mardi 19 janvier 2016

Le Bégonia rouge-sang (1949)


Deuxième partie de notre soirée Bai Kwong (白光), voici sa deuxième collaboration de 1949 avec Feng Yueh (岳楓), Le Bégonia rouge-sang (血染海棠紅) (Xue ran hai tang hong).

Malheureusement, si Une Femme oubliée partait sur une base prestigieuse grâce au texte de Tolstoï, Le Bégonia n'est pour sa part qu'un simple polar mélodramatique qui accuse son temps, et dont les toutes premières secondes font bien sentir qu'on ne se trouve pas devant un grand film. A vrai dire, j'ignore si le scénario a une origine littéraire, mais force est de reconnaître que le tout est complètement daté et peu intéressant. Bai Kwong incarne ainsi une vénéneuse tentatrice conduisant les hommes à voler des bijoux pour elle, tandis qu'elle abandonne son enfant à Gong Qiuxia (龔秋霞), alors qu'un quiproquo de sa part conduira son mari en prison et obligera l'héroïne à se confronter à sa rivale, entre autres rebondissements de la même espèce. Franchement, on s'ennuie assez vite, et le film pèche également par bien des aspects d'un point de vue formel, à commencer par un montage découpé à la tronçonneuse où l'on saute d'une séquence à l'autre sans que la première soit finie, et où des gens qu'on voit à l'intérieur d'une maison se retrouvent subitement dehors alors que le dialogue n'était même pas achevé! La mise en scène de Feng Yueh n'est pas en mesure de rattraper ces défauts, car autant ses images étaient suggestives et détaillées dans Une Femme oubliée, autant son langage cinématographique manque cruellement d'inspiration ici. Certes, le réalisateur sait toujours faire parler ses images, en plongeant notamment sa caméra sur un bras orné de bijoux à une table de jeu, avant de la faire remonter vers les regards avides de Bai Kwong et son partenaire, mais n'importe quel metteur en scène à peu près consciencieux aurait pu faire ça.

Dès lors, l'histoire ne m'intéressant pas du tout, ses atouts formels ont eu bien du mal à piquer ma curiosité, et ni les décors, ni les costumes, ni la photographie n'ont réussi à m'enthousiasmer. La musique de Hou Xiang (李厚襄) tente heureusement de sauver les meubles, le générique ouvrant le film sur la plus belle des trois mélodies de ses chansons coécrites avec Li Ping (黎平), et les séquences les plus mémorables étant orchestrées avec soin, comme le moment où l'héroïne paraît au lit, sublimement (dé)coiffée sur des accords subitement très romantiques. Ces partitions servent donc totalement l'esprit de certaines scènes, mais le scénario étant médiocre, difficile de s'intéresser aux musiques qui vont avec dans la plupart des cas. En outre, le travail des musiciens est desservi par le choix d'avoir placé les trois chansons au même moment: toutes se bousculent en effet à mi-parcours alors qu'on n'en avait pas entendu avant et qu'on en n'aura pas d'autres après, ce qui casse considérablement le rythme, sans compter que la chanson guillerette de la fille en robe blanche sur sa terrasse en fleurs ne colle pas du tout à l'atmosphère pesante et dramatique d'un film qu'elle ne parvient pas à aérer par contraste. Pour ça, il reste par bonheur la première chanson (voir en haut), dont je n'ai pas réussi à trouver la traduction des paroles, "東山一把青" (dōngshān yī bǎ qīng) ("La Montagne verte de l'est?"), mais dont la structure en trois actes résume assez bien l'état d'esprit de la dame, entre la séduction de la danse, les images de la nature évoquant une pureté inaccessible, et le retour à la réalité avec une Bai Kwong passablement triste à sa fenêtre. La chanson doucereuse jouée au piano par Gong Qiuxia, "祝福" (Zhû fû) (''Blessing You, Sweet Heart''), traduit quant à elle le caractère intègre de son personnage, tout en vantant les valeurs familiales sur des plans de coupe soulignant l'absence de l'homme alors en prison. Comme dans l'autre film, le son n'est pas très au point non plus...

Outre ces deux chansons finalement bien trouvées quoique mal distribuées sur la durée, l'interprétation reste l'un des points les plus positifs du film. Le visage de Bai Kwong est en effet idéal pour le cinéma, et dès qu'on lui demande d'être calme, elle captive rien qu'en apparaissant. Hélas, elle garde tout de même un trop-plein d'expressivité propre au jeu chinois de ces années-là, d'où certaines scènes de colère peu convaincantes. Mais sa rencontre avec Qong Qiuxia reste pleine d'énergie et permet aux deux actrices de faire des étincelles, chacune étant assez mesurée pour ne pas se laisser marcher sur les pieds, mais sans chercher à éclipser l'autre pour autant. Bai Kwong est la plus énervée et Gong Qiuxia reste courtoise sans s'écraser, avec pour technique interprétative de toujours baisser le menton en plissant les yeux pour encaisser une remarque blessante, avant de toujours savoir se ressaisir. En fait, c'est vraiment Gong qui crée la surprise depuis ce deuxième visionnage, car autant je n'en avais pas fait grand cas jadis, autant son personnage "havillandien" reste vigoureusement incarné dans le détail: son ton rassurant et compréhensif n'a d'égal que sa tristesse, laquelle se lit uniquement dans ses yeux sans que rien ne soit accentué par l'actrice. A la fin, il est tout de même dommage que ces deux femmes soient presque rendues secondaires par leur scénario caduque qui centre trop longtemps le propos sur des hommes transparents dont on se contrefiche. Mais Gong Qiuxia gagne au change puisque son personnage est nettement plus développé que dans Une Femme oubliée.

En somme, ce Bégonia rouge-sang n'est pas aussi vénéneux qu'on pourrait le croire, et c'est clairement un faux pas après la relative réussite de la Femme oubliée. Là encore, mon enthousiasme débordant de la découverte a été fortement tempéré par le recul et un meilleur sous-titrage, mais un film contenant une longue rencontre explosive entre deux stars n'est jamais une vaine expérience. J'en reste à 5/10, mention spéciale à Gong Qiuxia et à la chanson "verte".

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