lundi 25 juillet 2016

The Postman Always Rings Twice (1946)


Comptant parmi les premiers films de l'âge d'or hollywoodien découverts aux prémices de ma cinéphilie, Le Facteur sonne toujours deux fois, de Tay Garnett, avec Lana Turner et John Garfield, a longtemps fait office de classique à mes yeux de néophyte. Venant de le revoir pour la première fois après une bonne douzaine d'années, puis-je encore le considérer comme tel?

Commençons par le négatif: le scénario. En effet, l'histoire est inintéressante au possible dans sa première partie, celle du triangle amoureux où les amants maudits tentent de tuer un mari encombrant en s'y prenant comme des pieds, et totalement incohérente dans le second acte, à partir du procès. A vrai dire, les incohérences sont déjà prégnantes au départ, avec ce personnage de mari benêt qui ne soupçonne jamais sa femme d'être volage, quand bien même celle-ci manque constamment de se faire embrasser par leur employé. Et lorsqu'il voit deux valises pleines à craquer dans l'entrée, le pauvre époux ne pense qu'à un possible vol, allant même jusqu'à encourager les deux jeunes à danser ensemble, sans s'étonner non plus de les voir partir se baigner sans témoin. C'est ridicule, mais pour compléter le tableau, les amants ne sont guère plus intéressants: Frank Chambers est l'archétype du héros largué prêt à toutes les folies pour les belles jambes d'une bimbo, et Cora Smith semble tellement écervelée lors de son entrée en scène, à roucouler dans la pièce sans pouvoir se passer de son miroir de poche, qu'on lui trouve difficilement le moindre charme. A moins d'être hétéro, je suppose, l'argument physique étant indéniable, mais pour ce qui est des personnalités, rien d'attachant ne se profile à l'horizon chez aucun des membres du trio, quand bien même Cora prend de plus en plus d'envergure tout au long du film. Quoi qu'il en soit, la scène où Frank se met subitement à souhaiter la mort de l'époux est mal amenée: ça sort de n'importe où alors que le personnage n'a aucun intérêt à voir le mari mort à ce moment-là, puisqu'il peut tripoter l'épouse à sa guise sans jamais être soupçonné. Quant aux tentatives d'assassinat, même une religieuse aurait trouvé des moyens plus ingénieux pour les maquiller en accidents. Certes, il faut que le couple se fasse pincer à mi-parcours, mais ce n'est pas une raison pour faire un marathon dans un ravin avec un sac à main!

Paradoxalement, la seconde partie est bien plus captivante à mesure que germe la haine dans la relation d'amour suite au meurtre, mais la scène du procès est proprement aberrante. En effet, on ne comprend rien aux démêlés de l'affaire, tout se passe sur décision du juge sans que nul ne s'étonne des magouilles des avocats, et l'on ne nous fera pas gober qu'une femme qui passe son temps à changer sa déposition, plaidant coupable de surcroît, puisse être acquittée faute de preuves. Il est vraiment dommage que le procès soit autant bâclé, car on y trouve les deux personnages les plus charismatiques du film, Leon Ames et Hume Cronyn en avocats véreux. D'un autre côté, ce n'est pas tellement le procès qui fait avancer l'histoire que la façon dont les supercheries s'enchaînent, mais ça manque tout de même d'un peu trop de cohérence pour qu'on puisse apprécier le tout. Autrement, la furtive apparition d'Audrey Totter est absolument inutile: tant qu'à couper ses scènes au montage, il aurait fallu supprimer son personnage au lieu de lui faire dire trois bêtises et de la voir partir faire la java juste parce qu'un homme viril arrive à faire démarrer son moteur...

Donc, l'histoire laisse à désirer. Mais cela fait-il du Facteur un mauvais film pour autant? Non! Car les images sont tellement bien travaillées qu'on se prend tout à fait au jeu. Tout d'abord, le montage sur l'introduction de Lana Turner est mythique: un tube de rouge à lèvres qui roule, la caméra qui remonte sur des jambes nues, un plan de coupe sur un John Garfield ahuri et enfin, l'apparition de la splendide héroïne, tout de blanc vêtue. Evidemment, les vêtements immaculés qu'elle porte dans tout le film ne font que cacher la véritable force de caractère d'une femme aussi hardie que ses cheveux blond platine sont agressifs: ce symbole amusant fonctionne à défaut d'être subtil. On admirera également la mise en valeur de cette blancheur, en particulier lors des scènes où les amants sont éclairés par à-coups par la nouvelle enseigne lumineuse, histoire de renforcer l'aspect trouble de cette relation. Le jeu sur le panneau de recrutement est également bien trouvé: John Garfield est prêt à le brûler une fois qu'il a décroché le poste, mais apprenant que la charmante apparition est l'épouse du patron, il hésite tout à coup. Partira-t-il? Un regard langoureux sur les jambes appuyées sur le porche mettra fin à ses doutes... La photographie de Sidney Wagner fait quant à elle un excellent usage des rayures, qu'il s'agisse de l'ombre des stores ou des branches s'infiltrant dans la maison, ou des reflets des barreaux qui coupent les cellules et le tribunal en deux, pointant inexorablement sur celle par qui le scandale est arrivé. Les divers plans montrant la sérénité du couple perturbée par les apparitions du mari appuient quant à eux sur la symbolique du triangle sans lourdeur, tandis que les images de nuit donnent toute sa force à la tonalité noire de l'intrigue, puisque là où l'héroïne ne peut s'empêcher de révéler une noirceur d'âme sous ses tenues blanches, la nuit ne peut à l'inverse se passer des filets lumineux d'envoûtants clairs de Lune.

Pour compléter le tableau, l'interprétation n'est pas brillante, mais aucun faux-pas n'est à déplorer. Mon principal problème, c'est que j'ai toujours un mal fou à me passionner pour les hommes de films noirs: je préfère mes acteurs fous ou romantiques, mais cette horde de types cyniques comme les aimaient les années 1940 me laisse assez froid. On notera simplement que John Garfield ne fait rien de particulièrement original ici, d'autant que je ne suis pas fan de son soudain repentir dans les scènes où son personnage perd pied. Cecil Kellaway est quant à lui doté d'un personnage idiot auquel sa jovialité ne parvient jamais à nous intéresser, et ce sont bel et bien Leon Ames et Hume Cronyn qui dominent le casting des mâles à partir du procès. Ceci dit, aucun de ces êtres virils n'arrive à faire le poids face à la très photogénique Cora, qui illumine les recoins les plus sombres de l'intrigue de sa fausse blancheur. Lana Turner était apparemment très fière de ce rôle, et j'avoue que la révision m'a rappelé à quel point son interprétation est bien plus réussie que dans mon souvenir. Il y a néanmoins beaucoup de maladresses, à commencer par son entrée en scène où elle a l'air d'une dinde avec son miroir de poche, et l'on sent à plusieurs reprises que ses grandes scènes ont quelque chose de laborieux à la façon dont ça s'imprime sur son visage. Mais la plupart du temps, on voit bien qu'elle s'est totalement investie dans le rôle, et l'effort est payant. On apprécie surtout sa manière de souligner que Cora n'est pas portée sur le crime de prime abord: l'idée germe progressivement en elle et c'est limpide. Le clou du spectacle reste néanmoins le second acte: elle ne s'épargne certes pas quelques maladresses dans l'expression de sentiments forts, mais ses éclats de voix, son dépit d'avoir été leurrée, la douche froide qu'elle fait subir à sa relation de couple, sans oublier son charisme de femme à présent fatale capable de manier le revolver sans sourciller, sont non seulement crédibles, mais assez impressionnants. A la fin, Lana réussit à nous intéresser au sort de Cora, et dire que c'était bien parti serait pur mensonge.

Moralité: en dépit d'une histoire bidon, Le Facteur se suit sans déplaisir grâce à de remarquables qualités techniques. On est loin du chef-d’œuvre, mais il y a assez de bonnes choses pour faire monter la note à 7/10, et considérer par-là même l'ensemble comme un petit classique. Mon souvenir n'était donc pas erroné.

5 commentaires:

  1. J. London Stanwyck3 août 2016 à 13:49

    Ah, en voilà un autre qu'il faudrait que je revoie... Je me rappelle que je l'ai vu sensiblement à la même époque qu'It's a Wonderful Life, et que ça m'avait semblé être un chef-d'oeuvre sur tous les plans, que ce soit au niveau du scénario, de la réalisation ou de l'interprétation. John Garfield particulièrement m'avait ébloui (mais je suis sûrement biaisé par le fait que c'est devenu mon fantasme n°1 de l'époque - les scènes de baignade du Facteur n'ont bien évidemment rien à voir avec cela, quelle idée)!
    Mais de mémoire Cronyn volait la vedette à tout le monde : c'est plutôt un acteur sous-estimé d'ailleurs, doté d'un certain charme, qui, n'eût-été Tallulah Bankhead, aurait donné la meilleure performance de Lifeboat, à mon sens.

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    1. J'avoue préférer William Bendix chez les hommes dans Lifeboat, mais Hume Cronyn reste parfaitement mémorable sans pour autant bénéficier d'une grande scène dramatique comme une amputation.

      John Garfield n'est hélas pas mon style du tout, autrement. Pour 1946, je ne jure que par Vincent Price dans Dragonwyck, à ce niveau là!

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  2. J. London Stanwyck3 août 2016 à 21:18

    Hmm, c'est vrai que Bendix a cet avantage, mais il m'a moins marqué que le calme raisonnable du personnage de Cronyn.

    Même dans Humoresque ? Ces regards qu'il lance à Crawford lors des premières mesures de la Symphonie espagnole sont pourtant très émoustillants ! Je connais très peu Price, je crois ne l'avoir vu que dans Laura, où il n'est pas très séduisant, et dans The Abominable Doctor Phibes, un film d'horreur très kitsch dans lequel il n'est pas non plus très à son avantage. Mais d'après les photos Price ne semble pas mal du tout dans Dragonwyck.

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    1. Non, vraiment, Garfield ne me fait ni chaud ni froid. Je suis difficilement sensible aux héros des années 1940, un peu trop désabusés à mon goût. A vrai dire, je trouve Crawford cent fois plus séduisante avec ses lunettes dans Humoresque. Mon style à moi, ce sont les aristocrates hautains de type Vincent Price dans Dragonwyck et Basil Rathbone dans Anna Karénine. D'ailleurs, il faudra que je remette à jour mon classement des héros de cinéma les plus séduisants, des changements sont à prévoir!

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  3. J. London Stanwyck4 août 2016 à 20:30

    On ne nous mettra pas d'accord dans ce cas ! Hmm, d'après mes souvenirs Rathbone dans Anna Karenina ne me plaît pas plus que ça, mais peut-être le trouverai-je plus charmant ailleurs. Je ne me souviens pas de cet article, j'y jetterais bien un oeil !

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