vendredi 26 février 2016

L'important, c'est le laid.


Ça y est, je viens enfin de voir L'important c'est d'aimer… en entier. J'apporte la précision parce qu'il m'aura fallu trois essais pour aller jusqu'au bout : la première fois, la laideur visuelle de la première scène ne m'avait pas motivé pour continuer, et j'avais dû abandonner pour rendre le film à la bibliothèque à temps. La seconde, j'avais réussi à passer le cap de la pénible première demi-heure, mais c'était déjà un gros effort, et l'arrivée de nouveaux personnages pervers et caricaturaux m'avait fait refermer l'étui pour le renvoyer dès le lendemain en rayon. Il aura donc fallu un troisième essai en direct devant un poste de télévision pour m'obliger à tenir jusqu'au bout, et je demande d'ores et déjà pardon à mes hôtes à qui j'ai infligé cette horreur dans leur salon.


Horreur. Le mot n'est pas trop faible, car la seule ligne directrice du film, c'est bien une dégringolade malsaine dans le sordide, où l'on part d'un tournage de film porno pour finir par se traîner sur le sol d'un urinoir public, en passant par à peu près toutes les perversions possibles et imaginables dans des intérieurs mal décorés. Évidemment, je ne suis pas stupide au point d'ignorer que c'est un choix assumé d'Andrzej Zulawski : le titre bucolique est je suppose censé percer coûte que coûte sous le vernis de toutes les misères du monde, afin de montrer que l'amour est effectivement la seule chose qu'il restera à Nadine, surtout qu'au milieu de ses égarements, elle n'est d'ailleurs plus définie que par sa capacité à aimer, entre les vestiges de sa reconnaissance envers son mari et ses sentiments naissants envers le photographe. J'en conclus donc que pour faire ressortir le verbe essentiel de l'histoire, le réalisateur a fait le choix d'en inonder sa définition sous le déluge le plus glauque du monde, et ce au prix d'une photographie aux teintes volontairement grisâtres supposées traduire l'état d'esprit "paumé" de l'héroïne. L'ennui, c'est que ces choix de luminosité appuient tellement sur le sordide que tout en devient vraiment affreux, et c'est insupportable à regarder. L'autre jour, je parlais de ma très agréable découverte du Juge et Assassin de Tavernier en évoquant une photographie à couper le souffle, une bonne surprise que je comparais avec "certains films avec Romy Schneider". Je pensais précisément à L'important c'est d'aimer, où chaque plan est si glauque et gris que c'en devient immonde. En outre, pour accentuer les tourments de Nadine, Zulawski s'amuse avec un jeu de zooms en continu, mais ça donne plus le tournis qu'autre chose et ça ne s'intègre pas forcément à l'histoire.


Quelle histoire d'ailleurs ? L'usage de ces zooms frénétiques est en fait rendu caduque par l'absence totale de scénario, si bien qu'on se retrouve devant un film volontairement laid qui en définitive ne raconte rien. Tout ça pour ça ? Je n'aime pas définir une œuvre comme prétentieuse, car c'est souvent un adjectif utilisé à tort et à travers quand on ne sait plus quoi dire, mais le terme est une fois n'est pas coutume très adéquat ici : Zulawski montre qu'il a des références en placardant des posters de June Bride et autres films de prestige partout dans l'appartement principal, mais ça tranche beaucoup trop avec cette atmosphère peuplée d'acteurs médiocres tout justes bons à tourner dans de la série Z, et ça ne fait même pas particulièrement avancer l'histoire, pas même par contraste puisque la question de faire jouer Nadine dans Richard III est rapidement mise de côté. Alors, que cherche-t-on a nous raconter plus on avance dans le film ? Pour mettre les choses au clair, on nous dit que l'important, c'est d'aimer. Sauf que lorsque le scénario se souvient du titre une fois toutes les demi-heures, c'est uniquement pour poser des questions creuses qui alourdissent d'autant plus l'intrigue au lieu de mieux en cerner les contours, comme lors de la séquence au café où Romy Schneider s'énerve : "Mais ça ne veut rien dire "je t'aime"!"


Pour être honnête, on peut éventuellement penser que ce genre de répliques illustre le désarroi de personnages définis comme "paumés", mais devant le montage aberrant qui saute d'une personne à l'autre sans prévenir, force est de reconnaître que si les protagonistes sont aussi largués, c'est que ça arrange surtout le réalisateur pour leur faire faire n'importe quoi sans souci de cohérence. Ainsi, on ne sait plus quoi faire pour dérouler le récit ? Vite, comblons les trous avec des orgies totalement gratuites, ou avec un personnage qui monte sur sa table pour déclamer des tirades tel un fou furieux. Franchement, la seule chose qui semble intéresser Zulawski, c'est de passer en revue une ribambelle de personnages vicelards et répugnants pendant presque deux heures, quand bien même certains n'apportent rien à l'affaire. Ce point de vue est d'ailleurs confirmé par des caricatures ahurissantes d'homosexuels dégoulinants de maquillage, ou par une scène de violence sanglante qui sort de n'importe où à la fin. Et que dire de ces dialogues complètement plaqués, comme celui sur les femmes au Yemen ? Le pire, c'est que pour combler les trous d'un scénario qui fait défiler le maximum de personnages malsains au lieu de donner un minimum d'épaisseur au trio central, on nous balance un thème de Georges Delerue pour augmenter le pathos de certaines séquences. Malheureusement, on n'est pas dans The Pumpkin Eater ici ! Autant dans le film de Jack Clayton les envolées lyriques étaient savamment dosées et uniquement au service d'un portrait de femme compliquée parfaitement brossé, autant l'usage répétitif de la même ritournelle à divers endroits du film de Zulawski donne davantage l'impression qu'on essaie de noyer un poisson qui n'a rien à raconter. À l'image des zooms et des posters de cinéma, le motif de Delerue participe plus d'un bricolage formel que d'un usage réfléchi pour servir une narration.


Le problème, c'est que tout ce vide et ces excès de laideur affectent la performance d'actrice, seul élément susceptible de maintenir un semblant de cohésion dans cet ensemble. La seule ligne à peu près cohérente dans l'histoire, quand on ne s'égare pas pendant des dizaines de minutes sur le quotidien de producteurs vicieux, la concerne d'ailleurs entièrement : arrivera-t-elle à choisir entre deux hommes bien qu'elle soit complètement perdue ? Alors Romy sait parfaitement jouer toutes les émotions qu'on lui demande, entre air hagard, larmes, séduction provocante et crise de nerfs sur une tasse de café, mais qu'essaie-t-elle de montrer dans tout ça ? Certes, elle est paumée, mais pourquoi ne le suggère-t-elle que par moments ? Pourquoi a-t-elle l'air aussi sûre d'elle et posée dans la moitié des séquences ? Méprise-t-elle vraiment son mari comme celui-ci a l'air de le penser ? Ressent-elle vraiment quelque chose pour le photographe avant les dernières minutes ? Ce n'est jamais très clair, mais ça ne me semble pas vraiment traduire les égarements de Nadine. En fait, on a plutôt l'impression que Romy fait comme le réalisateur : elle bricole, elle expérimente avec plusieurs effets qu'elle maîtrise très bien, sans savoir pour autant ce qu'elle a à raconter. On comprend néanmoins qu'elle fut très fière de ce rôle, qui non content de lui avoir donné du grain à moudre comme actrice a surtout eu le mérite de briser son image, encore que l'érotisme de La Piscine était déjà cent fois plus troublant que les images de fesses et les répliques vulgaires de L'important c'est d'aimer. Hélas, les trop fortes imprécisions de la mise en scène et du scénario font tourner ce personnage à vide (concrètement, on se contrefiche de savoir avec qui elle va finir au bout de seulement vingt minutes), aussi ai-je vraiment du mal à considérer cette performance comme la meilleure de l'année, à l'inverse de plusieurs sites que j'ai croisés ça et là. Désolé Romy, mais je donne le César à Adjani!


Pour le reste de la distribution, Jacques Dutronc est franchement mauvais : ses répliques sonnent faux dans sa bouche ("Elle a un cul d'adolescent, j'adore ça."), son air constamment amorphe ne colle pas au type geignard qu'il est censé jouer, et sa dernière séquence est tellement irréaliste qu'il n'est pas en mesure de dessiner les contours d'un personnage encore plus imprécis que Nadine. De son côté, Fabio Testi fut apparemment doublé ce qui rend difficile de juger de sa prestation, avec ce photographe qu'on ne comprend pas plus que les acteurs, et tous les autres personnages sont pour leur part trop hideux pour nous permettre d'avoir une once de sympathie pour les performances de leurs interprètes, tous passant leur temps à se rincer l’œil devant des priapées, à lécher du sang ou à se fourrer des godemichés dans le moindre orifice. Je ne sors pas du couvent, mais à ce stade d'obscénités, c'est vraiment navrant.


En somme, j'ai beau essayer de me convaincre qu'il y a tout de même une fine trame narrative à suivre, ces nombreuses séquences qui s'étirent en longueur à propos de tous ces rôles secondaires répugnants font davantage l'effet de divagations qui n'apportent rien à l'affaire. Le tout me semble inutilement glauque et absolument creux, et vous aurez beau m'accuser d'être passé complètement à côté du film, ça n'y changera rien : c'est détestable, et seule la mise en scène des laideurs humaines semble avoir intéressé Andrzej Zulawski. Impossible dès lors de voir ce que tout le monde peut bien trouver à cette œuvre, à laquelle je dois attribuer la note minimale tant c'est insupportable et désespérément affreux. Vivement le prochain film pour oublier tout ça!


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