samedi 8 octobre 2016

Molière (1978)


J'avais le DVD sur mes étagères depuis 2005, mais sa durée de quatre heures et le caractère "c'est pour le Bac français" du présent m'avaient quelque peu refroidi, aussi m'aura-t-il fallu onze ans avant de poser enfin les yeux sur le Molière d'Ariane Mnouchkine, une grande fresque relatant la vie de l'auteur de l'enfance à la mort. Visuellement, ça confine au sublime, mais le film a tout de même un énorme défaut: son histoire, un comble pour une œuvre consacrée au plus célèbre des écrivains français.

En réalité, cette biographie est un assemblage de vignettes sans rapports entre elles, bien que présentées par ordre chronologique. Hélas, toutes ne sont pas dignes d'intérêt. Par exemple, quel est le but de passer six minutes entières sur deux carrosses se bloquant l'un l'autre dans une rue sans que cela n'ait aucune incidence sur le personnage central? Et à quoi sert ce chariot enflammé qui manque de renverser les passants qui se promènent tranquillement la nuit tombée? Dieu merci, bon nombre de séquences ont bien un rapport avec la famille Poquelin, mais là encore, y avait-il besoin de consacrer une demi-douzaine de minutes à une galette d’Épiphanie pour savoir qui aura quel morceau et qui gagnera la fève? Que l'heureuse élue choisisse son roi en la personne de Jean-Baptiste finit tout de même par faire écho à la royale reconnaissance dont jouira le héros dans le futur, mais dans bien des cas, on a affaire à des tranches de vie sans véritable enjeu, pas même pour l'avenir de l'écrivain, qui s'éternisent bien trop longtemps. Au regard de toutes ces vignettes, alourdies par la diction très théâtrale d'une voix off, la durée de 4h20 tout de même (!!!) se fait cruellement sentir, bien que les ors versaillais de la seconde époque parviennent à tromper l'ennui de temps en temps. Autrement, c'est tout à l'honneur de la réalisatrice de ne pas se laisser éblouir par la gloire attendue, et d'ancrer ainsi son film dans une dimension sociale où l'on sent bien la réalité boueuse de la grande majorité de la population de l'époque.

La reconstitution historique est en fait la grande force de Molière: les décors et costumes sont tous très réalistes, et rendent l'ensemble très beau. Les rues de la ville furent apparemment entièrement créés par Guy-Claude François qui usa abondamment de bois et de polystyrène afin de changer rapidement l'aspect des toits, ou de modifier l'emplacement des bâtiments à chaque changement de lieu. Or, à l'exception d'une maison échouant à faire illusion, ces rues sales et surpeuplées sonnent constamment juste et donnent au film un grand cachet. Les costumes de Daniel Ogier donnent également vie aux personnages, sans avoir l'air d'être simplement promenés sur leurs épaules, ce qui ajouté à la réussite de la décoration inscrit Molière dans une veine réellement cinématographique, ce que la mise en scène théâtrale ne réussit pas tout à fait, à l'image de ce prologue de cinq minutes où l'on se croit clairement devant du théâtre filmé. Certaines critiques parlent du film comme de la preuve vivante que théâtre et cinéma peuvent parfaitement coexister dans une même histoire, ce qui est à la fois mérité et un peu exagéré: une histoire mieux rythmée, et moins axée sur des personnages mangeant ou marchant sans mot dire des minutes entières, aurait à mon avis moins accentué l'aspect théâtral de l’œuvre pour mieux la marier avec sa part de cinématographie. Quoi qu'il en soit, le résultat visuel est saisissant, la caméra de Bernard Zitzermann ayant parfaitement su capter de bien belles images, des scènes de repas aux nombreux protagonistes dignes des plus grandes peintures flamandes, au voyage des gondoles dorées dans les montagnes enneigées, en passant par ce moment bizarre où une scène s'avance au grand galop dans les prés, entre les troupeaux de moutons! Un bémol pour la musique, néanmoins, car entendre Lully décrire les rêves de gloire de Louis XIV sur Le Roi Arthur de Purcell, ça ne fonctionne pas vraiment pour un film cherchant à atteindre un tel degré de réalisme.

Pour finir, la chose la plus frappante de ce Molière, c'est la volonté d'Ariane Mnouchkine de toujours rappeler la dimension collective de son oeuvre, celle "de tous ceux et toutes celles dont les noms suivent", comme le rappellent le générique et le livret accompagnant le DVD. Dommage que malgré cette foule de noms impressionnante, je ne sois pas saisi par l'interprétation. En effet, les comédiens appuient énormément le burlesque dans les scènes de théâtre, ce qui était peut-être la manière de jouer de l'époque mais qui a personnellement tendance à m'irriter, et leur jeu est de toute façon beaucoup trop théâtral dans les (excessivement) nombreuses tranches de vie quotidienne, une approche ne fonctionnant pas du tout pour une œuvre filmée. La diction, qui serait parfaite sur les planches, ne passe hélas pas devant une caméra, de même que certains gestes, à l'image du père Poquelin agitant ses mains tels des moulins en plein orage dès que le ton monte.

Finalement, Molière reste une jolie fresque, sensationnelle au niveau de l'image, mais ça ne suffit hélas pas à pallier certains défauts qui ôtent bien du plaisir au spectateur. Une longueur interminable pour une histoire sans enjeux, où l'on passe de tel événement à tel autre sans aucun liant, et où l'on ne peut s'attacher au moindre personnage parce que leur construction psychologique se laisse emporter par ce torrent de vignettes quotidiennes, où l'on passe plus de temps à choisir des couronnes de Noël qu'à montrer l'envie de la troupe de triompher de ses échecs ou de savourer sa gloire; constituent en effet un obstacle de taille. Même d'un point de vue pédagogique, je ne suis pas sûr que des professeurs de lettres puissent recommander le film à leurs étudiants: c'est trop long et il ne se passe quasiment rien dans la moitié des séquences, alors pas sûr que voir un grand-père manger de la galette pendant six minutes ait un réel intérêt historique ou littéraire. Mais ne soyons pas trop méchant, ceci dit: c'est très beau, et il y a tant de bonne volonté de la part de l'équipe qu'il reste malgré tout bien des choses à admirer. 6/10.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire