vendredi 15 juillet 2016

The Prime of Miss Jean Brodie (1969)


Si l'on se souvient de ce pur produit sixties de Ronald Neame aujourd'hui, c'est essentiellement parce qu'il valut l'Oscar à Maggie Smith, apparemment à la surprise générale puisque sa sortie avancée en mars n'avait pas, a priori, de quoi marquer les esprits au moment des votes, face à toutes les petites jeunes fraîchement débarquées en fin d'année (Bujold, Fonda, Minnelli). Et dieu sait si les votants ont la mémoire courte! Pourtant, malgré sa quasi unique nomination au compteur (l'autre étant pour la chanson originale), Jean Brodie réussit à faire triompher son actrice principale, appelée à devenir légendaire, et constitue donc l'un des rares exemples de prix où les électeurs choisirent celle qui leur sembla être la meilleure, au détriment du ramdam et de la nouveauté. Était-ce mérité?

La réponse est oui. Maggie Smith est le film. Elle est de quasiment toutes les séquences, ce qui lui laisse le temps de détailler avec précision la personnalité complexe d'une héroïne multidimensionnelle. Ainsi, Jean Brodie a beau être une très mauvaise enseignante (elle ne comprend rien aux fresques de Giotto dont elle prétend raffoler, et préfère apprendre à ses élèves à prendre modèle sur Franco et Mussolini...), elle n'en croit pas moins sincèrement à ce qu'elle fait, comme investie d'une mission d'éducation pour sortir de ce qui lui semble archaïque et transformer par-là même ses pupilles favorites en élite moderne à son image ("la crème de la crème"). Sortie de son contexte, la phrase du potentiel de chacun pour inspirer la grandeur peut avoir quelque chose de positif, et lorsqu'elle se défend devant la directrice en rappelant qu'elle est une enseignante jusqu'au bout des ongles, on y croit absolument parce qu'elle touche à l'essence même du personnage. Cependant, Miss Brodie est malsaine parce qu'elle ramène tout à elle et se croit démiurge ("Give me a girl at an impressionable age and she is mine for life."), mais elle n'en est pas moins éminemment conviviale en invitant son groupe à divers goûters et pique-niques. En somme, elle se croit constamment sûre d'elle, comme le rappelle son anecdote exaltée sur son ancêtre exécuté car insoumis, mais elle ne parvient jamais à cacher totalement ses névroses (sa peur panique du sexe) ou ses fêlures: la scène des diapositives où elle craque devant tout le monde la montre enfin sous son vrai jour, et c'est criant de réalisme. Bref, Jean Brodie est un monstre d'égoïsme qui ne sourit que lorsqu'on parle d'elle, et pour qui la mort d'une élève n'est qu'une broutille face aux attaques de la directrice à son encontre, mais Maggie Smith parvient à la rendre tellement humaine qu'on arrive presque à la trouver attachante par moments. Pour ce faire, elle use d'un jeu théâtral qui sonne très juste à l'écran puisque Miss Brodie se met constamment en scène pour impressionner la galerie (les gestes des mains, l'air de supériorité qu'elle garde même en bougeant les sourcils!), mais surtout, elle reste constamment charismatique et toujours très drôle ("Vous n'avez pas l'air d'une fille qui fait des nœuds, vous.").

Comme en témoigne la scène amusante du poster, où la directrice réalise que Miss Brodie vient de masquer le portrait du premier ministre dans sa classe, laquelle fait semblant d'être gênée alors qu'elle est ravie de l'étonnement de sa rivale; le film atteint son paroxysme dans les joutes entre Maggie Smith et Celia Johnson. Aucune des deux ne veut évidemment céder du terrain à l'autre et chacune se lance dans un duel de moues hautaines pour ne pas s'écraser, même si Miss Brodie remporte quand même le match de la repartie, quitte à placer la directrice devant ses propres démons. Celia Johnson montre d'ailleurs bien la jalousie que ressent son austère personnage devant l'enseignante épanouie, ou qui se fait passer pour telle, et le sourire de triomphe qui passe sur ses lèvres alors qu'elle croit enfin pouvoir mettre sa rivale au pied du mur révèle toute la complexité d'une femme bien plus forte que prévu malgré sa terne apparence. Le seul défaut de Celia Johnson, c'est qu'elle grimace énormément dans quasiment toutes ses répliques, mais puisque la directrice est elle aussi tenue de se mettre en scène pour se faire respecter, ça passe malgré tout, bien que Maggie Smith soit plus contrôlée dans ses expressions faciales.

Concernant les élèves, j'ai un léger problème avec Pamela Franklin, mais ne saurais dire si ça vient d'elle ou du scénario. Elle n'est certainement pas mauvaise et passe bien de la fillette docile à l'adolescente retorse, puisque même sous ses airs d'élève modèle on la sait déjà prête à tous les vices pour obtenir des renseignements, mais on ne comprend pas très bien dans son interprétation pourquoi elle change aussi radicalement d'avis envers Miss Brodie. On dirait vraiment qu'elle ne s'en prend à elle qu'une fois qu'elle la perçoit comme une rivale sexuelle, mais on voit mal à quel moment elle réalise que l'enseignement de celle-ci est réellement dangereux. Disons qu'elle donne l'impression de changer d'avis en fonction de ce que lui dit le prof d'arts plastiques, sans qu'elle ait l'air de réfléchir par-elle même à ce qu'elle a appris en grandissant, et c'est un peu dommage, car sa grande scène finale n'est pas aussi poignante qu'il aurait fallu (Maggie Smith est en revanche hors de tout reproche). Il y a bien la mort de sa copine qui influence également son ressenti, mais comme il se passe un long moment entre l'annonce dans la presse et la révélation comme quoi celle-ci n'a pas été envoyée se battre du bon côté, il se crée comme une coupure dans notre compréhension de Sandy. Mais autrement, Pamela Franklin n'est pas mal du tout, et la dernière confrontation dont je parlais la voit faire preuve d'assez de charisme pour être crédible en face de l'auguste présence qui lui donne la réplique. A côté, la seule autre élève qui parvient à marquer les esprits, c'est bien sûr Jane Carr en Mary McGregor, qu'elle dote d'un bégaiement crédible et d'une bêtise tristement hilarante, surtout avec la tête à l'envers! Autrement, Robert Stephens souligne bien son propre agacement devant son obsession malsaine pour Jean, mais son personnage de peintre raté qui couche avec ses élèves pour mieux leur donner la tête de Miss Brodie sur ses toiles a curieusement du mal à m'intéresser.

Avec tous ces personnages, le scénario est dans tous les cas vraiment captivant, mais j'aimerais lire le livre d'origine afin de savoir si l'adaptation est correcte: en l'état, le propos me semble riche mais je suppose que le roman de Muriel Spark doit l'être davantage. On regrettera simplement que la direction de Ronald Neame soit si quelconque qu'on saute parfois d'une époque à l'autre sans trop de liant, la faute aux jeunes actrices trop âgées pour leurs personnages au départ et dont l'absence notoire de vieillissement, à l'exception d'un ou deux centimètres de chevelure, permet difficilement de dire à quel moment elles sont censées atteindre leurs dix-sept ans. Heureusement, le dialogue permet très vite de resituer l'action dans son contexte, ce qui ne pose pas problème trop longtemps. Pour le reste, The Prime of Miss Jean Brodie n'est pas un chef-d’œuvre technique, mais tout est très honorable: les tableaux prennent soin de montrer le visage de Jean à la place des modèles, les teintes grises de l'école en restituent son esprit conservateur que remettent en cause les tenues chamarrées de Miss Brodie, la photographie est jolie et agréable sans être révolutionnaire pour autant, et la chanson "Jean" de Rod McKuen me plaît assez pour avoir mon vote parmi la liste officielle. En réalité, le seul gros défaut du film, c'est que Ronald Neame abuse des zooms pour détacher l'expression d'une personne dans l'assistance: c'est lourd et maladroit, et ça ne fait pas avancer l'histoire vu que ça vise souvent Pamela Franklin, qui se met de facto à l'écart des groupes dans la seconde partie, alors pas besoin de l'isoler d'autant plus.

Finalement, Vanessa Redgrave étant mon actrice préférée de tous les temps, il ne m'aurait pas déplu de la voir reprendre le rôle au cinéma, mais Maggie Smith relève le défi avec tant de brio qu'on ne regrette rien. J'attribue un bon 7 + à l'ensemble et nomme Maggie Smith, Celia Johnson, la chanson et peut-être le scénario aux Orfeoscars 1969, mais j'attends de lire le livre avant de me décider sur ce dernier point.

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