dimanche 9 octobre 2016

Merci pour le chocolat (2000)



Après Une Affaire de femmes, voici Merci pour le chocolat, une nouvelle collaboration Claude Chabrol / Isabelle Huppert autour d'une héroïne ambiguë. En vérité, le film aurait pu s'appeler Merci pour le somnifère, non que ce soit ennuyeux, mais parce que la quasi totalité du casting est précisément droguée aux substances endormantes qui la font parler... comme si... zzzzzzzzzzzzzzz...


Le problème du film, c'est que l'histoire ne raconte rien. L'ensemble tourne pourtant autour de deux mystères a priori intrigants, mais en fait, le scénario s'en fiche: on nous révèle tout dès les premières minutes, on ne résout rien, et le film aligne les incohérences comme des perles sur un collier. Du coup, est-il vraiment intéressant de savoir si oui ou non Mika, qui s'est remariée avec son amour de jeunesse après que celui-ci fût devenu veuf d'une seconde femme lui ayant fait un enfant, est effectivement coupable d'empoisonner sa famille? Non, parce que la réponse ne fait aucun doute dès les premières minutes, puisque celle-ci s’assoit constamment à côté d'un napperon couleur chocolat comme la toile qu'elle vient de tisser. Alors, il serait temps de se demander pourquoi elle le fait, mais hélas, la solution sortira de n'importe où, n'ayant visiblement pour but que de montrer qu'Isabelle Huppert sait pleurer lors d'un gros plan. De l'autre côté, les interrogations qui subsistent quant à l'identité de Jeanne, la jeune pianiste qui se rapproche de la famille de Mika parce qu'elle a failli être échangée avec le fils à la naissance (!), finissent par perdre tout intérêt puisque l'histoire passe son temps à noyer le poisson: un coup elle ressemble effectivement à l'épouse décédée, un coup elle est bien la fille de sa mère, un coup elle découvre que son père n'était pas son père, etc. Bref, on n'en saura pas plus à la fin, ce qui est ridicule, parce qu'on parle bien d'un possible échange de fille et de garçon dans une maternité, comme si les mères n'avaient pas vu à quel sexe appartenait leur rejeton sitôt l'accouchement!


Outre ces imprécisions notoires, le film ne fonctionne pas parce que c'est monté comme une enquête, alors qu'aucun des indices n'a la moindre cohérence. Par exemple, si Mika est bien une empoisonneuse, elle n'a aucun intérêt à faire exprès de renverser du chocolat drogué en présence d'une inconnue, qui s'empresse évidemment de la suspecter. Et si Jeanne la soupçonne, elle n'a aucun intérêt à prendre sa voiture après avoir bu elle-même une boisson préparée par Mika. Ce sont là les seuls exemples qui me viennent spontanément à l'esprit, mais au cours du visionnage, j'ai relevé au moins une dizaine de rebondissements qui n'ont aucun sens! Parfois, des pistes sont carrément abandonnées en cours de route. Ainsi, Jeanne fait analyser le chocolat par son petit-ami laborantin qui y découvre effectivement de fortes doses de somnifères? Ok, et puis? Plus loin, Mika veut imposer sa volonté à un associé qui l'ennuie profondément? Eh bien on ne reverra plus l'associé de tout le film alors qu'ils s'étaient quittés sur une question de la plus haute importance qui attendait d'être résolue! Et il en va de même pour la moitié des intrigues secondaires.


Par contre, l'histoire a beau n'avoir aucun but, ça se suit tout de même sans déplaisir, parce qu'on est intrigué par les rapports ambigus qu'entretiennent les personnages entre eux. On aime par exemple observer Mika se mêler de la vie privée de la mère de Jeanne sans gêne aucune, on est toujours tenu en haleine par la volonté de Jeanne, qui s'introduit de son plein gré chez cette famille qu'elle ne connaît pas, et tout ceci parvient à retenir l'attention malgré l'inanité totale des diverses enquêtes. L'essentiel du plaisir vient surtout de la performance d'Isabelle Huppert, qui donne une interprétation rigolote et chargée d'humour noir, qui secoue admirablement la torpeur de cette distribution à moitié endormie. Pour ce faire, elle use d'un jeu simple mais redoutablement efficace, qui se résume à un petit sourire exemplaire d'affabilité pour mieux cacher ses véritables désirs à ses invités. "Hé! Buvez votre café (drogué bien entendu), ça vous donnera du tonus!", dit-elle en souriant comme un angelot! Et lorsqu'elle ébouillante sciemment son beau-fils, prétend être affolée par sa maladresse, et lui demande de s'asseoir au plus vite pour le soigner mais "Non! Pas là, pas sur mon châle!"? Eh bien honnêtement, présentée de la sorte, la scène parvient à faire sourire malgré le comportement odieux de la dame. Toujours est-il que Mika a l'art de dire spécialement ce qu'il ne faut pas au mauvais moment, et tout ça avec le sourire, de quoi donner un point de vue original à ce qui avait davantage l'air d'un drame sur le papier. C'est en tout cas nettement plus drôle que les tentatives d'humour désastreuses de Elle, mais ces petits crimes au chocolat se prêtent plus facilement au second degré. Dommage que l'originalité de l'interprétation soit plombée par cette fin totalement bâclée.


Dommage, également, qu'en dehors d'Isabelle Huppert, l'interprétation soit aussi calamiteuse. Certes, Jacques Dutronc et Rodolphe Pauly sont déjà drogués tous les soirs lorsque l'histoire commence, mais leur jeu manque tellement de naturel dans l'endormissement que c'en devient pathétique. Quant à Anna Mouglalis, pourtant pas empoisonnée car longtemps extérieure à la famille, elle récite ses répliques de façon si mécanique qu'on ne croit pas à la moindre phrase qu'elle prononce. "Oh-non-t'as-bou-si-llé-mon-pull." "C'é-tait-pas-mon-père-et-c'est-mai-te-nant-que-tu-me-le-dis?" Bref, ces acteurs sont si apathiques que le film n'est jamais loin de franchir la ligne de l'insupportable par leur faute. Le seul second rôle intéressant, c'est Brigitte Catillon incarnant la mère de Jeanne, puisqu'elle s'efforce de rester digne en toutes circonstances bien qu'on sente qu'elle cache des choses.


Pour finir, je dirai simplement que sur la forme, Merci pour le chocolat ressemble quand même à un téléfilm, sauf lorsque les moulures des plafonds prennent la peine de se refléter assez joliment sur le sommet des pianos. Ce n'est malheureusement que son moindre défaut, le principal écueil étant toujours cette histoire aux multiples rameaux cousus de fil blanc. Ça se laisse néanmoins très bien regarder au cours d'une soirée divertissement, en particulier grâce à l'amusante performance d'Isabelle Huppert. Mais le prix Louis-Delluc surprend: n'y avait-il vraiment pas de meilleur film français à couronner cette année-là? L'absence de nominations aux César semble prouver que si. 5/10.


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