mercredi 24 février 2016

Steve Jobs (2015)


Comme précisé hier, je suis également allé voir Steve Jobs au cinéma, principalement pour son casting: je pense d'une part que Michael Fassbender est l'un des meilleurs acteurs contemporains, et il s'avère en outre qu'il vient d'être nommé aux Oscars pour ce rôle en compagnie de Kate Winslet. Quel bonheur de retrouver la talentueuse Britannique dans un rôle de prestige après sa relative éclipse dans la première moitié de la décennie! Pourtant, la présence de ces interprètes au générique n'était pas suffisante pour estomper mes angoisses sur deux sujets. Premièrement, j'ai toujours tenu Danny Boyle en bien piètre estime à cause de cette horreur de Slumdog Millionaire, un film tellement soporifique et sirupeux que je lui ai mis 1/10 devant l'impossibilité de dépasser la première partie. 

Par ailleurs, j'ai absolument horreur de l'informatique, et la perspective de passer deux heures en compagnie de cubes ou autres logiciels en tout genre ne m'enthousiasmait pas du tout. Car incroyable mais vrai, on peut tout à fait très bien vivre sans ordinateur! A la maison, nous n'avons eu Internet qu'en 2007, je n'ai eu ma première machine personnelle qu'un an plus tard, et j'ai très bien vécu sans pendant vingt ans, à une époque où un ordinateur n'était qu'un gros cube volumineux tout juste bon à décorer des CDI, et où il suffisait d'ouvrir une encyclopédie pour faire ses recherches. Bon, maintenant, je m'y suis fait, et c'est vrai que d'avoir découvert toute la filmographie introuvable de Jeanette MacDonald sur Youtube à l'été 2010 était franchement merveilleux, sachant que ça reste toujours bien pratique de pouvoir faire des listes informatisées quand on change tout le temps d'avis, de capturer des images de ses films préférés sur le logiciel au plot, et bien sûr de faire parler Marlene et Tallulah sur votre blog préféré! Mais de là à s'intéresser à la conception même des appareils dans les années 1980 et 1990, le fossé restait grand. Pourtant, j'ai aimé le film.

La principale raison, c'est que ça parle finalement moins d'informatique que de mégalomanie. On se focalise alors davantage sur l'humain à travers les relations compliquées d'un héros talentueux à des subalternes toujours dans l'ombre, et c'est très intéressant de voir chaque personnage y aller de sa petite dose d'émotion dans les mailles d'un filet de manipulations et stratégies marketing aberrantes. Surtout, le scénario brille parce qu'Aaron Sorkin réussit à explorer toutes les facettes du héros à partir de seulement trois jours de son existence, à chaque fois lors des quelques minutes précédant le lancement de nouveaux appareils. Tout se joue en fait en coulisse, sans qu'on nous impose les discours ennuyeux de présentation devant le public, et ce jeu de relations dans des couloirs et loges sombres crée une tension captivante qui donne constamment envie d'en savoir plus. Sont alors passés en revue l'ancien patron au caractère ambigu, les anciens collaborateurs lâchés à la dernière minute après leur date de péremption, la responsable marketing faisant office de confidente et qui est bien sûr amoureuse de Jobs depuis toujours, l'ex petite-amie hystérique et névrosée et enfin la petite fille intelligente qui n'est reconnue par son père que lorsque celui-ci a envie d'oublier la pression qui pèse sur lui. Tout ce monde forme ainsi une galerie de personnages consistants et bien développés soulignant que chacun doit sa part d'ombre et de lumière à un même homme. Ce portrait découpé en trois actes se suit alors avec intérêt, en particulier dans le dernier tiers où certains masques tombent afin de donner encore plus de profondeur à ceux qui restent.

Le scénario permet surtout aux acteurs de réaliser de bonnes performances: la déception de Seth Rogen et Michael Stuhlbarg est bien jouée, malgré une scène de colère un peu commune de la part du premier; et toujours dans le domaine de l'informatique, Jeff Daniels, qui vieillit mal, trouve un bon équilibre entre absence de scrupules et regrets. Katherine Waterston incarne pour sa part un personnage si peu avenant qu'il est difficile de juger de son jeu, surtout qu'on lui demande en permanence d'être éclipsée par le calme froid de son partenaire, et j'avoue que la fille a beau être mignonne, elle n'en est pas moins insupportable, avec ce trope malsain de la fillette de cinq ou neuf ans dotée du cerveau de Platon et qui a tout compris sur tout. Chez les femmes, je suis en fait nettement plus intéressé par Kate Winslet, dont l'accent s'envole par moments vers d'autres contrées, mais qui reste dynamique et chaleureuse tout en donnant vie à un personnage volontairement terne derrière ses grosses lunettes. On sent en tout cas qu'elle a de la personnalité à revendre, et son dénouement a beau être cliché, elle le joue très bien, en particulier lorsque Steve lui demande avec désinvolture et goujaterie pourquoi ils n'ont jamais couché ensemble, à quoi elle répond "parce qu'on n'est pas amoureux", tout en faisant sentir qu'elle ment en un regard à ce moment précis. Cependant, toute réussie soit-elle, cette performance est loin d'être ce que la géniale actrice a fait de mieux: c'est très compétent mais après avoir mis la barre aussi haut entre 1994 et 2004, il lui est difficile de nous surprendre avec un tel rôle. A vrai dire, j'espère même qu'elle ne gagnera pas l'Oscar bien qu'elle le mérite davantage qu'Alicia Vikander et "Rouni Moore" qui n'ont rien à faire dans la catégorie de Diane Ladd, car ce serait vraiment une perte de temps de la récompenser pour une performance simplement plus que correcte, alors qu'il serait de bon ton de lui donner un second trophée pour une future performance exceptionnelle comme premier rôle. Les nostalgiques de Titanic n'avaient qu'à voter pour Kate et Leo en 2004: avec l'autre Cate en second rôle, c'eût été un palmarès excitant!

De toute façon, la lumière de Steve Jobs, c'est le héros lui-même, brillamment incarné par Michael Fassbender, qui a non seulement le talent mais aussi le charisme pour porter ce personnage hors normes pendant deux heures. Son jeu est d'ailleurs formidablement modulé: tout est intense sans qu'il ait besoin d'en faire trop, et il fait aussi bien sentir l'énorme ego du personnage que ses fêlures, en particulier dans sa dernière scène avec sa fille adulte. J'ai néanmoins du mal à en dire plus: c'est un excellent portrait sans concessions qui a en outre le mérite de divertir, et je n'ai décidément rien à lui reprocher, pas plus qu'au film d'ailleurs, dont le seul défaut est qu'il risque ne pas s'avérer si mémorable que ça avec plus de recul. Déjà, un mois après, son souvenir a déjà commencé à s'estomper, et l'ensemble sera à mon avis appelé à n'être plus qu'un film très correct qui n'aura pas été une perte de temps, mais qui sera loin de s'imposer comme l'un des éléments-phares de l'année. A la fin, la seule chose qui me fait tiquer, c'est l'imagerie extrêmement moderne des années 1980. Je sais, c'est stupide, mais je me suis toujours demandé si les gens qui ont vécu à l'époque voyaient le monde comme on le voit maintenant, or le fait est que l'ouverture avec le public dans la grande salle de projection en 1984 fait éminemment moderne, jusque dans le choix des couleurs et des vêtements.

En définitive, je vous ai assez peu parlé du film, mais c'est aussi que les subtilités du texte m'échappent complètement, lorsqu'il s'agit des machinations des informaticiens pour écouler leurs produits ou couler leurs rivaux. J'ai néanmoins passé un bon moment devant Steve Jobs et ne regrette pas ma séance. Mais ça ne m'a toujours pas donné envie de m'intéresser à l'informatique! Je ne sais toujours pas ce qu'est la "3G" et je le vis très bien, et je ne troquerai pour rien au monde mon écriture manuscrite d'écolier, même quand les parents d'amis s'imaginent que leurs enfants correspondent avec un élève de six ans en prenant leur courrier. Parce que le film m'a diverti sans me parler pour autant, je monte à un petit 7/10, en espérant que ça ne retombe pas à 6 quand j'y repenserai plus tard.

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