jeudi 14 janvier 2016

Carol (2015)


Enfin! Le film le plus attendu de l'année (dernière...) vient d'arriver dans ce pays du tiers-monde que reste la France, et voici mes impressions à chaud.

Commençons par l'essentiel dès le départ: j'ai aimé le film. L'expérience est même plus que positive car son souvenir m'a hanté toute la journée, alors que je pensais juste avoir (beaucoup) aimé sur le moment. Je pense même que c'est mon Todd Haynes préféré dans l'immédiat. En effet, je n'ai à ce jour jamais réussi à rentrer dans Safe après deux essais, je respecte absolument le très beau Far from Heaven sans adorer pour autant, d'autant que rien ne bat les originaux de Douglas Sirk, et Velvet Goldmine remportait le plus de suffrages jusqu'alors. Mais à brûle-pourpoint, Carol vient de les surpasser. Franchement, l'histoire y est divinement touchante, avec des personnages réagissant de façon humaine sans aucun sentimentalisme au rabais, et le sort des deux héroïnes réussit à captiver tout autant, d'un côté avec une jeune vendeuse timide qui cherche sa place en amour et en société, de l'autre avec une quadragénaire éblouissante aux prises avec un divorce imminent et ses obligatoires conséquences juridiques. Je n'en révèle pas plus pour ceux qui n'ont pas encore vu le film, mais chaque séquence donne constamment envie d'en savoir plus, et l'on vibre vraiment en attendant que l'un des protagonistes fasse avancer leur histoire commune, au gré de trouvailles scénaristiques intéressantes comme le choix de Waterloo, Iowa comme arrêt lors d'un périple à travers le nord des Etats-Unis.

A titre personnel, ça me touche d'autant plus, d'une part pour les raisons qu'on devine aisément, et d'autre part parce que Carol définit en images mes propres fantasmes amoureux. Parlons net: je n'aime pas forcément ma propre époque et les moyens de rencontre contemporains me causent rarement du plaisir, surtout lorsqu'on cherche plus que tout à éviter la vulgarité. Mais dans Carol, tout est raffiné: j'adorerais rencontrer le grand amour en un lieu agréable (dans le film un magasin de jouets, c'est toujours amusant), j'adore m'habiller à la mode rétro avec laquelle tout le monde semble bien vêtu, et le film me fait donc totalement rêver et fantasmer. La cerise sur le gâteau: ça fait rêver sans trancher non plus avec la réalité humaine qui transcende les époques. Car l'action a beau se situer dans les années 1950, les jeunes continuent tout de même de se retrouver en soirée autour d'une bière, ceux qui le veulent pratiquent le sexe à leur souhait, et le film montre que la nature humaine reste la même d'une période à l'autre. Mais la délicatesse extrême qui nimbe l'ensemble me fait tout de même regretter de n'être pas né plus tôt, d'où une vive excitation durant le visionnage.

Nous dirons dès lors un grand merci à Todd Haynes, dont la mise en scène élégante fait des merveilles et recrée sous nos yeux le monde dans lequel j'aimerais vivre plus que tout. Les premières minutes avec un plan-séquence dans des rues à l'ancienne qui débouche sur l'apparition distinguée des héroïnes au restaurant accrochent d'emblée le regard, les vitres perlées de pluie au moment où Thérèse va se rappeler son histoire nous plongent encore davantage dans l'intrigue, la rencontre dans le magasin fascine sans modération, Carol s'amusant à faire tourner le train pour se remémorer cette même rencontre est une trouvaille passionnante et la grande scène d'amour reste filmée avec une pudeur et une sobriété exemplaire qui rend l'intime sublime. Le réalisateur montre aussi tout ce qu'il faut d'émotions sans jamais rien appuyer, un choix absolument judicieux pour une atmosphère de ce type, et chaque séquence reste vraiment travaillée avec soin et finesse. Je conçois même difficilement que des spectateurs aient pu trouver cette histoire d'amour trop "froide", car enfin, ce n'est pas parce qu'on ne couche pas le premier soir que la passion diminue pour autant. Au contraire, le temps et la délicatesse rendent celle-ci d'autant plus intense, et ça me parle comme à aucun autre.

Le brillant du film doit aussi beaucoup à sa reconstitution d'époque de grande qualité, ma propre subjectivité jouant encore à ce niveau, puisque je reste attaché aux images "années 1950" dans lesquelles j'ai en partie grandi quarante ans plus tard. Sans mentir, les costumes sont tous plus sublimes les uns que les autres (Cate Blanchett fumant dehors, lunettes de soleil et ensemble rouge à l'appui! Rooney Mara et son bonnet coloré!), et les décors n'ont rien à leur envier, notamment l'intérieur bourgeois des Aird, dont les images de nuit devant le sapin de Noël donnent une saveur toujours plus agréable à l'histoire. A côté, la photographie est comme il se doit très soignée, avec des couleurs sorties tout droit du Technicolor de jadis, et de très jolis plans sur les actrices, ou sur les rues d'une ville sublimée (les embouteillages lorsque Sarah Paulson conduit). Enfin, la musique est elle-même superbe, notamment le thème d'amour principal que j'ai déjà en tête pour le reste du mois.

Bref, tout sur le forme m'a fait aimer le film instantanément, mais restait à voir ce que donnerait l'interprétation. A mon avis, c'est le seul mini bémol du film, car malgré des performances incontestablement réussies, j'ai failli ne pas apprécier d'emblée ce que faisaient les actrices de leurs personnages. Disons que Cate Blanchett se la joue trop diva au départ: d'accord, Carol entre dans la maturité et en est donc au pic de son épanouissement physique, mais le personnage n'est pas non plus Katharine Hepburn. Je m'attendais peut-être inconsciemment à un peu plus de simplicité de sa part, alors que l'actrice m'a plutôt fait l'impression de jouer surtout de son charisme, ce qu'elle sait faire mieux que personne quoique ça reste une marque de fabrique un peu trop facile de sa part: son extase appuyée en répétant le nom de Thérèse à leur premier déjeuner, le salut militaire pour rassurer le possible partenaire de Thérèse alors qu'elle l'emmène à la campagne, la crise de nerfs à propos de l'absence de cigarettes: je n'imaginais vraiment pas Carol se la jouer autant diva. Mais après coup, tout fait sens, Blanchett fait bien ressentir les fêlures du personnage, de telle sorte que la personnalité de Carol, point de mire s'il en est, me semble à la réflexion excellemment retranscrite par l'actrice, même si c'est peut-être un poil trop adapté à sa propre personnalité cinématographique. Bref, c'est une bonne voire très bonne performance, mais je n'ai pas l'impression d'être absolument transcendé non plus. Ça méritera un second visionnage pour mieux en rejuger. Rooney Mara a quant à elle failli m'agacer à un moment à force d'être vraiment timide (plus que moi, il fallait oser!), mais en réalité elle est merveilleuse dans 99% des séquences: elle réussit parfaitement à nous attacher à Thérèse en dévoilant son caractère et sa volonté malgré sa réserve ("je ne sais même pas ce que je veux pour déjeuner!"), et je me demande finalement si la jeune actrice n'est pas meilleure que sa collègue. Sarah Paulson hérite quant à elle d'un second rôle qu'elle rend divinement croustillant et touchant à la fois, bien qu'elle n'apparaisse pas assez pour nous éblouir autant qu'elle aurait pu, tandis que Kyle Chandler est étonnamment intéressant dans un rôle de mari plus ou moins désespéré.

Bon, j'oublie certainement plein de choses, beaucoup me reviennent en tête à mesure où j'écris mais je ne sais plus où les développer, et l'important est de rappeler que le film est une totale réussite. Mais... mon sentiment est cent fois plus enthousiaste à présent que lors du visionnage, où j'ai tout de même eu les larmes aux yeux devant quelques expériences qui m'ont rappelé mon propre vécu sentimental. Donc, si j'essaie d'avoir les idées claires, je conclurai en avouant avoir aimé le film sur le moment, et de l'avoir vraiment beaucoup aimé en y repensant toute la journée. Mais je ne dirai pas que le seul sujet de Carol a suffi à m'emporter. Non, c'est vraiment la forme, alliée à cette histoire, qui me fait donner ma préférence à ce film sur d'autres traitant également d'homosexualité: je n'aime pas beaucoup Brokeback Mountain par exemple, et mon grand référent lesbien était jusqu'à présent le non parfait mais toutefois vraiment divertissant Aimée & Jaguar, les héroïnes évoluant dans ce cas là à une époque vraiment particulière. Carol a un côté plus universel par son atmosphère chaleureuse et quotidienne et je suis dans tous les cas enchanté par l'expérience. Pour le moment, je monte sans hésitations à 8/10, mais je n'ai pas du tout les idées claires à ce propos: c'est trop immédiat. Allez le voir néanmoins, ce sera assurément l'un des meilleurs films de l'année.

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