lundi 4 janvier 2016

Gone with the Wind (1939)


Comment parler d'un film sur lequel tout a déjà été dit, considéré comme l'essence même du système hollywoodien et l'un des plus célèbres de l'histoire du cinéma? Tentons de relever le défi après un énième visionnage et une bonne quinzaine d'années de recul, depuis une découverte qui me bouleversa considérablement au tournant du nouveau millénaire.

Tout d'abord, et ce ne sera une surprise pour personne, Gone with the Wind reste un énorme chef-d’œuvre, et aucune des environ trente-cinq visites n'a changé la donne: tout y est, le caractère épique, les grands sentiments, la guerre et l'intime s'y côtoyant à l'infini... Bref, c'est le divertissement ultime et les trois grands axes de l'histoire (l'insouciance, la guerre, la reconstruction) continuent de captiver au plus haut point, sans que jamais ma connaissance sur le bout des doigts de toutes les répliques n'arrive à estomper les palpitations provoquées en continu. Vraiment, montage et scénario sont parfaitement dosés, la psychologie des personnages principaux détaillée avec assez de finesse, le balancement entre humour (l'habillage pour le pique-nique, les sœurs qui se tirent la langue!) et tragique mené de main de maître, et même les polémiques consécutives au viol conjugal et au racisme n'ont jamais réussi à m'empêcher de m'immerger dans l'intrigue.

Ainsi, l'effet de surprise a beau avoir disparu depuis belle lurette, revoir le film au moins une fois par an reste l'une des expériences les plus parfaites qui soient, et je gage que rien ne changera jamais de ce côté-là. S'il me fallait trouver un défaut à l'ensemble, je dirais que la dernière heure est peut-être légèrement trop longue, les déboires conjugaux de riches personnes dépressives m'intéressant moins que la réinvention des personnalités en pleine guerre, mais je serais tout de même bien en peine de trouver quoi que ce soit à retrancher à l'histoire tant sa cohérence est entière, sans compter que mon ressenti devient ici beaucoup trop subjectif pour être honnête: le film étant très long, j'ai souvent regardé le deuxième acte au petit matin avant d'aller en cours, si bien que le stress du lever et l'excitation nocturne en attendant de voir ou revoir la suite avaient quelque chose d'assez agressif au sujet d'une intrigue à présent portée par d'opulents décors oppressants. En définitive, la frivolité de l'ouverture teintée par l'angoisse d'un terrible conflit me fait davantage vibrer, mais l'histoire ne serait pas complète sans son dénouement bourgeois.

En réalité, s'il ne fait aucun doute que le film, indépassable, reste incontournable pour la récompense suprême de mes remises de prix de 1939, je suis malgré tout davantage enclin à donner ma préférence à l'adaptation de The Women du côté du scénario, surtout que l'on sait qu'Autant en emporte le vent porte avant tout la marque de Selznick, qui d'après le making of a tout supervisé de A à Z et a énormément contribué à l'écriture, sans que les qualités du script de Sidney Howard ne soient à nier, loin de là. Quant à la mise en scène, j'ai toujours du mal à faire la part des choses entre la marque de Selznick et celle de Victor Fleming, ce dernier ayant été accusé par les actrices de traiter les héroïnes avec rudesse, à la différence d'un George Cukor au point de vue plus féminin. A vrai dire, je ne sais plus exactement quelle est la part de Cukor laissée dans le résultat final, mais la perfection de l'ensemble doit incontestablement à Fleming, ce dont témoignent les innombrables qualités techniques dont le film regorge.

Je ne m'étendrai pas trop longtemps sur celles-ci, mais là encore, tout est parfait. En effet, les couleurs sont enchanteresses, à commencer par ces ciels rougeâtres de crépuscules ou d'incendies, tandis que les images chamarrées du Vieux Sud tout au long du générique font rêver dès les premières secondes. On parvient alors à s'immerger totalement dans le propos malgré une certaine artificialité formelle, les décors ayant un aspect "studio" un peu trop visible, tout en réussissant néanmoins à maintenir l'illusion: la chambre de jeune fille aux meubles blancs, les Douze Chênes et leur grand escalier, leur bibliothèque et leurs jardins, la salle de bal aux couleurs de Dixie, les fauteuils fleuris, les alcôves en arc de cercle, les rues d'Atlanta en terre battue, la campagne ravagée et son arc-en-ciel, les planches d'une cité en reconstruction, le lit du bateau à aube, l'immense escalier rouge, la chambre de jeu aux peintures de chevaliers, les vitraux en guise de fenêtres, la chambre aux tableaux pastels, le gigantesque portrait de Scarlett... Inutile de tout citer (oups, trop tard), mais visuellement, c'est une œuvre merveilleuse dont le côté artificiel a précisément quelque chose de rassurant, sauf peut-être l'opulence du dernier acte, légèrement étouffante quoique conforme à l'évolution du train de vie des protagonistes. D'ailleurs, cette surcharge un peu vulgaire colle bien à l'image du couple Butler, un peu brut sur les bords et pas toujours très scrupuleux.

Les costumes sont quant à eux éclatants, et ne manquent évidemment pas de suivre la psychologie de l'héroïne (la robe de chambre assez affreuse de la chute ne pouvait être portée que par elle), ma préférence personnelle allant à la mousseline blanche de l'introduction à Tara, le léger décolleté aux reflets verts du pique-nique et la capeline champêtre, le beige plus simple de la tenue d'infirmière, et l'assemblage jaune et rouge d'une Belle Watling tirant sa révérence, malgré un diadème en plastique hideux. Pour en revenir à Scarlett, la robe de rideaux et les froufrous rubis du décolleté d'anniversaire sont quant à eux mythiques pour de bonnes raisons, à l'image des autres tenues un peu rocambolesques d'une jeune femme mieux faite pour gérer une plantation que pour lancer de nouvelles modes. J'admets ne pas être le plus grand fan de Walter Plunkett, parfois capable de se vautrer dans les pires excès (Les Trois Mousquetaires), mais Gone with the Wind reste son sommet.

Quoi qu'il en soit, le plus impressionnant d'un point de vue visuel, ce sont surtout les effets spéciaux de Jack Cosgrove, qui s'est ingénié à peindre la totalité des décors d'arrière-plan sur pellicule, afin de reconstituer une atmosphère Vieux Sud d'un film tourné en Californie. La photographie d'Ernest Haller et Lee Garmes n'est quant à elle pas en reste dans cette sublimation de l'illusion, surtout lorsqu'on pense à la profondeur de champ obligatoirement limitée d'une séquence comme les soldats étendus dans toute la ville, où il fallait faire attention à ne pas filmer les immeubles modernes fleurissant alors derrière les studios. Dans le détail, j'aime également beaucoup les ombres chinoises des infirmières à l'hôpital, qui donnent un aspect très solennel à la guerre, ou encore les jeux de miroirs lors des essayages de lune de miel, qui reflètent bien la frivolité d'une Scarlett pas aussi mûre qu'on pourrait le croire malgré les épreuves traversées.

Enfin, pour en finir avec la forme, l'une des plus grandes qualités d'Autant en emporte le vent reste la sublime partition de Max Steiner, à juste titre l'une des plus mythiques de l'histoire du cinéma, dont chaque air définit aussi bien le caractère d'un lieu ou d'un personnage que le scénario. Mes préférences personnelles: l'iconique thème de Tara (évidemment), le thème de Rhett, la marche de Sherman sur la Géorgie alors que le domaine renaît de ses cendres, et la conversation sur la terrasse suite à la chute dans les escaliers. L'adaptation des grands airs de la guerre de Sécession et des chansons de Stephen Foster est quant à elle un plaisir orgasmique pour moi, et tout y passe pour mon plus grand plaisir: quelques accords de Louisiana Belle par-ci, quelques notes de Ring de banjo par-là, mais encore Swanee River, The Bonnie Blue Flag ou Tramp! Tramp! Tramp!, et me voilà parti pour danser toute la nuit sur des rythmes endiablés.

En somme, tout ce qui était déjà une griserie démentielle il y a quinze ans reste d'une perfection totale qui me fait toujours beaucoup d'effet, au point que je ne changerai pas ma note de si tôt: un 10/10 est plus que mérité pour une œuvre atteignant un tel degré d'éblouissement pour les sens. Mais à présent que je connais le film par cœur, ai-je changé d'avis sur l'interprétation?

Pour Vivien Leigh, la réponse est évidemment non. Scarlett O'Hara est le rôle le plus complet dont une actrice pouvait rêver, et Vivien lui fait réellement honneur à chaque instant. Elle livre un portrait sans concessions d'une femme somme toute antipathique, n'hésite pas à se montrer aussi désagréable que séduisante, balance superbement le personnage entre insouciance et dépression tout en révélant assez génialement comme l'héroïne apprend à s'enhardir au gré d'épreuves éprouvantes, sans toutefois parvenir à guérir ses propres démons, en l'occurrence indifférence pour tout ce qui ne lui rapporte aucun intérêt, enfant compris, et passion puérile pour un homme sur lequel elle aurait dû tirer un trait depuis longtemps. Quoi qu'il en soit, Leigh dévore le rôle à pleines dents, accent sudiste à l'appui, et si la performance est aussi légendaire, c'est à présent davantage de son fait à elle qu'aux convoitises suscitées par le rôle le plus recherché des années 1930. La seule surprise de ce dernier visionnage aura été de découvrir que Scarlett a finalement un peu tendance à m'ennuyer à certains moments, ce qui ne lui était encore jamais arrivé: elle minaude un peu trop longtemps au milieu de ses nombreux soupirants, continue de minauder une fois adulte et mariée avec Rhett, ce qui me rend par contraste de plus en plus favorable à Melanie, qui en définitive contrôle mieux les événements de la seconde partie. Ceci dit, tout ça ne tient qu'à l'écriture des personnages, et Vivien reste intouchable. Mais pour avoir revu Waterloo Bridge il y a peu, je suis à présent plus sensible à son interprétation dans ce beau film qu'à cette Scarlett parfois un peu agaçante. Peut-être ai-je mûri en même temps qu'elle et suis donc passé à autre chose qu'aux frivolités de l'héroïne, mais quoi qu'il en soit, la performance dans Waterloo Bridge me semble encore plus fraîche aujourd'hui. J'en viens parfois à me demander si dans mes remises de prix je ne vais pas en revenir à Davis en 1939 et Leigh en 1940, mais j'arrête de vous ennuyer avec mes incessantes sautes d'humeur à ce propos, et le grand acte sur la guerre de Sécession, où Scarlett doit enfin apprendre à grandir, reste un sommet interprétatif à peu près inégalable.

D'autre part, rien de nouveau à l'ouest pour Clark Gable. Son Rhett Butler reste aussi charmant et charismatique que lors des premiers visionnages, et ses larmes du second acte le rendent toujours extrêmement touchant dans ce qui doit rester son plus grand rôle. Ma scène préférée reste néanmoins la rencontre fracassante dans la bibliothèque des Douze Chênes, lorsqu'il se moque d'une Scarlett écervelée en lui rappelant qu'elle devait haïr Ashley jusqu'à la fin de ses jours: le rire y est désarmant! Mais reconnaissons tout de même que l'un des grands avantages de Clark Gable est que Rhett reste sans cesse comparé au faible Ashley Wilkes, incarné par un Leslie Howard plus intéressant dans le détail qu'en phase de découverte, mais qui n'a pas grand chose à faire à part être rigide, la faute à un personnage ennuyeux. Le seul avantage d'Ashley, c'est qu'il me permet de me retrouver en partie dans Scarlett, sur la question de l'idéalisation de l'autre, lorsqu'on tombe amoureux de la création de son esprit et non de ce qu'est réellement la personne ciblée, d'où la difficulté de se défaire d'un sentiment erroné tant qu'on ne se rend pas compte que l'être aimé est en fait le personnage le moins intéressant du monde. Je comprends donc totalement que Scarlett ait besoin d'attendre l'extrême fin du film pour réaliser quel est l'homme qu'elle aime réellement, même s'il est dommage que des excès de puérilité puissent nous faire passer à côté du vrai bonheur.

Autrement, Gone with the Wind compte trois rôles secondaires féminins que j'ai appris à apprécier au fil des ans, à savoir Melanie, Mammy et Belle Watling. Malheureusement, je ne suis plus autant séduit par aucune des trois que par le passé. Olivia de Havilland est pourtant extrêmement intéressante car hormis dans les scènes stridentes en pleine guerre où Scarlett a entièrement le dessus sur une Melanie geignarde ("Regarde à Wilkes, dans les W, à la fin!" "Oh, je suis malade et je ne peux vous aider, comme je m'en veux!"), elle ne joue jamais son personnage comme une cruche, et lui donne au contraire une épaisseur qu'on n'aurait pas forcément attendu dans un tel rôle. Le sourire qui ne s'estompe pas alors qu'elle sait tout du comportement de Scarlett et d'Ashley le matin même, sa sérénité rassurante face au capitaine lors du règlement de compte dans les bas quartiers, ou encore sa force de conviction sur Rhett font qu'on s'intéresse toujours, grâce à la riche interprétation de l'actrice, à un personnage qui peinait à séduire les premières fois. D'ailleurs, je suis convaincu qu'Olivia de Havilland donne la meilleure performance secondaire dans le film, même si d'autres femmes plus truculentes font de prime abord meilleure impression.

Hattie McDaniel est notamment délicieuse lorsqu'elle sourit après avoir rabattu le caquet de Scarlett, et sa composition reste bien étoffée grâce aux larmes du second acte, à la stupeur de découvrir l'absence totale de scrupules de l'héroïne dans la calèche, ou encore au réchauffement de ses relations avec Clark Gable, mais dans le reste du film, elle ne fait rien de si spécial que ça quand on y pense. Ona Munson est quant à elle sublime lors de ses confessions dans la voiture, et vraiment touchante lorsqu'elle tire sa révérence lors d'une visite de Rhett, mais le personnage reste un peu coincé dans le cliché de la pute au grand cœur malgré la réussite de l'actrice, qui marque tout de même pas mal les esprits malgré son temps d'écran très court. A la fin, je ne sais plus laquelle des trois nommer dans ma liste: Melanie m'ennuie pendant la guerre et Olivia de Havilland a fait encore mieux par la suite (Hold Back the Dawn), Hattie McDaniel trouve le rôle de sa vie et ça me briserait le cœur de ne pas la citer (elle me fait rire dans Miss Manton, mais ce serait franchement indélicat de troquer sa distinction pour un chef-d’œuvre contre de la série B), et j'aimerais également distinguer Ona Munson au moins une fois... J'ai longtemps sélectionné les deux dernières, mais la concurrence est tellement forte en face que je ne sais plus où donner de la tête (Gladys George, Mary Boland, Greer Garson...). La seule certitude, c'est que Geraldine Fitzgerald méritait absolument l'Oscar cette année-là, tout du moins parmi la sélection officielle.

Par ailleurs, le film regorge de personnages secondaires mais aucun ne me vient spontanément à l'esprit si ce n'est Thomas Mitchell, qui est de toute façon meilleur la même année dans Stagecoach. En conclusion, Autant en emporte le vent sera nommé pour sûr dans ma liste comme meilleur film (Selznick), meilleur réalisateur (Fleming), meilleure actrice (Leigh), meilleur acteur (Gable), meilleur scénario adapté, meilleurs montage, photographie, décors, costumes, maquillage (sauf la coiffure de Pittypat!), effets spéciaux, son et musique; et il y aura au moins un second rôle féminin dans le lot, reste à savoir qui (McDaniel semble inévitable même si à la réflexion son rôle est un cliché assez malsain). Pour finir, il y aurait encore bien des choses à dire, mais le film est trop riche, il faudrait en faire une thèse pour tout détailler. L'essentiel, c'est que ce soit non seulement parfait, mais aussi une œuvre qui me parle assez personnellement, arrivant à me retrouver en partie dans Scarlett et dans Melanie. Le 10/10 dont je parlais plus haut n'est pas prêt de céder sa place.

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