samedi 4 juin 2016

The Unknown (1927)


Contrairement à toute attente, je n'avais toujours pas vu The Unknown avant cette semaine, alors que c'est un classique et qu'il y a Joan Crawford dedans! Qui l'eût cru? A présent que j'ai comblé cette lacune, quel est mon ressenti sur le film muet le plus célèbre de Tod Browning?

N'étant pas friand de films d'horreur, je ne peux pas dire que je sois absolument renversé par l'expérience, mais The Unknown possède incontestablement un atout que les Freaks et Dracula du même réalisateur n'ont pas: celui d'avoir un héros si complexe qu'il y a finalement beaucoup d'humanité derrière le simple effroi. En effet, là où Freaks se contente de présenter une galerie de personnages aux corps défaillants dans le simple but de mettre mal à l'aise, et là où Dracula se contente simplement de sucer quelques gouttes de sang, The Unknown va plus loin en racontant l'histoire d'un homme à la fois mystérieux et masochiste, amoureux et criminel, et qui réussit à susciter de la sympathie par moments malgré de viles manigances qui devraient théoriquement nous mettre du côté des autres personnages. Cet exploit est en grande partie dû à l'extraordinaire performance de Lon Chaney, que j'ai rarement vu si bon à l'écran et dont le visage qui s'illumine parfois d'un sourire ému peut aussitôt suggérer une perversité inouïe ne manquant pas de faire froid dans le dos. Cerise sur le gâteau: avec l'aide d'un véritable manchot qui a apparemment servi de doublures jambes dans certains plans, Lon Chaney livre une vraie performance physique qu'il faut saluer, parce qu'il dépasse allègrement la simple imitation de gestes pour étoffer la moindre bouffée de cigarette fumée avec les pieds par une véritable profondeur psychologique constamment lisible sur son visage. Entre physique et profondes émotions, cette interprétation est exceptionnelle et mérite sans mentir sa réputation mirobolante.

Cependant, Lon Chaney n'est pas le seul à apporter sa pierre à l'édifice, car Tod Browning insuffle vraiment à son film un rythme trépidant qui tient en haleine jusqu'au bout, et ce notamment au prix de deux séquences qui mettent si mal à l'aise que j'ai éprouvé le besoin de cacher une partie de l'écran avec ma main lors du dernier spectacle, preuve que je ne suis pas encore aussi insensible que je l'aurais cru face à l'horreur des mutilations. Quant à la scène de la clinique, elle a beau ne rien montrer, le seul geste que fait le héros pour expliquer ce qu'il attend du chirurgien a de quoi vous glacer le sang, sans compter que l'univers aseptisé de ce bâtiment médical austère où ont lieu toutes sortes de dépravations, entre chantage et manipulations corporelles immondes, en impose déjà assez par lui-même pour faire frémir d'horreur. Cette salle froide et blanche s'oppose d'ailleurs brillamment aux décors de cirque, de roulottes et de places madrilènes, Richard Day et Cedric Gibbons (tiens donc!) ayant créé de jolis décors qui vous font bien rentrer dans l'histoire dès le premier plan. Félicitons encore le travail d'Harry Reynolds et d'Errol Taggart sur le montage, à la fois pour le rythme insoutenable de la dernière séquence, mais aussi pour l'introduction où Joan Crawford manque de se faire poignarder à chaque lancer de couteau, malgré une ou deux transitions un peu abruptes. Quant aux costumes, les saltimbanques ont beau être vêtus de façon minimaliste, l'exploit d'avoir dissimulé les bras de Chaney sous ces amples manches reste à saluer.

Il m'est hélas impossible d'en dire plus tant le film est court et l'histoire allant directement à l'essentiel, mais on notera tout de même que cette rapidité n'est nullement un empêchement au plaisir, d'autant qu'avoir trouvé le moyen de présenter un héros complexe en à peine une heure de film laisse vraiment penser qu'il n'y avait pas besoin d'enrober davantage la trame générale. La dernière bonne surprise vient enfin de Joan Crawford, qui après seulement deux ans de carrière révèle déjà les signaux d'un immense talent. En effet, si Nanon est uniquement définie par sa peur des attentions trop physiques des hommes et se révèle finalement pas bien difficile à faire changer d'avis, et si le scénario oublie de la montrer vraiment triste après l'assassinat de son père, Joan Crawford la dote malgré tout d'une forte présence, tout en étant fort crédible autant dans la bienveillance que dans la peur et ce sans jamais surjouer la moindre expression, sauf peut-être lors du premier meurtre mais ça dure une seconde et nous sommes dans un film muet après tout. Et le meilleur, c'est que Nanon est une héroïne toujours active qui fait ses propres choix par elle-même et ne manque pas de courage quand il le faut, et Joan période flapper a précisément le dynamisme requis pour donner vie à de tels traits de personnalité. Après, elle n'atteint jamais les sommets génialissimes de son partenaire, mais pour une toute jeune femme quasi débutante, donner une performance de cet acabit est déjà plus que prometteur, de quoi confirmer que si l'on a tendance aujourd'hui à reléguer la star derrière ses consœurs plus virtuoses de la même génération, Crawford n'en demeure pas moins excellente et toujours très pro dans quasiment tout.

The Unknown reste alors une découverte marquante qui ajoute bien du piquant à la déjà exquise année 1927, et son effet est par moments si glaçant que je suis bien parti pour avoir ce film en tête pendant des années. Parce que c'est un peu trop court et qu'on aurait aimé rester davantage en compagnie de ces personnages intrigants, j'ai d'abord pensé en rester à 7, mais il se dégage quelque chose de si fort du visionnage qu'un bon 8 me semble de rigueur.

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