lundi 8 février 2016

L'Histoire secrète de la cour des Qing (1948)

Un film de Zhu Shilin (朱石麟).

A l'occasion du Nouvel An chinois, parlons de ma chanteuse chinoise préférée, Zhou Xuan (周璇), dans ce que j'estime être son plus grand rôle cinématographique, L'Histoire secrète de la cour des Qing (清宫秘史), soit Qing gong mi shi dans la langue originelle.

Autant le dire tout de suite, si j'ai adoré découvrir ce film jadis tant j'étais ravi de voir pour la première fois les grandes chanteuses de shídàiqǔ à l'écran, la revisite est plus en demi-teinte, sans que l'œuvre ait perdu en qualité pour autant. En fait, la relative déception d'un nouveau visionnage vient de l'aspect trop théâtral dont le film n'arrive pas à se départir, ce qui affecte à la fois le scénario et les performances d'acteurs. Et c'est dommage, car cette histoire qui interroge les conflits entre traditions et modernité dans les tous derniers feux de l'Empire chinois partait avec un très bon potentiel. Mais le texte est hélas trop linéaire. Par exemple, le découpage en années (1889, 1891, 1894 etc.) mise trop sur un ballet d'événements ponctuels et pas assez sur une fluidité toujours préférable, de telle sorte qu'on se retrouve dans un schéma un peu usé de type: "en telle année il se passe ça, deux ans plus tard elle joue avec un appareil-photo, trois ans après elle tente de conseiller l'empereur, etc". Ça n'empêche pas l'intrigue de raconter ce qu'il faut et d'aboutir à une conclusion grandiose après avoir pas mal exposé l'opposition des deux femmes qui gravitent autour de l'empereur, mais on a quand même l'impression que le scénariste, Yao Ke (姚克), n'arrive pas tout à fait à mélanger réalité historique et romanesque, accentuant trop le côté linéaire dont je parlais dans le premier cas, mais aussi le côté mélodramatique de situations faisant la part belle à de multiples complots. Disons que le dialogue est parfois tellement théâtral qu'on se croirait par moments dans un soap, mais il faut aussi accepter l'idée que les Chinois étaient friands de ces histoires emphatiques à l'époque, et ces secrets de palais restent de toute façon bien plus aérés que des films modernes comme La Cité interdite dont j'ai déjà parlé. En outre, cette théâtralité un peu excessive n'altère pas l'aspect grandiose de cette reconstitution impériale, les bémols du scénario n'empêchant jamais de vouloir connaître la suite avec avidité.

La forme est d'ailleurs assez intéressante pour faire passer un bon moment, et ce dès l'introduction qui accroche le regard du spectateur avec ce travelling dans l'enfilade de décors luxueux, pour mener directement à un miroir dans lequel se regarde l'impératrice douairière Cixi (慈禧太后), de quoi illustrer dès le départ la présence imposante d'une femme déterminée à ne pas céder la moindre parcelle de pouvoir à quiconque. Plus loin, un plan amusant montre les concubines s'étonner de cet étrange appareil-photo qui détonne dans cette cour archaïque en costumes traditionnels, avant que Zhou Xuan n'arrive en habits modernes à l'envers, puisqu'elle est observée à travers la lucarne de la machine. Une façon de souligner les difficultés qu'aura l'épouse consort Zhen (珍妃) de faire valoir son point de vue moderne? On peut l'interpréter comme ça, et ça prouve de toute façon que Zhu Shilin est un metteur en scène inventif. Le clou du spectacle restent néanmoins les décors et costumes, tous absolument grandioses et impériaux, au point de bien traduire l'esprit d'un système conservateur étouffant prêt à craquer de toutes parts, toujours rétif à la modernité. L'inestimable site du Festival du cinéma chinois de Paris (attention, le lien raconte la fin) vous dira que les costumes sont l'œuvre de Lu Shihou, qui devrait recevoir une citation bien méritée aux Orfeoscars par son jeu sur les vêtements modernes de Zhou Xuan parmi les habits très traditionnels et sophistiqués des autres épouses. Notons enfin l'usage modéré d'une musique impérieuse dès l'ouverture, écrasante au milieu des décors impériaux, puis plus douce lors des scènes intimes en famille, notamment avec l'arrivée des concubines sur de jolis accords romantiques. Dommage, néanmoins, que la mélodie ne soit pas davantage présente (malgré un retour emphatique à la fin), son absence répétée renforçant un peu la théâtralité du jeu et du dialogue. Par ailleurs, le film étant purement historique, Zhou Xuan ne chante qu'une seule fois, en allumant des bougies.

Ça ne l'empêche nullement de briller comme actrice, dans un registre dramatique qui lui sied parfaitement. Elle est notamment très bonne lorsqu'elle doit marquer sa déception en silence, fait toujours preuve de répondant afin de se démarquer dans cette cour sclérosée, joue bien d'inquiétude ou de compassion lorsqu'il le faut, et son seul faux-pas, à savoir ses pleurs peu convaincants mais symptomatiques du jeu chinois d'alors quand elle supplie l'impératrice, est heureusement très bien rattrapé par une seconde scène de larmes bien plus crédible avec l'empereur. Son monologue final est quant à lui un sommet de dignité qui consacre vraiment le talent d'une actrice méconnue en Occident, laquelle sait par ailleurs être aussi rafraîchissante qu'il le faut lors des passages plus guillerets, en premier lieu dans la séquence à l'appareil-photo. Surtout, Zhou Xuan est celle de la distribution qui sonne la plus naturelle avec les dialogues, à la différence de Tang Rhoqing dont le parler très mécanique passe assez mal pour des spectateurs peu habitués à ce type de jeu, malgré une composition très réussie autrement, avec tout ce qu'il faut d'autoritarisme et de sournoiserie pour bien restituer l'esprit de l'impératrice douairière. A côté, les hommes semblent un peu en retrait, mais il faut dire que des personnages soumis à la volonté d'une femme aussi dure n'ont pas vraiment de quoi briller, même si Hong Bo (洪波) ne manque pas d'intérêt en essayant de s'émanciper d'une tutelle écrasante.

En conclusion, ce deuxième visionnage me donne la certitude que le film n'est pas un chef-d’œuvre, mais c'est tellement représentatif de cet âge d'or du cinéma chinois ante-1949 que le plaisir reste de mise. J'en resterai néanmoins à 6/10, n'étant pas tout à fait convaincu par cette histoire trop linéaire d'un point de vue historique, et trop mélodramatique dans cet enchaînement de complots. Mais Zhou Xuan et les costumes sont très fortement envisageables pour les Orfeoscars 1948!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire