samedi 1 octobre 2016

Petit traité de joie de vivre!


Vous souvenez-vous de Devotion, le biopic sulfureux des Sœurs Brontë où Charlotte tente de piquer le vicaire d'Emily? Eh bien voici la version française de 1979 par André Téchiné, avec les trois grâces Isabelle Adjani (Emily), Isabelle Huppert (Anne) et Marie-France Pisier (Charlotte); une version évidemment meilleure puisque ayant décidé de faire la part belle aux talents artistiques de la fratrie, et non à d'insipides histoires d'amour avec des curés. Pourtant, malgré cette distribution enchanteresse et la promesse d'une lande magnifiée par la caméra de Bruno Nuytten, le ton est si déprimant dès les premières secondes que la séduction peine à affleurer.

Certes, j'imagine que passer sa vie dans une paroisse pluvieuse, rester vieille fille et mourir jeune n'est pas une existence des plus joyeuses, mais tout de même, les actrices s'ingénient à accentuer la dépression de leurs personnages jusqu'au point de non retour. Ainsi, lorsque Charlotte veut manifester sa joie après avoir reçu une lettre qui lui fait grand plaisir, elle ne trouve rien de mieux à faire que de se promener dans sa maison à minuit avec une tête d'enterrement, pour mieux expliquer à sa sœur avec la voix de Garbo un soir de déprime qu'effectivement, "la lettre n'est pas dénuée d'éloges". D'accord, mais je n'ose imaginer ce qu'une mauvaise nouvelle lui aurait causé. Et quand on félicite Emily sur sa façon de jouer du piano, celle-ci répond avec un air de dépressive à deux doigts du suicide que "si c'est un compliment, je vous remercie." Bon... D'ailleurs, les sœurs ne rient jamais, sauf à une occasion, lorsque Anne raconte apparemment la blague du siècle en révélant que la riche famille qui l'emploie comme gouvernante lui verse un salaire lui permettant de subsister. "Hihihi!", pouffent les deux autres devant tant d'humour, et ce sera hélas le seul moment de gaieté en deux heures de film! En outre, si vous observez bien la deuxième image en haut de l'article, vous constaterez qu'Anne vient juste de dire: "Je me sens revivifiée! Heureuse!" Eh bien heureusement que le mot "heureuse" est prononcé, parce que vu l'expression enjouée d'Isabelle Huppert, on se demande réellement si l'on a bien entendu...

Evidemment, tout ceci est un choix. Le réalisateur et ses actrices ont voulu souligner la dure condition de jeunes femmes précaires dans l'Angleterre du XIXe siècle, mais vous ne me ferez pas croire que les sœurs Brontë n'ont jamais ri une seule fois dans leur vie. Même Emily, la plus dynamique des trois, ressemble déjà à Adèle H. dès son apparition, avec ses haillons, ses cheveux en bataille et son visage hagard. Le comble, c'est que les dialogues sont plutôt bien écrits, en montrant notamment que les sœurs ont bel et bien une sensibilité littéraire à parler avec des métaphores florales, mais les actrices font hélas le choix d'une diction monotone qui massacre dès le départ la portée de leurs répliques. Par exemple, le très beau monologue du houx, qui reste vert telle l'amitié alors que l'églantier ne fleurit qu'un temps éphémère tel l'amour, est récité de façon atone et monocorde, ce qui en altère sa force. Je me suis néanmoins demandé si cette morosité ambiante ne servait pas le film dans sa conclusion, laquelle reprend ce même monologue et concluant par les mots d'Anne: "mais c'est une plante humble, et triste, et banale". Ces mots ramènent en effet les héroïnes à leur condition première, d'humbles jeunes filles tristes et banales qui n'auront même pas savouré leur gloire littéraire. Néanmoins, passer deux heures entières à entendre les actrices énoncer leurs phrases comme des puritaines du XVIe siècle ôte toute connivence qui pourrait se faire entre les personnages et les spectateurs. La fratrie est terne, les interprètes sont trop occupées à jouer aux dépressives, en particulier lorsque Marie-France Pisier se flagelle verbalement pour regretter son départ de Bruxelles, ou quand Isabelle Adjani pleure derrière sa porte parce qu'on a violé l'intimité de ses poèmes, mais tout cela est trop ostensiblement gris pour créer un véritable effet émotionnel.

Le rythme général est également très lent, et il paraît même que le montage d'origine durait trois heures! Sans mentir, trois heures de visages égarés, de regards dans le vide et de diction largo n'aurait pas été supportable. Le scénario peine de son côté à faire mouche car même si l'on nous épargne les curés ténébreux, on nous impose tout de même l'intégralité de la vie des Brontë hormis leur naissance, et ce en préférant les montrer tous très dépressifs au lieu de faire ressentir en quoi leur existence a pu influencer leurs sombres écrits. Il est certes fait mention d'un fantôme lors d'un trop bref échange, mais à part ça et le monologue du houx, on ne voit pas les sœurs écrire, si bien que la publication de leurs œuvres tombe comme un cheveu sur la soupe à la grimace qui alimente les trois quarts du film. Du coup, l'histoire est nettement plus réussie que la version Warner à l'eau de rose, mais à l'inverse, Olivia de Havilland et Ida Lupino avaient l'air d'êtres de chair et d'os, bourrés de sentiments et d'énergie, pas comme leurs consœurs françaises dont la diction sonne constamment faux. Ici, le seul coup d'éclat, c'est lorsque Emily se venge de la langue de vipère de la pension bruxelloise en lui fourrant une plante urticante dans le décolleté, mais même ce faisant, Isabelle Adjani peine à suggérer une once de dynamisme dans cet océan de lymphe. Elle semble même s'ennuyer quand elle s'entraîne au tir à vue dans la lande, pourtant l'un de ses loisirs favoris! Et lorsque les sœurs se croisent dans le couloir rouge de leur maison, elles restent à se regarder longuement sans mot dire, avant de passer leur chemin telles Liv Ullmann et Ingrid Thulin dans Cris et Chuchotements. Sauf que les héroïnes de Bergman ne manquaient pas de vitalité malgré leurs peines, elles!

Malgré tout, le film est une incomparable réussite visuelle qui fait tout de même plaisir. La photographie de Bruno Nuytten en est principalement responsable, avec ses magnifiques images de lande sous la grisaille, les rues mornes du village où se détache inlassablement la robe rouge de la pauvresse qui y dort par tous les temps, l'églantier belge dans une campagne plus clémente, la chambre rouge de la tante, la gravure de navire sur la fenêtre donnant sur la mer, ou encore le tableau crépusculaire qui orne le hall de l'opéra. Par ailleurs, une scène intrigante pallie pour sa part la fadeur de la mise en scène, lorsque Madame Robinson monte les escaliers pour emmener Branwell au sommet de la tour où naîtra leur liaison, tandis qu'Anne les suit discrètement et apparaît peu de temps après dans la même position que la maîtresse des lieux, quoiqu'elle interrompe son ascension après avoir compris ce qui se trame. Dans le rôle de l'épouse malheureuse, Hélène Surgère donne plus de dynamisme à elle seule que toutes les autres actrices réunies, dans un monologue envoûtant aux cheveux détachés. En revanche, Pascal Greggory souffre du même problème que ses partenaires, en composant un Branwell si ostensiblement dépressif qu'on a du mal à s'émouvoir pour lui.

Moralité: Les Sœurs Brontë n'est pas un mauvais film, mais André Téchiné et ses actrices ont tout de même le défaut de trop accentuer la morosité ambiante, alors qu'un peu plus de vivacité aurait rendu plus humaines les réactions de la fratrie. La diction des dames ôte hélas toute crédibilité à leurs émotions... Cette partition largo déçoit donc, mais la beauté du tableau rend malgré tout l'expérience agréable: 6/10.

Souriez, vous êtes filmées!

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