois de plus tué dans l’œuf. Enfin, rappelons qu'Eilis avait quitté l'Irlande parce qu'il n'y avait ni travail ni bon parti pour elle. Mais il lui suffit de rentrer au pays pour que tous ceux qui ne faisaient aucun cas d'elle moins d'un an auparavant lui offrent le job de ses rêves et le meilleur fiancé possible dans une boîte enrubannée. 

A la fin, le scénario fait très difficilement ressentir la force des thématiques les plus intéressantes, le mal du pays ou la disparition d'un être cher, parce qu'aucun conflit n'en est vraiment un, l'héroïne n'ayant qu'à attendre sans lever le petit doigt qu'une âme charitable lui offre un emploi bien payé ou un fiancé raffiné et bien gaulé dans un papier-cadeau fleuri. Dès lors, c'est seulement à partir du retour aux sources que l'histoire démarre pour de bon, car Eilis y est désormais confrontée au seul et unique conflit que personne ne pourra résoudre à sa place, à savoir choisir entre deux vies de chaque côté de l'Atlantique qui, toutes, sont aptes à la combler comme jamais elle n'aurait pu l'imaginer avant son départ. Cette tonalité hautement chaleureuse est indéniablement réjouissante en direct sur grand écran, mais on reste quand même sur sa faim, et l'on aurait aimé que l'héroïne soit confrontée à de réels défis afin de s'en sortir par elle-même, et pas juste à de minis faits divers de pacotille aux conséquences plus éphémères qu'un papillon.

Par bonheur, Saoirse Ronan sauve entièrement le film à elle seule. En effet, elle donne vie à l'héroïne avec tout ce qu'il faut de larmes et d'humour savamment dosé qui nuancent très joliment sa performance, et contrairement à l'histoire, elle restitue à merveille en quelques regards les conflits intérieurs qui l'étouffent et s'élève ainsi à des années-lumières au-dessus du scénario. Je suis tout particulièrement touché par sa timidité charismatique, car toute courtoise et réservée qu'elle soit, elle garde toujours un petit sourire espiègle en coin qui donne constamment envie de s'intéresser à son personnage, dont on n'a jamais l'impression qu'il soit passif lorsqu'on regarde ce qu'elle en fait, malgré les aberrations qu'on lui fait faire sur le papier. Et alors que la repartie dont Eilis est dotée aurait pu être incroyable dans le texte compte tenu de tous ces anges salvateurs qui agissent à sa place à la moindre occasion, Saoirse a précisément le charisme nécessaire pour qu'on ne soit jamais étonné de voir l'héroïne s'amuser avec son partenaire ou dominer de son auguste présence son village natal et sa meilleure amie niaise, même avant qu'elle s'en aille découvrir d'autres contrées. Par ailleurs, il est formidable de voir l'actrice présenter les petites parts d'ombre d'une jeune femme en construction, notamment lorsqu'elle trouve le moyen d'abandonner à son sort sa colocataire geignarde, ou lorsqu'elle se montre désagréable envers le sympathique Irlandais du second acte dès leur première rencontre. 

Une autre chose que j'aime beaucoup, c'est son angoisse de lire les lettres que lui envoie Emory Cohen après son retour, une trouvaille scénaristique enfin captivante à laquelle l'actrice apporte le sentiment de culpabilité requis en un clin d’œil. En somme, Saoirse porte le film sur ses épaules et dépasse de très loin le scénario en apportant à elle seule l'épaisseur que le scénariste n'a pas su donner au personnage. On ne parlera néanmoins pas de révélation, car même si l'actrice doit à présent compter comme une future star en puissance, sa petite peste d'Atonement indiquait déjà que l'enfant de 2007 avait du potentiel, sans toutefois parvenir à la cheville des deux autres avatars de Briony, dont une bouleversante Vanessa Redgrave que je nomme dans ma liste malgré ses cinq minutes d'apparition. Saoirse devait donc encore m'impressionner après cet avant-goût d'il y a huit ans, et c'est à présent chose faite avec Brooklyn. Il est en tout cas très facile de tomber amoureux d'elle et j'ai à présent très envie de guetter sa prochaine apparition: je suis conquis!

Pour les seconds rôles, on retiendra essentiellement Julie Walters en logeuse austère mais rigolote qui renferme évidemment un cœur d'or et qui a le mérite de rabattre le caquet des deux idiotes qui soupent à sa droite. Ce n'est certes pas une performance assez exceptionnelle pour mériter nomination, mais la dame aurait été bien plus à sa place aux Oscars comparée aux fraudeuses, et par principe on sera content de retrouver celle qui trente ans plus tôt avait ravi le monde entier dans Educating Rita. Fiona Glascott est quant à elle mignonne et touchante en sœur sacrificielle qui ne se plaint jamais et tente de vivre par procuration la vie d'aventures dont elle rêve, Jane Brennan est elle aussi pas mal en mère émue quoiqu'elle ne s'étonne de rien, tandis que Brid Brennan est totalement commune en vieille fille médisante assez peu subtile. Du côté des amoureux, Emory Cohen n'est, contrairement à ce qu'on raconte, ni beau ni digne d'une nomination tant il est si peu complexe, mais son joli torse le rend plus intéressant qu'il n'y paraît, et Domhnall Gleeson était mieux utilisé la même année dans Ex Machina. Mon personnage préféré reste néanmoins la pensionnaire qui dîne à droite de Saoirse Ronan et dont on apprend quelques bribes du passé, mais elle apparaît si peu qu'elle n'a nullement le temps de marquer les esprits. 

A la fin, je ne sais vraiment pas comment noter le film: j'ai beaucoup aimé et ça permet de s'évader dans un monde sans soucis pendant deux heures, mais cette série de dénouements féeriques fait davantage pencher l'histoire du côté de Barbie au bal des douze princesses que du côté de Pola Negri revient à New York en troisième classe et reste coincée dix jours à Ellis Island. Certes, on ne peut pas demander à un film traitant de l'immigration dans les années 1950 d'atteindre le degré de tragique d'une histoire comme The Immigrant de James Gray, mais la tonalité trop ostensiblement merveilleuse de Brooklyn, quoique extrêmement divertissante, a quelque chose d'un peu trop perturbant malgré tout. Un 7 serait trop généreux, mais un 6 ne refléterait pas l'extrême bonne humeur qui m'a accompagné tout du long. Comme j'aime le bonheur, les arcs-en-ciel et que je suis un peu amoureux de Saoirse Ronan, je monte à un tout petit 7-, mais c'est bien parce que c'est elle!

1 commentaire:

  1. J'ai beaucoup aimé ce film. Le scénario ne casse pas trois pattes à un canard, mais Saoirse Ronan est sublime, comme la mise en scène d'ailleurs.

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