samedi 29 octobre 2016

La Nuit américaine (1973)


Considéré comme l'un des chefs-d’œuvre de François Truffaut avec Jules et Jim et Les Quatre Cents Coups, La Nuit américaine est un film original, quasi documentaire, sur les dessous du tournage d'une œuvre de cinéma. On y croise une galerie de personnages de tous métiers confondus, des acteurs à la scripte, en passant par le cascadeur et l'épouse grincheuse du régisseur, dont chacun donne lieu à toute une palette de péripéties susceptibles de retarder le travail général: les figurants qui avancent trop tôt lors d'un plan de foule, la diva italienne qui n'arrive pas à ouvrir la bonne porte, l'acteur principal et ses caprices sentimentaux, la star hollywoodienne affublée d'un mari nettement plus âgé, la mannequin enceinte qui ne l'avait pas dit, et qui doit tourner de nouvelles scènes une fois sa grossesse plus évidente, le chat qui ne veut pas aller où il faut et bien d'autres choses encore, entre soucis techniques et décès accidentel alors qu'il reste encore des séquences à tourner.

Le tout forme un film très intéressant, aussi bien d'un point de vue pédagogique pour qui s'intéresse à l'art de faire du cinéma, que d'un point de vue narratif, où tous ces personnages variés ajoutent de multiples couleurs à l'ensemble. J'avoue qu'après la première grande scène, le sortir du métro tourné dans un studio niçois, j'ai craint que cette Nuit américaine, qui n'est soit dit en passant qu'évoquée car aucune scène n'est montrée sous ce procédé, fût trop documentaire à mon goût, mais le développement progressif de nombreux seconds rôles m'a finalement poussé à me prendre au jeu. On notera par ailleurs que François Truffaut n'a pas hésité à marquer son œuvre du sceau de sa bien connue cinéphilie, comme en témoigne ce colis que le réalisateur, joué par le réalisateur lui-même, se fait livrer pour laisser apparaître de multiples livres sur les grands metteurs en scène du XXe siècle: Dreyer, Lubitsch, Bergman, ou encore Hitchcock bien entendu. J'apprécie pour ma part tous les plans sur les machines: les kilomètres de pellicules s'entremêlant, les formes circulaires de l'intérieur d'une caméra... Ces détails techniques m'excitent totalement, sans que je puisse vraiment expliquer pourquoi. On relèvera encore certains plans très mémorables, avec, par exemple, le dialogue des parents et de leur bru sur deux balcons différents, dont l'un s'avère n'être qu'une plateforme créée ex nihilo; la jolie séquence des bougies censée inscrire le film dans un aspect onirique mais qui s'avérera inutilisable, ou encore la superposition d'images sur le réalisateur exténué car sollicité de toutes parts, et le panneau "Cinéma" clignotant devant lui.

Le seul reproche que je pourrais faire au film, c'est que les intrigues personnelles tournent très vite en rond: tout le monde couche avec tout le monde! C'est supposé faire rire, ce dont témoigne l'expression outrée de la femme du régisseur qui se met toujours dans le champ pour surveiller au plus près les faits et gestes de son mari, mais en même temps, ces histoires de désirs passagers sont un peu mécaniques et donnent l'impression que l'on ne savait plus trop quoi raconter dans la seconde partie. Autrement, la célèbre musique de Georges Delerue est très belle en soi, mais ça ne se marie pas toujours bien avec le style documentaire du film: c'est plutôt le genre de partition qu'on attendrait davantage lors d'une cérémonie dans un palais! Quoi qu'il en soit, La Nuit américaine reste un très bon film, divertissant malgré son aspect particulier, et souvent très drôle. Après tout, Truffaut réussit à saisir le génie comique insoupçonné d'une motte de beurre! Qui peut se targuer d'avoir fait ça à part lui?

La drôlerie vient également des interprètes. Valentina Cortese remporta d'ailleurs de multiples distinctions pour son portrait de Séverine, la diva sur le retour qui boit un peu trop, a du mal à mémoriser ses répliques, et feint de ne pas comprendre pourquoi on ne tourne pas une scène en récitant des numéros au lieu de dire des phrases, pas comme chez Federico! Honnêtement, je ne suis pas plus fan que ça de sa performance: elle n'a concrètement qu'une seule scène pour briller, celle où elle joue à la mauvaise actrice qui mélange les prénoms et passe son temps à sortir par le placard, d'où la nécessité de cinquante-quatre prises pour une séquence de trente secondes grand maximum. C'est à la fois drôle et tragique puisque la comédienne craque sincèrement tant elle s'en veut d'être mauvaise, mais j'ai constamment l'impression que Valentina Cortese se contente de faire ce qu'on lui demande, sans étoffer réellement la scène, ou tout du moins sans y apporter de saveur particulière. On repart donc avec l'impression qu'il manque un petit quelque chose, ce que les minuscules apparitions dont elle doit se contenter par la suite ne font qu'accentuer. En réalité, Jacqueline Bisset me touche bien davantage dans le rôle de la star hollywoodienne, parce qu'elle apporte au film une bouffée d'air frais en n'étant jamais capricieuse, et s'excusant s'il lui arrive de l'être (!), mais aussi parce que Julie a un grand sens des responsabilités. Mon coup de cœur va néanmoins à Nathalie Baye qui compose une scripte charismatique et pleine de ressources: l'air de rien, elle vole la vedette à quasiment tout le monde, et rien qu'un petit sourire espiègle lorsqu'elle surprend un couple au lit, ou sa façon de fumer une cigarette, la rendent éminemment sympathique. Elle est également très drôle, puisqu'elle arrive à retourner son seul et unique défaut à son avantage, lors d'une séquence mémorable de crevaison de pneu.

Du côté des hommes, je ne suis pas spécialement fan de Jean-Pierre Léaud. Certes, il a une forte présence même lorsqu'il reste silencieux, mais sa diction si particulière m'a toujours bloqué dans la plupart de ses rôles. Pour le reste, je ne sais pas trop quoi ajouter: La Nuit américaine est un excellent témoignage sur le métier de cinéma, et l'aspect documentaire est aéré par une galerie de personnages croustillants, que demander de plus? Ça ne me touche pas nécessairement, mais c'est très bon, j'hésite entre 7+ et 8.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire