mercredi 8 juin 2016

Zwei Leben (2012)


Je viens de découvrir Zwei Leben (D'une vie à l'autre), un film germano-norvégien écrit et réalisé par Georg Maas et Judith Kaufmann, coécrit par Christoph Tölle et Ståle Stein Berg d'après un roman d'Hannelore Hippe, avec Liv Ullmann et Juliane Köhler. Evidemment, voir une légende vivante et une actrice dont on parle peu mais que j'aime beaucoup se donner la réplique m'avait immédiatement conduit à acheter le DVD cet automne, même si le résumé ne m'inspirait pas outre mesure, et voici le moment de donner mes impressions à chaud.

Je ne peux hélas pas parler de l'histoire: Zwei Leben est un thriller qui doit tout à son suspense et au passé mystérieux de son héroïne, et 80% de l'intérêt du film vient des rebondissements qui nous tiennent en haleine à mesure que des bribes en sont révélées. Je me bornerai à dire que le point de départ de ces rebondissements est en rapport avec deux sujets "honteux" de l'histoire allemande, le programme nazi du Lebensborn et les pratiques violentes de la Stasi ayant quadrillé la RDA par la suite, pour vous donner un goût très général du propos. Un reproche pour commencer: la première demi-heure est peut-être un peu trop longue à se mettre en place car les parts d'ombre sont à ce moment-là trop nombreuses pour permettre de bien comprendre où l'histoire veut en venir, a fortiori lorsqu'on ne connaît pas grand chose à ces questions et qu'il faut attendre la séquence au parlement européen afin d'avoir une définition claire et concise du Lebensborn. Toutefois, dès que les pièces du puzzle commencent à s'assembler, le suspense devient incroyablement captivant et l'on se retrouve avec un thriller savamment ficelé. On ressort de l'expérience avec le sentiment que tout fonctionne à merveille, l'enquête en elle-même étant par ailleurs très bien balancée entre séquences solennelles avec avocats internationaux et scènes de famille dans l'intimité d'un chalet, ce qui permet d'apporter à la fois de la chaleur et de la froideur à un ensemble dont les enjeux sont tous bien explorés. On se félicitera même que le plus gros défaut du film soit franchement minime, à savoir son introduction assez plate où la perruque d'une dame jouant double-jeu fait davantage penser à une parodie de film d'espionnage. Pas pour longtemps, heureusement, et dès qu'intervient la première séquence au chalet, tout redevient très pertinent sur la forme.

D'une façon générale, le style est un peu froid (normal vu le sujet!), et c'est à mon avis un choix judicieux puisque les images hivernales de la Norvège traduisent précisément la tonalité du film, mais sans la submerger trop lourdement. En fait, les photos de littoral grisonnant ou de ville enneigée ne sont que le reflet d'une ambiance terrifiante à mesure qu'on réalise que même une forêt paisible bien loin du rideau de fer peut receler de terribles secrets. A ce titre, la photographie de Judith Kaufmann mérite le coup d’œil car son esthétique sert bien l'intrigue: même les lumières de la ville ont quelque chose de froid. A vrai dire, les décors participent également de cette ambiance sous leur aspect a priori banal, à l'image de l'affiche pâlichonne de bouleaux placardée dans le salon des Myrdal, poster ayant de quoi inviter une touche de froideur dans la chaleur du foyer. Et comme pour souligner ce balancement entre froideur historique et intimité familiale, les rayons du soleil à travers les arbres égayent en retour la forêt nordique glaciale, de telle sorte que le film fonctionne à chaque niveau: le froid correspond à l'atmosphère recherchée, mais celle-ci est nuancée par un peu de couleur, et c'est exactement ce qui se passe dans la tête de Katrine. Pour en finir avec les décors, j'évoquerai rapidement la chambre bleue de Liv Ullmann et les cloisons en bois des autres pièces, soit autant de teintes faussement rassurantes qui permettent de souffler cinq minutes lorsque l'intrigue atteint son paroxysme. Dans l'absolu, c'est presque l'image d'Epinal de la Scandinavie qu'on voit défiler à travers ces images, mais on ne plonge jamais dans la caricature pour autant.

La cerise sur le gâteau de Zwei Leben tient sans doute à son interprétation, franchement irréprochable de bout en bout. Et c'est un réel plaisir que de voir Liv Ullmann parler norvégien! Dans le détail, elle est assez en retrait pendant un long moment, mais elle est constamment marquante, d'autant qu'elle joue une fois de plus exceptionnellement bien: tout est dans la subtilité, sans le moindre mouvement emphatique même quand elle aurait des raisons de le faire, et tout s'imprime magnifiquement sur son visage en toute simplicité, c'est parfait. Sven Nordin en mari qui s'interroge est lui aussi très bon malgré le relatif manque d'éclat du personnage, et Julia Bache-Wiig dans le rôle de la fille est plus que correcte. Même Rainer Bock a le temps de donner de multiples dimensions à son personnage en un seul gros plan, et c'est véritablement rafraîchissant de voir que le film cherche à donner de la complexité même aux plus petits rôles. Cependant, sa plus grande force est sans conteste Juliane Köhler, une actrice que je connais encore peu mais que j'adore déjà, après son exquise berlinoise insouciante et nazie qui se découvre lesbienne dans Aimée & Jaguar, et son exploit d'avoir donné une véritable humanité à Eva Braun dans Der Untergang, sans porter un jugement moralisateur sur le personnage. Zwei Leben est de ces trois films celui où elle m'impressionne le plus, car si dans Aimée & Jaguar elle (sur)joue peut-être un poil trop l'insouciance souriante du premier acte, elle s'astreint ici à une réserve de bon aloi puisque son héroïne cache des choses, mais elle exprime de multiples sentiments sous cette façade volontairement fermée. Sans surprise, sa performance est elle aussi dans la nuance: malgré l'enquête glaciale qu'il lui faut affronter, Katrine se montre immédiatement heureuse et chaleureuse avec sa famille, de quoi donner toute l'épaisseur requise au personnage en suivant l'atmosphère générale. Et surtout, Juliane Köhler réussit deux séquences exceptionnelles de subtilité: celle où elle perd pied lors de son témoignage au parlement européen, et celle où elle révèle enfin le nœud de l'affaire à sa famille, soit deux moments extrêmement bien joués où l'on sent à la fois chez Katrine le poids du passé, le doute et la volonté de bien faire. Or, ces émotions très contradictoires pour elle sont exprimées dans le même laps de temps, sans que l'actrice ne force jamais le moindre trait sur son visage. Bref, Zwei Leben confirme que j'ai effectivement très envie de découvrir l'actrice dans d'autres rôles, en particulier Nowhere in Africa, la pièce manquante parmi les films qui lui valurent citations.

Il est vraiment impossible de parler de Zwei Leben sans faire de révélations fâcheuses, aussi nous bornerons-nous à ces grandes lignes, mais la découverte vaut assez le coup pour donner à d'autres l'envie de tenter l'expérience sans trop en dévoiler. Ce n'est pas absolument parfait non plus, mais pour leur premier/second long métrage de fiction, Judith Kaufmann et Georg Maas ont concocté un bon thriller devant lequel on se prend vraiment au jeu passé la première demi-heure. Et honnêtement, Juliane Köhler donne bien du fil à retordre à Jessica Chastain pour les remises de prix 2012, même si je n'arrive pas encore à me décider pour ces années récentes! J'en reste à 7/10, mais c'est un bon 7.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire