lundi 31 octobre 2016

La Banquière (1980)


La Banquière est, de tous les films français de Romy Schneider, celui qui me plaît le mieux : c'est beau, l'héroïne est charismatique et pleine de ressources, et l'atmosphère années 1930 en costumes empêche l'ensemble de sombrer dans la touche "France contemporaine des années 1970" qui a si mal vieilli. C'est un film de Francis Girod, inspiré par la vie de Marthe Hanau, la "banquière des Années folles", qui se hissa aux sommets d'un monde exclusivement masculin et se fit par-là même beaucoup d'ennemis. Renommée Emma Eckhert pour l'occasion, la financière scandaleuse reste un rôle en or qui donne à Romy l'occasion de livrer une bonne, voire très bonne, performance. Dommage que le film peine à tenir toutes ses promesses…


En réalité, tout commence en mettant l'eau à la bouche: l'introduction de dix minutes en noir et blanc est tournée à la manière d'un film muet, sur l'air d'un sympathique pianola d'Ennio Morricone, et le tout avec de jolis cartons semi burlesques narrant les mésaventures de la jeune Emma, traitée comme une paria pour son lesbianisme, mais toujours capable de rebondir par un mariage de convenance qui ne l'empêche nullement de poursuivre sa liaison avec une riche héritière, laquelle lui prêtera l'argent à l'origine de sa fortune. Après coup, le film passe en couleurs alors que la jeunesse des Années folles danse frénétiquement à l'aube de la crise de 1929, un moment-clef dans l'histoire de la finance qu'Emma saura mettre à profit pour devenir la banquière la plus populaire de Paris, via une histoire de taux à 8% à laquelle je n'ai rien compris, mais qui sera tout de même le début de ses déboires, à mesure que ses rivaux tenteront de la faire tomber. En filigrane se brosse un portrait de femme forte, ingénieuse et n'hésitant jamais à se servir de son entourage : elle utilise par exemple le prêt de son amante bijoutière avant de la délaisser d'un revers de la main, et elle n'hésite pas non plus à faire chanter l'homme dont elle vient de tomber amoureuse quand ça arrange ses affaires. Le personnage est donc complexe, suscitant autant la sympathie par son caractère faussement démocratique (elle prétend que même les petits épargnants ont le droit de s'enrichir, bien qu'elle fasse ce mouvement pour s'enrichir davantage elle-même), que l'antipathie à travers ses manipulations.


Ah ! Et oui, vous avez bien lu : "l'homme dont elle vient de tomber amoureuse". Le film n'a pas, hélas, le courage de faire d'Emma une véritable lesbienne : elle l'est simplement trois minutes le temps de faire fortune, après quoi elle jette son dévolu sur un blanc-bec à la pilosité d'ours, de quoi faire retomber l'histoire dans une romance des plus communes. Par bonheur, les luttes politiques que se livre le couple donnent du piquant à leur passion, et la relation trouble qui se noue entre Emma et la femme de son amant pimente d'autant plus l'affaire, mais force est de reconnaître que c'est surtout l'épouse qui semble attirée par Emma, qui en revanche cesse progressivement de s'habiller en homme à mesure qu'on avance dans l'histoire. C'est dommage, car cette bisexualité qui ne s'assume pas tout à fait sonne un peu faux. Par bonheur, ça n'enlève rien à la fascination qu'exerce Emma, mais cette romance hétéro qui occupe tout de même un bon tiers de film est loin d'en être l'aspect le plus intéressant, hormis lors de la question du chantage, quand la banquière n'hésite pas à briser la carrière politique de son amant pour se venger. Sauf qu'ils passent leurs temps à se rabibocher malgré ces coups d'éclat, alors quel intérêt de les voir s'embrasser à longueur de temps dans des chambres d'hôtel, alors que la musique devient de plus en plus quelconque dans ses accents romantiques?


L'intérêt, pour moi, vient surtout des deux autres actes. Le premier évite dieu merci (!!!) de trop s'attarder sur des questions financières, sauf sur cette histoire de 8% qui explique la popularité d'Emma et permet de créer une ribambelle de gâteaux en forme de 8, si bien qu'on suit avec plaisir dans un second temps la montée en puissance d'une femme d'exception, invitée dans les émissions de radio les plus prestigieuses pour parler de ses projets. Le troisième acte offre quant à lui bien du grain à moudre à Romy Schneider, puisque Emma passe par la case prison après une série de scandales, de quoi lui faire ravaler son orgueil et révéler enfin toute sa vulnérabilité. L'actrice est excellente dans cette partie, parce qu'elle n'oublie jamais la force de caractère du personnage malgré les drames, tout en humanisant l'héroïne froide et implacable esquissée jusqu'alors. C'est une jolie performance que je pourrais nommer à l'occasion, l'année restant très ouverte à ce jour. Pour les personnages secondaires, l'interprétation maintient toujours le cap, en particulier chez Marie-France Pisier, qui intrigue à mesure qu'elle se laisse envoûter par une héroïne qu'elle ne perçoit jamais comme une rivale, et chez Daniel Mesguich, très charismatique dans le rôle du politicien malgré son sourire niais au possible. En revanche, Jean-Louis Trintignant n'est pas du tout crédible en banquier teigneux prêt à tout pour faire tomber Emma, puisque l'acteur renvoie une image beaucoup trop douce pour un tel rôle. À vrai dire, la scène où il parle à son double imaginaire en jouant aux échecs n'est pas la plus heureuse de sa carrière.


Je finirai en évoquant la photographie de Bernard Zitzermann, à qui l'on doit également le Molière d'Ariane Mnouchkine, une photographie qui n'a rien d'exceptionnel en soi mais qui rend le film nettement plus beau que la plupart des œuvres françaises de Romy. En fait, l'aspect technique qui impressionne le plus sont les costumes, vraiment charmants avec leur touche "années 1930", en particulier lorsque Romy s'appuie contre la vitre de l'hôtel du Palais de Biarritz, une plume noire sur un turban blanc. Tout ceci rend la découverte agréable, mais cette romance qui tourne en rond, ces antagonistes trop fades et la durée un peu excessive de plus de deux heures empêchent tout de même La Banquière de se hisser au rang de grand film. C'est intéressant mais un peu décevant: 6/10.


4 commentaires:

  1. J. London Stanwyck31 octobre 2016 à 21:02

    Oh, tu ne chroniques que des films que je n'ai pas vus ces temps-ci ! Il faut dire que le cinéma français m'est encore assez peu connu, aussi je n'ai vu ni les Huppert ni les Schneider.
    A propos de Romy Schneider, as-tu sur ta liste The Trial ? Le film est anglais, mais comme la production est française ça pourrait peut-être rentrer dans ta liste de performances françaises, cela dépend des critères que tu adoptes. J'ai vu le film il y a longtemps, aussi mes souvenirs sont-ils un peu flous, mais Schneider y est assez étrange et énigmatique (surtout avec ses mains palmées, c'était très perturbant !). Je ne peux guère comparer avec ses autres performances, je ne l'ai vue que dans les Sissi étant petit, je ne pense pas que ça soit bien représentatif de sa carrière...
    En tout cas, j'ai hâte de lire ta liste d'actrices françaises, cela me donnera des idées de visionnages !

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    1. Non, je n'ai pas vu Le Procès, qui est néanmoins sur ma liste d'attente vu le casting impressionnant! En outre, si Romy y a les mains palmées, il me faut voir ça! J'ai failli acheter l'Enfer récemment, mais me suis ravisé, le sujet m'angoisse quelque peu...

      Les Sissi (dont je garde un bon souvenir enfantin) ne sont évidemment pas du tout représentatifs de la véritable carrière de Romy, qui a bien su rebondir en France avec tous ces rôles de femmes fortes, charnelles ou névrosées. Concernant Elisabeth, je suis surtout un fan inconditionnel de la version qu'elle en a donné chez Visconti.

      Quant à la liste à venir, je parlerai de toutes les actrices ayant contribué au rayonnement du cinéma français que je nomme au moins une fois, même si ce n'est pas forcément pour des films francophones (exemple, je nomme Anouk Aimée pour 8 1/2, mais pas, dans l'immédiat, pour ses rôles français). Il me reste tellement de choses à découvrir, ceci dit, ce ne sera qu'un brouillon provisoire.

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  2. J. London Stanwyck6 novembre 2016 à 19:42

    C'est certain ! Perkins y est fort bon, Welles aussi (d'autant plus qu'il double plusieurs personnages, le mégalomane !) ; quant à Jeanne Moreau, elle y a un petit rôle sympa. C'est curieux, je l'ai vue aussi dans M. Klein et dans Falstaff (que je te recommande hautement, c'est mon Welles favori !), mais je n'accroche jamais tout à fait à ses performances. D'où mon incompréhension quand j'entends dire parfois que c'est la plus grande actrice du monde - non, c'est Barbara !

    Le Visconti m'intéresse en effet, j'aimerais bien comparer avec mes souvenirs des Sissi mignonnement kitsch. Ah oui, Anouk Aimée interprète l'épouse de Mastroianni non ? C'est vrai qu'elle est bien, en effet, mais je préfère la diva française - Madeleine "La Marseillaise" Lebeau sauf erreur - qui est plus fun à mon goût !

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    1. Comme tu le verras dans mon prochain article (peut-être demain ou mercredi soir...), Jeanne Moreau n'est déjà pas mon actrice française préférée (attention, il me manque encore plein de ses films à l'heure actuelle). Je la respecte énormément, elle est une artiste incontournable pour son talent à choisir des metteurs en scène d'avant-garde, et elle a un charisme indéniable, mais finalement, ses performances me touchent peu. J'attends impatiemment les grands classiques inconnus pour trouver le rôle qui me causera le déclic espéré.

      Je ne me souviens plus de toutes les dames de 8 1/2, mais de mémoire Anouk Aimée et Rossella Falk avaient ma préférence. Une révision est plus que nécessaire, ceci dit.

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