mardi 2 février 2016

Auntie Mame (1958)

Pour bien commencer ce nouveau mois, parlons de l'une des personnes les plus réjouissantes de l'histoire du monde, la divine, l'unique, l'irremplaçable...

... Auntie Mame!

J'en suis à ma troisième revisite du film, et franchement, c'est toujours un plaisir, sans doute parce que cet alliage de ton chaleureux, de situations rocambolesques prêtant constamment à rire et de réussite de casting totale sait parfaitement comment mettre du baume au cœur et faire passer un bon moment, sans que jamais les 2h30 ne suscitent l'ennui. Il faut dire aussi qu'Auntie Mame me parle assez personnellement: certains membres de ma famille sont pour le moins excentriques, dont l'un détenait le record absolu d'originalité, et si je n'ai pas connu de dragon crachant de la fumée en imitant un gong, les salons-musées remplis d'objets de divers pays et diverses époques, sur lesquels je fantasmais déjà à deux ans, ont toujours largement compensé l'absence de sonnette reptilienne sophistiquée. Et bien entendu, ce mode de vie m'a totalement converti! Ce qui pourrait ainsi paraître exotique à certains est pour moi un sommet de naturel qui m'attire vers l'antre d'Auntie Mame, et ce nouveau visionnage a confirmé la donne.

Sans surprise, l'avalanche de chinoiseries me rend dès lors très sensible à la forme. Par exemple, à l'image des coiffures qui alternent entre brun, blond et gris, les décors changent de couleurs au gré des humeurs et des saisons, passant du style "dragon chinois" à diverses teintes de bleu, avant de laisser place à d'imposants portraits historiques ou à des palmiers, pour mieux revenir vers l'Orient avec ce superbe escalier doré aux motifs de temple et d'arbre de sérénité. Cet appartement semble avoir été inventé pour moi, mais ce qu'il y a de formidable, c'est que chaque changement de mobilier correspond à un rebondissement majeur. Le style chinois est alors tout à fait en phase avec l'introduction festive, la modernité bleutée souligne les conflits à venir avec l'exécuteur testamentaire, et l'aquarium d'intérieur présage des loufoqueries en puissance avec la future belle-famille. Les costumes d'Orry-Kelly suivent également l'évolution du personnage, avec entre autre une veste orange qui s'accorde idéalement aux armoires laquées et permet à Mame de se démarquer immédiatement de ses hôtes, un chapeau à cerises délirant et même du houx de Noël servant sans honte aucune de diadème à l'héroïne. Bref, cet éblouissement visuel est orgasmique et, pire, me fait énormément envie!

L'usage de musique est également délicieux, avec de jolis accords de chants hivernaux en période de fêtes, mais aussi les incontournables mesures de Swanee River pour illustrer le séjour dans le vieux Sud, tous ces airs ajoutant au charme de l'ensemble. Dommage, néanmoins, que l'œuvre ressemble davantage à une pièce filmée qu'à un exercice réellement cinématographique. On contourne les plus grandes difficultés techniques telles la partie de chasse avec un simple cheval de bois et des bruitages hors champ, mais il y a tant à admirer que je suis tout de même comblé. Peut-être que s'il me fallait trouver un défaut, minime, ce serait dans cette durée légèrement trop longue, puisque une fois le garçon devenu adulte et les excentricités du mariage passées, le retour à l'appartement devient un peu plus terne pendant quelques minutes. D'un autre côté, cette séquence est essentielle à la narration et contient son lot de scènes hilarantes, de telle sorte que je ne vois pas ce qu'on aurait pu retrancher.

A vrai dire, si le film manque de cachet cinématographique, c'est largement compensé par le travail d'acteurs donnant tout ce qu'ils ont et faisant preuve d'une alchimie particulièrement électrique qui maintient toujours en haleine. Coral Browne est par exemple très drôle en diva du théâtre au grand cœur, Forrest Tucker délicieusement débonnaire en célibataire un peu timide, et même l'enfant incarnant Patrick Dennis rattrape toujours la balle au bond afin que la performance de Rosalind Russell ne tourne pas à vide. La triade de ploucs de Park Avenue est elle aussi jouée avec bonheur par des interprètes ne reculant jamais devant le ridicule extrême des personnages (le rire des parents), mention spéciale à la diction snob et mécanique de la fille qui épingle à merveille les travers de ce genre de personnes. En outre, leur présence permet à Roz Russell d'atteindre des pics absolus d'hilarité, et c'est tant mieux. Ceci dit, mon coup de cœur pour les seconds rôles irait davantage à Robin Hughes, atrocement sexy et agile en odieux pique-assiette, et à Peggy Cass, qui rend Agnes Gooch affreuse à bon escient, tant elle prête à rire. Finalement, cette troupe fait des miracles de repartie, le scénario ne ménageant pas ses répliques assassines qui fusent à la seconde. Le seul défaut: l'inévitable racisme à travers le valet japonais riant comme un demeuré. Quel dommage de faire rêver en parlant d'Asie si c'est pour se planter de façon aussi catastrophique avec le seul personnage asiatique de la distribution...

Par bonheur, la performance de Rosalind Russell est telle qu'on arrive à presque oublier ce défaut majeur, et ce n'est pas un hasard si la dame restera à jamais associée à ce rôle dans les mémoires. On est en droit de la trouver plus virtuose encore dans The Women et His Girl Friday, mais la réussite de casting est tellement géniale qu'elle et Mame Dennis sont désormais indissociables. Vraiment, une seule actrice au monde pouvait jouer l'héroïne avec autant de perfection, et ce ne pouvait être qu'elle. Gloria Swanson, qui convoitait le rôle, aurait pu correspondre aux excentricités vestimentaires, mais je l'imagine tout de même trop rigide, ou tout du moins trop grande dame. Dans What's My Line, Greer Garson a quant à elle donné un plutôt bon aperçu de ce qu'elle fit sur scène en reprenant le rôle, mais personne n'aurait jamais pu égaler Russell, même l'auteur du texte l'a certifié. En effet, Roz est parfaite parce que tout est équilibré: elle est accessible, sait ne pas se prendre au sérieux et n'a jamais peur du ridicule, mais chaque excès est tempéré par la mesure: on ne doute jamais que Mame soit profondément humaine, et pas juste une caricature, et chaque séquence montre que l'actrice donne toujours beaucoup d'épaisseur au personnage, en n'évacuant jamais les doutes et l'émotion. Mais surtout, que d'hilarité! Sa façon de se promener porte-cigarette à la main, sa diction parfois délicieusement exagérée ("Here's my little boooooy!" "Veeeeeera!"), sa façon de tresser une natte ou de jouer avec les câbles d'une standardiste, son mélange d'élégance et de maladresse lors de la partie de chasse, ce qu'elle fait de son cocktail à la campagne: tout est à mourir de rire, et le meilleur, c'est qu'aucune séquence ne perd jamais en fraîcheur alors que Russell venait de jouer le rôle des centaines de fois à Broadway.

En somme, sa performance est nettement plus humaine que caricaturale, c'est constamment drôle et d'un charisme incroyable, avec tout ce qu'il faut de petites doses d'émotion pour que le tableau soit parfait. Auntie Mame révèle surtout la versatilité inouïe d'un génie comique capable de voler la vedette au tout Hollywood en jouant avec vigueur dans The Women, capable de se montrer soudainement bien plus calme tout en mitraillant les répliques les plus rapides du monde dans His Girl Friday, ou de composer la plus grande héroïne excentrique de cinéma dans son rôle-phare. Ces multiples réussites me rendent évidemment très enthousiaste quant à la conclusion. L'absence d'un esprit vraiment cinématographique me ferait pencher pour un 7+, mais trop de bonnes choses piquent mon vécu et ma sensibilité, je passe outre la question nippone et monte à 8 sans aucun scrupule.

12 commentaires:

  1. Et maintenant la question piège ... nous adorons tous Auntie Mame 1958 ... mais as-tu la comédie musicale avec Lucille Ball ? :-)

    L'AACF

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    1. La réponse est... [roulements de tambour]... non. J'ignorais même jusqu'à l'existence de cette version musicale. J'avoue avoir encore du mal à m'intéresser à Lucille Ball (ce qui n'est pas forcément de sa faute, les studios ne lui ont pas donné de véritable opportunité cinématographique), d'où cet oubli. Mais honnêtement, ce ne sera pas une de mes priorités: Roz for ever!

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  2. C'est parce que tu es moins obsédé par les Golden Globes que moi, aussi (ce qui est tout à ton honneur).

    Non mais en fait la comédie musicale (musique assez chouette par ailleurs), qui a été créée par Angela Lansbury sur scène, est surtout un monument camp, à faire passer la première version pour du Bresson. Lucille Ball (qu'il faut voir pour tes sélections, je dirais au moins dans Dance, Girl Dance et dans The Big Street, deux films où elle est remarquable, à mon sens) est sexagénaire, impossible à prendre au sérieux et chante comme une casserole. En général, c'est considéré comme épouvantable, mais honnêtement, d'une certaine manière, j'aime bien. Et puis, Béatrice Arthur en Vera est ... tellement travelo que tout le monde est persuadé que c'est un homme, au premier visionnage du film.

    https://www.youtube.com/watch?v=mcjn1BmQeNg

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    1. Argh! Bea Arthur ressemble comme deux gouttes d'eau, et je n'exagère rien, à un type qui me faisait des avances il y a une dizaine d'années... La même gestuelle, le même regard lubrique... Je ne vais jamais pouvoir regarder le film en entier (je dis ça sans transphobie, mais son insistance m'a traumatisé). Quoi qu'il en soit, ça a effectivement l'air très camp. Roz, au secours!

      Autrement, j'ai bien vu The Big Street, dont j'ai peu de souvenirs. Je n'envisageais néanmoins pas de nommer Lucille Ball cette année-là. Je note pour Dance, Girl, Dance, mais ça tombe en 1940 donc... Après, je suis peut-être biaisé car ma méconnaissance de l'actrice me la fait inconsciemment associer au Lucy Show, où elle ne me fait pas rire du tout et se fait piquer la vedette par Ginger ou Tallulah (mais curieusement pas par Crawford en revanche)!

      Quant aux Globes, figures-toi que j'ai justement établi des sélections comiques pour les années 1930, juste pour m'amuser! Mais rien ne vaut un bon top 5 oscarien!

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  3. J'ai profité de mes vacances à la neige (comme je ne skie pas, je vois beaucoup de films) pour revoir les deux versions de Mame.
    La première reste très supérieure à la seconde et la comparaison est assez cruelle sur quelques plans : l'humour, bien plus scintillant, le scénario (le deuxième calque le premier mais doit le simplifier en raison de la place des numéros musicaux) et l'interprétation du rôle principal, Rosalind Russell étant idéale et irremplaçable, à la fois plus drôle et plus émouvante que Ball, laquelle est handicapée par son âge et sa voix de canard (et elle n'est simplement pas à l'aise d'autant qu'on sent bien qu'elle cherche à éviter la comparaison en étant beaucoup plus sobre, presque éteinte). Cependant, la comédie musicale n'est pas sans charme. Les productions values sont somptueux (les costumes de Ball sont incroyables), j'aime beaucoup les chansons et certains numéros et, enfin, il y a Béatrice Arthur qui dévore le film et a les deux meilleurs moments du film (le numéro musical au théâtre et surtout le grand duo avec Mame)

    L'AACF

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  4. PS : je viens d'apprendre que Bette Davis avait fait une campagne d'enfer (harcelant Ball au téléphone) pour jouer Vera Charles à la place de Béatrice Arthur dans la comédie musicale ! Selon Arthur elle-même Ball aurait détesté l'idée de partager la vedette avec une star de l'importance de Davis.

    L'AACF

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    1. Du coup, nommes-tu Beatrice Arthur comme second rôle 1974, ou est-ce vraiment trop camp?

      Je n'imagine vraiment pas, mais vraiment pas du tout, Bette Davis dans une comédie musicale. Même la voix matinale de Tallulah le lendemain d'une cuite après 10 paquets de cigarettes me semblerait plus mélodieuse!

      Mais j'ai cru comprendre que Lucille Ball détestait partager la vedette. Apparemment, ses relations furent plus que tumultueuses avec Crawford et Bankhead rien que pour des épisodes du Lucy Show... J'imagine que la première alcoolisée et la seconde dévergondée n'ont pas dû mettre du leur non plus!

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  5. Cela dit, Davis ne devait pas chanter beaucoup plus mal que Ball (Madeline Kahn a aussi été renvoyée pendant le tournage, alors qu'elle jouait le rôle d'Agnes Gooch. Elle est remplacée par une actrice beaucoup plus âgée).

    Anecdote : une flopée de stars se trouve dans un avion pendant une tempête. Bette Davis : "Mon Dieu, si l'avion s'écrasait, comment les journaux nous présenteraient-ils ?" Lucille Ball : "Ne t'inquiète pas, Bette, ton nom serait le premier mentionné."

    1974 :

    Valentina Cortese La Nuit américaine (gagnante)
    Sylvia Sims Top Secret
    Wendy Hiller Le Crime de l’Orient Express
    Madeline Kahn Young Frankenstein
    Béatrice Arthur Mame

    Le camp ne me fait jamais peur et j'ai même nommé de "mauvaises" interprétations qui me fascinaient ...

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    1. Et toujours dans l'avion:

      Joan: "Poussez-vous, je vais me refaire une beauté aux toilettes. Je tiens à garder un brushing impeccable même pendant la chute."

      Norma: "Au secours! Garbo s'apprête à sauter avec l'unique parachute! Comment ose-t-elle nous faire ça?"

      Greta: "Because I want to be alooooooooooo..."

      Plus tard, après un atterrissage en catastrophe sur une île déserte:

      Miriam: "J'imagine déjà les journaux faire leur une sur la disparition de la plus grande actrice du monde... Non, pas Garbo: moi."

      Bette: "Pas la peine de rêver, Boucles d'or, t'as rien tourné depuis dix ans!"

      Tallulah: "Dahlings, pendant que vous vous chamaillez, je vais faire la danse des sept voiles sur la plage pour attirer l'attention d'un paquebot! A tout à l'heure!"

      Marlene: "Euh, vous savez, le paquebot, vous êtes censée l'attirer... pas le faire fuir dans la direction opposée!"

      Claudette: "Pas d'inquiétude! Je passée maîtresse dans l'art de faire de l'auto-stop. Il suffit de montrer ma jambe au premier bateau venu et le tour sera joué."

      Marlene: "Ah? Et comme les miennes sont les plus belles du monde, je vais vous aider."

      Barbara: "D'accord, mais faites vite! J'ai quinze films à tourner le mois prochain et je ne voudrais pas manquer à mon public!"

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    2. Sinon, je ne connais pas Top Secret mais il va falloir y remédier. J'entends toujours dire beaucoup de bien de Sylvia Sims mais je ne l'ai vue jusqu'à présent qu'en reine-mère dodue dans The Queen...

      De mon côté, je compte Cortese en 1973 normalement, mais je ne sais toujours pas qui faire gagner pour l'année qui nous occupe.

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  6. C'est drôle, parce que, quand j'ai rappelé le petit échange Bette-Lucille, j'ai justement pensé à tes dialogues de stars. Comme quoi la réalité est parfois à la hauteur de la fiction ...

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    1. J'adore la réponse désabusée de Lucille en tout cas!

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