dimanche 24 janvier 2016

The Danish Girl (2015)


Eh bien voilà, après avoir longuement hésité suite aux mauvaises critiques des cinéphiles et à une distribution pas du tout inspirante, j'ai finalement cédé à la tentation et ai payé plein tarif pour The Danish Girl. M'attendant à détester le film, la découverte a-t-elle changé la donne?

Crevons l'abcès dès le début: c'est raté. Complètement raté. Et les jolies images colorées n'ont hélas pas de quoi sauver les meubles malgré une profusion de décors et costumes ravissants qui, formellement, font tout de même passer un bon moment: l'atelier et le grand tableau de la danseuse, le fjord ou les reflets des maisons danoises dans l'eau sont entre autres un régal pour les yeux, mais il s'agit vraiment du seul point positif d'un film qui, non content de tout faire pour édulcorer son sujet au maximum, traîne également en longueur et suscite l'ennui dès les premières minutes.

La faute principale en revient bel et bien au scénario, ce qui déstabilise tout l'édifice. Le premier écueil: une naïveté sans bornes qui frise le ridicule. Ainsi, l'élément perturbateur n'a absolument rien à voir avec l'état d'esprit ou le vécu d'Einar/Lili, mais n'est que le fait d'un concours de circonstances puisque Gerda demande à son mari de se vêtir d'une robe le temps de finaliser un tableau alors que la modèle est en retard. Bingo! Einar caresse un tissu féminin par inadvertance et Lili apparaît comme par magie, sans qu'Eddie Redmayne ne fasse quoi que ce soit à aucun moment pour suggérer que celle-ci existait au fond d'Einar plus tôt. Le texte a beau révéler peu après qu'il y avait déjà eu une expérience jadis dans la maison des parents, ça n'est évoqué qu'après le "déclenchement" maladroit du premier acte, de quoi rendre celui-ci totalement ridicule. Impossible dès lors de croire que le mec totalement cis des premières minutes soit en fait trans refoulée depuis longtemps: ça intervient d'un claquement de doigts et la scénariste suppose que le spectateur va avaler ça comme si de rien n'était. Bien.

Le deuxième écueil: soucieux de plaire au plus grand nombre et de s'assurer un maximum de chances pour les Oscars, le réalisateur et la scénariste ont visiblement tout fait pour lénifier leur sujet au maximum, nous privant par-là même des problématiques les plus importantes. Le rapport au corps est par exemple totalement occulté, sauf lors d'une très brève scène où Einar tente de cacher ses organes génitaux entre ses jambes en regardant son reflet dans un miroir. Mais à part cette évocation trop furtive, la question du corps n'est jamais mise sur le tapis, puisque l'équipe du film préfère transformer son personnage principal en semi-enfant béat prêt à sourire à tout le monde pour attirer la sympathie des spectateurs, au lieu de parler des vrais sujets. A vrai dire, même lorsque intervient l'opération dans le dernier acte, aucun changement du corps n'est montré! C'aurait pu être intéressant de voir Lili prendre pleinement conscience de sa nouvelle apparence, mais le problème est jeté aux oubliettes, et le personnage reste le même du début à la fin. La preuve que le film ne fait que tourner autour du pot au lieu de mettre enfin le doigt sur quelque chose, c'est qu'on préfère carrément accentuer le pathos le plus larmoyant pour les remises de prix plutôt que s'intéresser à la transidentité en tant que telle. Le fait que les répliques s'approchant le plus de la question du corps soient dignes de la rubrique santé de Femme actuelle n'est d'ailleurs pas fait pour nous rassurer, si bien que la seule chose qu'on saura vraiment sur Lili, c'est qu'elle mange peu pour... "garder la ligne." Merci The Danish Girl!

Le troisième écueil: visiblement pas à l'aise avec un sujet qu'ils connaissent peu, les créateurs mixent maladroitement les sujets de la transidentité et de la sexualité. Sauf qu'en 2015, en être encore à ce stade est complètement rétrograde. Car enfin, c'est une chose de chercher à savoir qui l'on est au fond de soi (un homme, une femme ou les deux), mais c'en est une autre de savoir vers qui l'on ressent un désir sexuel (vers un homme, vers une femme, vers personne ou vers les deux). Il y a de multiples combinaisons possibles qui rendent précisément la question de la transidentité passionnante, mais le film ne s'embarrasse pas de subtilité et nous explique donc, à demi-mots, qu'Einar devient Lili à cause d'une paire de collants, et que ses désirs se mettent illico presto à se porter sur des hommes même si ça n'est jamais très clair et qu'on ne sait finalement pas grand chose de ces désirs-là. Quel que soit le thème abordé (identité ou sexualité), on reste dans un entre-deux flou traité mollement, de telle sorte qu'on en sait à la fin davantage sur les personnages secondaires (Henrik est bien homosexuel, on a compris) que sur le personnage central! Quand on vous dit que le scénario fait vraiment tout pour n'effleurer qu'à peine les bonnes questions, c'est hélas vrai.

Mais le pire dans tout ça, c'est qu'Eddie Redmayne ne fait absolument rien pour clarifier les choses. Au contraire! Au lieu de donner chair à ce personnage original et intrigant qu'est Lili, il choisit à l'inverse d'en faire une héroïne unidimensionnelle qui ne se pose aucune question et vogue dans le flou au gré des rebondissements du scénario. En effet, pourquoi suggérer que la personnalité féminine d'Einar existait chez lui depuis longtemps quand on peut se contenter de sourire bêtement à tout le monde quand on ne sait plus quoi faire? La seule clef que nous offre l'acteur pour tenter de cerner la personnalité de Lili, c'est de régresser mentalement en se comportant de plus en plus comme un enfant en bas âge, ce qui sonne comme le coup de grâce d'un film dont le scénario patinait déjà. Ni l'acteur ni le texte n'arrivent ainsi à éclairer ne serait-ce qu'une facette de la personnalité de l'héroïne, et pire, ils s'ingénient au contraire à faire systématiquement les plus mauvais choix. A cause d'eux, une entreprise qui aurait pu être progressiste (un film de prestige à Oscars centré sur un/e trans) en devient rétrograde (la transidentité est grosso modo ramenée à un caprice infantile) et son effet est dans le même coup réduit à néant.

A l'extrême limite, si on en restait là on pourrait n'être que simplement déçu par l'expérience. Et pourtant, The Danish Girl trouve le moyen de faire pire encore, en sciant la dernière branche à laquelle ma cinéphilie pouvait me raccrocher, à savoir l'interprétation. Or, Eddie Redmayne s'arrange pour livrer l'une des performances les plus horrifiantes de toute l'histoire du jeu scénique: la bouche tremble en permanence même quand ça n'a pas lieu d'être, la rencontre avec Ben Whishaw est l'une des choses les plus laborieuses du monde, et le tout est tellement technique qu'il n'y a plus aucune émotion à ressentir, toutes ayant été happées dans le même mouvement par un acteur atrocement scolaire qui n'a jamais compris qu'il faut laisser venir les choses de l'intérieur, et pas en en faisant des caisses avec chaque chose capable de bouger sur son corps. Le plus ahurissant: il n'essaie même pas de féminiser sa voix, ce qui aurait dû être le seul et unique artifice autorisé. A la place, le spectateur est censé croire que tous les invités du bal des artistes se fourvoient sur l'identité de la fameuse cousine, sauf qu'entre un acteur au timbre particulièrement grave et un maquillage peu crédible, il est impossible de prendre ce rebondissement au sérieux. Quoi qu'il en soit, cette performance est vraiment une horreur: et hop, une avalanche de sourires béats quand on ne sait plus quoi faire, et hop, on bouge ses bras dans tous les sens pour imiter la danseuse nue, et hop, on fait régresser le personnage jusqu'à l'état de bébé pour faire pleurer les votants qui vous nommeront à coup sûr pendant l'hiver. Bref, éloignez cet homme d'une caméra au plus vite, pitié!

Le comble, c'est que Redmayne a beau en faire des tonnes et des tonnes pour faire monter les larmes aux yeux, il trouve quand même le moyen de se faire complètement éclipser par la performance d'Alicia Vikander. En effet, visiblement consciente de son visage naturellement inexpressif, la jeune actrice très en vogue cette année prend bien soin de compenser son principal défaut par une force de caractère qui donne réellement chair à Gerda, alors bien loin de ressembler à un pantin. On arrive dès lors à s'intéresser absolument aux déboires de cette peintre vivace et non dénuée de repartie, mais là encore, le scénario joue en défaveur du personnage puisque passé le premier tiers du film, Gerda ne fait plus que pleurnicher et s'inquiéter, et n'est réduite à n'exister que par le prisme de Lili. Vikander en devient alors de plus en plus technique puisqu'elle doit avoir les yeux rougis la moitié du temps, et si on ne peut certainement pas lui faire le reproche de ne pas maîtriser ce type de jeu, elle retombe tout de même dans la démonstration de ce qu'elle a sagement appris en cours, en étudiant à quel moment faire couler une unique larme pour renforcer le ton d'une séquence. L'actrice finit alors par perdre en naturel, mais à ce moment-là, son personnage n'existe déjà presque plus pour le scénario... Même Felicity Jones réussissait à s'intéresser à son propre sort jusqu'au bout l'année dernière, mais la peintre dynamique perd ici toute ambition et ne pense plus qu'en fonction de sa partenaire. Accessoirement, ça fait deux films de 2015 où Alicia Vikander hérite d'un rôle principal, et dans les deux cas elle montre ses fesses. Pourquoi pas, mais on en revient un peu à ce que je pointais tout à l'heure: s'il est normal de la voir nue dans Ex-Machina puisque le corps d'Ava est l'un des ressorts principaux du film, on pourra s'étonner que dans The Danish Girl, le corps de Gerda soit davantage photographié que celui de Lili, preuve s'il en est que le film n'a vraiment pas le courage de mettre le doigt sur les vraies questions.

Concernant les autres acteurs, Matthias Schoenaerts ne fait strictement rien à part jouer au beau gosse qui ne sert même pas à faire avancer l'histoire, et Ben Whishaw n'a rien à se mettre sous la dent. La musique d'Alexandre Desplat manque cruellement d'inspiration de son côté... The Danish Girl reste donc un joli film de prestige assez agréable pour les yeux, mais c'est aussi l'archétype de l'œuvre calibrée pour les Oscars qui s'imagine, à l'image de son acteur principal, que des effets sur la forme feront oublier les défauts du fond aux spectateurs. Sauf que non! Le traitement du sujet est tellement évidé et maladroit que la déception est immense, et la performance catastrophique d'Eddie Redmayne enfonce d'autant plus le couteau dans la plaie. Je descends à un 3: un point pour la photographie, un point pour les décors, un point pour les costumes, et après réflexion je ne fais aucun geste pour la pauvre Alicia Vikander qui, je viens de le découvrir, ne tente même pas de suggérer la bisexualité de Gerda Wegener. Ce qui ajoute au caractère fort malsain du film.

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