dimanche 14 février 2016

Orfeoscar des meilleurs décors 1940


Après les costumes, je continue sur ma lancée et passe aux décors. Je n'ai toujours pas vu De Mayerling à Sarajevo car le DVD est paraît-il de mauvaise qualité, mais nous ne perdrons pas au change, puisque l'étranger (entendez hors Hollywood bien sûr) sera tout de même bien représenté en 1940. Voilà où j'en suis actuellement:


5. Edwin Willis et Cedric Gibbons pour
Pride and Prejudice

Avec New Moon, The Mortal Storm, The Shop Around the Corner et Waterloo Bridge, il va de soi qu'Edwin Willis et Cedric Gibbons ont énormément contribué au rayonnement de la MGM en 1940. Pourtant, je prends le parti de les nommer pour leur cinquième cheval de bataille, les décors de Pride et Prejudice compensant leur aspect légèrement anachronique par de multiples qualités qui me ravissent, mais aussi parce que je ne suis pas autant impressionné par la décoration des autres films: Waterloo Bridge ne m'a pas marqué outre mesure pour ses plateaux, New Moon a un joli décor de bateau qui ne m'a pas laissé un souvenir très vif, The Mortal Storm contient de superbes reconstitutions de montagnes sans que ce soit le clou du spectacle à mon goût, et The Shop bénéficie certes d'une très belle vitrine, mais une fois les bases posées, celle-ci change trop peu pour vraiment éblouir. J'admets aussi avoir très envie de distinguer Pride et Prejudice une fois dans ma liste, et je ne savais pas trop où le caser ailleurs... Laissez-moi me justifier.

Apports: La semaine dernière, je râlais à propos de costumes pas du tout georgiens qui contribuent, avec le scénario, à faire sortir cette adaptation trop libre d'Orgueil et Préjugés des sentiers austeniens. Malgré tout, les décors ne me posent pas tant de problèmes, en grande partie parce qu'une bonne fraction de l'intrigue se passe en extérieurs. En extérieurs de studios, certes, mais ça permet justement aux décorateurs de ne pas s'attarder sur des salons lorgnant déjà trop vers le milieu du XIXe siècle (le plan sur le lustre du bal m'évoque plus spontanément une valse que les maggots attendus), encore qu'on appréciera la différence de tons entre les richissimes intérieurs de Rosings avec alcôves et vases géants, et les pièces moins grandioses des Bennet. Mais surtout, ces extérieurs touchent à quelque chose de plus universel, les jardins étant un lieu propice à la romance. En effet, les intrigues s'y nouent et s'y dénouent, et l'aspect labyrinthique du jardin des Bennet évoque idéalement la difficulté de trouver le véritable chemin du cœur. La fête publique au parc dans le premier acte, avec Greer Garson se cachant derrière des buis et Laurence Olivier la cherchant parmi les nombreux convives, renforçait déjà l'importance des jardins quant à la définition de la romance par le film, et j'apprécie également certains messages plus didactiques, notamment la petite cour rustique de Charlotte Lucas écrasée par l'imposant Rosings en arrière-plan, de quoi souligner avec humour l'importance de la dame de Burgh sur sa société. La reconstitution de Meryton est également hors de tout reproche, avec des poutres dans les murs qui font plus anglaises que nature. A la fin, ces décors sont élégants et délicats, les jardins aérant le film et participant de son atmosphère plaisante, tout en contribuant à faire passer un bon moment même quand l'histoire déçoit.

Intérêt: Les jardins sont un élément essentiel de ma personnalité. J'aime beaucoup organiser mes propres histoires d'amour dans des jardins d'été au clair de Lune, aussi la délicatesse du film me parle-t-elle beaucoup.


4. Carl Jules Weyl pour
All This, and Heaven Too

C'était impossible de trancher avec La Lettre en face, mais là encore, je voulais absolument nommer le film une fois, sachant que je l'aime beaucoup plus que Pride and Prejudice. L'élément de poids de La Lettre, ce sont bien entendu les rayures, qui des volets aux chaises en passant par les canapés rendent l'atmosphère superbement inquiétante. Sans parler du quartier chinois, avec les sinogrammes des étendards et le rideau de Mrs. Hammond. Autant dire sans détour que ces trouvailles sont franchement géniales et définissent autant le film que la mise en scène. Ceci dit, une fois qu'on a observé cette avalanche de rayures jusque dans les moindres détails, la décoration reste dans les faits assez peu impressionnante: les volets sont de simples persiennes, le canapé est peu élégant, et le quartier chinois n'est en fait qu'un mur lézardé avec des signes chinois peints dessus. Je pense alors que les rayures contribuent surtout au rayonnement de la photographie, et All This, and Heaven Too remporte à mes yeux le match décoratif du détail et de la quantité.

Apports: Même si tout se passe presque exclusivement dans un hôtel particulier, on appréciera la différence de tons entre chaque pièce. Ainsi, le bureau aux multiples livres et au globe terrestre définit la personnalité d'un duc très occupé au ministère et surtout cultivé, donc intéressant. A l'inverse, la suite étouffante de la duchesse, surtout définie par un gigantesque lit, de trop nombreux sièges contribuant à la rendre inactive, et un oratoire privé, correspond  bien à la futilité d'une femme maintenue dans ses frustrations par un confesseur et une austère dame de compagnie. Par contraste, les appartements des enfants sont les plus chaleureux de la maison, et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si le duc prend toujours un moment pour venir s'aérer l'esprit dans un environnement studieux (avec des livres, un tableau et un piano) mais aussi ludique (avec ces jouets par milliers). Dans tous les cas, l'aspect général de l'hôtel est grandiose à souhait, les moulures au plafond le disputant à de grands escaliers ou à d'imposants extérieurs en pierre de taille. Outre cette demeure ducale, on appréciera également le soin apporté aux loges de l'opéra ou, dans un tout autre registre, à la salle de classe du pensionnat américain, où les motifs géométriques d'une future leçon de mathématiques le disputent aux insultes italiques du tableau de lettres. Malgré tout, ces trouvailles soignées ne sont rien par rapport à trois éléments exceptionnels qui illustrent l'avancée de la narration. En effet, les couloirs du manoir de Melun sont assez sombres afin de permettre à la duchesse de s'y dissimuler et surprendre son monde; la gigantesque cheminée d'auberge apporte par son côté rustique une authenticité rassurante où les sentiments peuvent s'exprimer avec plus de décontraction que dans l'hypocrisie des luxueux palais; tandis que les miroirs au plafond, où se reflètent le roi et les danseurs, invitent précisément à la danse tout en isolant les jeunes filles et leur gouvernante par la même occasion, celles-ci n'ayant pas le droit de prendre part au bal et devant se contenter de le regarder de loin.

Intérêt: J'aime énormément les pièces spacieuses, mais les intérieurs de ville sont tout de même trop grands et trop chargés. La cheminée rustique me rappelle en revanche de merveilleux séjours à la campagne, et les tapisseries de la chambre de jeu, comportant les motifs les plus discrets de la maison, me rappellent ma propre pièce de jeu. Les étagères en alcôves sont d'ailleurs très élégantes en permettent d'envisager un rangement discret qui n'empiète pas sur le reste de la chambre: ça c'est ingénieux!


3. Lyle Wheeler, Howard Bristol et Joseph Platt pour
Rebecca

Figure incontournable de la décoration hollywoodienne, Lyle Wheeler détient sans surprise un nombre record de victoires et de nominations officielles. Sa collaboration avec Howard Bristol et Joseph Platt pour le chef-d’œuvre gothique d'Alfred Hitchcock reste probablement son sommet, et je suis très déçu de ne pouvoir les classer que troisièmes, en cette année de concurrence acharnée.

Apports: Manderley reste l'archétype du château gothique et inquiétant, et l'on n'a rarement fait mieux après, bien que des films comme Dragonwyck, The Innocents et The Haunting valent leur pesant de mystère. Quoi qu'il en soit, tout est fait pour isoler Joan Fontaine, la nouvelle venue non désirée, au sein de pièces gigantesques lui rappelant sans cesse qu'elle ne sera jamais digne de tenir son rang, même lorsqu'elle soupe tranquillement dans une salle à manger trop grande pour un seul couple. En fait, le château a beau appartenir à Max de Winter, seul soutien de l'héroïne dans cet univers qui la dépasse, la décoration est à l'image de Rebecca et Mrs. Danvers, comme pour souligner que les lieux échappent finalement à leur propriétaire initial par le biais de forces obscures préférant s'autodétruire plutôt que céder une parcelle de terrain. A vrai dire, même le noir et blanc renforce l'intrigue, les draps et rideaux immaculés de Rebecca permettant à la sombre silhouette de la gouvernante de surprendre l'intruse en semblant apparaître de nulle part derrière une tenture transparente. Pour le reste, les voûtes et les ogives contribuent à accentuer le malaise de l'héroïne dans un vrai labyrinthe de couloirs qui convergent curieusement et irrésistiblement vers la chambre de la première épouse. Ce saint des saints est d'ailleurs tellement bien travaillé que lorsque la gouvernante ouvre les énormes rideaux pour illuminer la pièce, on arrive à sentir l'influence de la mer sur laquelle les fenêtres ont vue, et ce même sans la voir réellement.

Intérêt: J'adore! C'est gothique à souhait mais jamais repoussant, et ces voûtes et ogives pourraient parfaitement servir de décor à une résidence secondaire à la campagne. J'apprécie surtout les fenêtres en angle de la chambre de Rebecca, lesquelles accentuent la luminosité d'une très grande pièce qu'il convient d'éclairer au maximum.


2. S. Kuznetsov (С. Кузнецов) et Vladimir Yegorov (Владимир Егоров) pour
Vassilissa la Belle (Василиса Прекрасная)

Attention! Wikipédia vous dira que c'est un film de 1939, mais l'information est à prendre avec des pincettes, les films russes étant référencés selon leur date de production et non leur date de sortie en salles. Or, tous les autres sites sont unanimes: la première eut lieu le 13 mai 1940 en Union soviétique, donc Orfeoscars 1940. On appréciera en tout cas de retrouver Vladimir Yegorov dans ma sélection, l'homme étant considéré comme l'un des décorateurs les plus influents du cinéma soviétique.

Apports: Toute l'imagerie des contes russes est là. La forêt naturelle aux accents bucoliques, où courent de gentils ours et de mignons écureuils, est ainsi superbement opposée au territoire de la sorcière Baba Yaga, où les branches prennent subitement la forme de mains crochues terrifiantes. D'ailleurs, même si l'héroïne a assez de personnalité pour n'avoir pas peur elle-même en ces lieux oppressants, la maison dans les arbres reste assez obscure en soi pour accentuer le malaise des spectateurs, qui se demandent toujours quelle créature risque de surgir du décor. En outre, même les endroits les plus chaleureux contiennent déjà une part de fantastique, mais sans en faire trop afin de préserver l'équilibre entre réel et conte de fées: l'église du village a notamment la forme d'un  hennin pour le moins étrange, et les fleurs gigantesques apportent également leur part de mystère dès la première partie. Toutefois, rien ne bat la reconstitution du château du dragon, avec ces roches oppressantes, ces grands escaliers brumeux conduisant à une tour sinistre, ce verrou inquiétant protégeant l'antre du seigneur des lieux, et surtout ces grandes salles à lignes concentriques couronnées de multiples statues effrayantes. A vrai dire, même les décors naturels sont superbement trouvés, les cascades renforçant de leur côté l'aspect aventureux de l'histoire, tout en servant de cadre idéal à des effets spéciaux très réussis.

Intérêt: J'aime la forêt, ce lieux attirant et inquiétant à la fois, où l'on m'emmenait me promener dès mon plus jeune âge afin de m'y habituer. La forêt réelle me grise, et je suis toujours partant pour faire battre mon cœur au rythme d'aventures forestières épiques devant une œuvre de cinéma.


1. Vincent Korda pour
The Thief of Baghdad

Il m'a été quasi impossible de me décider entre Korda et Yegorov, ou plus exactement entre l'Orient et la Russie, mais c'est finalement le premier qui l'emporte, grâce à une multitude de bâtiments détaillés avec tellement de soin que la victoire en devient finalement indéniable.

Apports: Comme précisé, tout est dans le détail. Chaque colonne possède ses motifs harmonieux, et le décorateur a poussé le génie à différencier toutes les tours de la ville afin qu'aucune ne se ressemble. Les portes d'entrée, pas loin de rappeler ce que le Moyen Age ou l'Antiquité ont fait de mieux, sont encore monumentales à souhait, et les coupoles et minarets sont parfaitement orientaux, avec juste ce qu'il faut de fantastique pour faire davantage rêver et voyager. Les couleurs apportent aussi énormément au film, car si la ville est rose, les intérieurs sont eux plutôt bleus ou blancs, si bien qu'on ne s'ennuie jamais, sachant que chaque tissu offre d'ailleurs de nouvelles teintes à l'histoire. Mais surtout, regarder le Voleur de Baghdad, c'est s'envoler sur un tapis volant à travers tout l'Orient, puisque l'on quitte la Mésopotamie au second acte pour des contrées indiennes, ce qui a poussé le décorateur à se réinventer en dessinant des statues bouddhiques aux multiples niches ornées. La grille géante du dernier acte est quant à elle assez terrifiante pour trancher avec les grilles élégantes des fenêtres de la ville blanche, de telle sorte qu'à l'instar des costumes, les décors contribuent à définir l'atmosphère d'un lieu ou d'une séquence. Sans parler des gigantesques navires colorés à souhait... Bref, Vincent Korda nous offre la dose d'exotisme qui plus que tout autre élément définit le film dans son ensemble, et le soin apporté au moindre détail de chaque construction lui vaut mon vote au détriment de la forêt russe, qui aurait gagné n'importe quelle autre année.

Intérêt: On rêve et on voyage, et ces décors font exactement partie de ceux qui donnent envie d'aller au cinéma. Par contre, mon vote pour la meilleure araignée géante va à Vassilissa, celle-là étant plus terrifiante avec ses yeux lumineux et son timbre caverneux. Mais Baghdad remporte le match du fantasme, d'où sa première place.


Tableau d'honneur: Richard Day et Thomas Little pour The Blue BirdThe Grapes of Wrath et The Mark of Zorro, pour leur talent à passer de palais royaux à des intérieurs rudimentaires, ou à faire rêver à travers la touche hispanique d'haciendas californiennes. Edwin Willis et Cedric Gibbons pour New MoonThe Mortal Storm, The Shop Around the Corner et Waterloo Bridge: voir ci-dessus. Anton Grot pour The Sea Hawk, le film bénéficiant de décors impressionnants qui auraient pu lui valoir la victoire... la Warner n'eût-elle pas réutilisé les bateaux de Captain Blood et le palais d'Elizabeth and Essex. Certes, le décorateur a fait l'effort d'apporter les variations requises aux salles, mais celles-ci étant quasiment identiques au film de 1939, nul besoin de nommer le même homme deux fois de suite pour exactement la même chose. Walter Haag pour Das Herz der Königin, avec une décoration Renaissance encore plus harmonieuse et réaliste que l'imagerie hollywoodienne d'Anton Grot, notamment grâce aux plafonds détaillés avec soin. J'ai failli nommer le film, mais comme ça reste de la propagande nazie sous ses airs royaux, l'enthousiasme est évidemment refroidi. Edward Boyle et J. Russell Spencer pour The Great Dictator: pour la rue principale du ghetto et pour le palais du dictateur, mention spéciale aux rayons partant de la double croix dans le bureau du globe. Duncan Sutherland pour Gaslight, pour les intérieurs d'époque même si le film m'ennuie. Carl Jules Weyl pour The Letter: voir ci-dessus. Enfin, citons les studios Disney pour Fantasia et Pinocchio, deux films pour lesquels les créateurs sont trop nombreux pour tous les citer, mais où les dessins préparatoires sont remarquables. En effet, si Pinocchio brille par son village amélioré, ses horloges, sa fête foraine et son fond océanique; les décors de Fantasia touchent quant à eux au divin, avec entre autres les nuages de la Toccata, les fleurs de Casse-Noisette, les colonnes du palais des Heures ou les temples grecs de la Symphonie pastorale... Quelle merveille!


A découvrir: Jean d'Eaubonne pour De Mayerling à Sarajevo, un décorateur qui au pire des cas sera de toute façon nommé douze ans plus tard pour ses superbes collaborations avec Ophüls. D'autres suggestions?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire