lundi 8 août 2016

Caprices (1942)


En parallèle de ma rétrospective 1946, j'essaie de compléter ma collection des jeunes années de Danielle Darrieux. Après La Crise est finie et Battement de cœur, voici Caprices, un film de Léo Joannon entouré d'une certaine controverse. En effet, d'après la fiche wiki citant Le Canard Enchaîné, "le metteur en scène aurait volé le scénario original à Raymond Bernard", après avoir menacé de faire déporter sa famille en cas de refus... Pour nous, cette information complique les choses, car on ne sait plus à qui l'on doit attribuer les défauts et les qualités de l'histoire.

Et c'est bien là tout le problème: Caprices est brillantissime pendant une heure, avant de sombrer dans un n'importe quoi incompréhensible dans ses vingt dernières minutes. A qui la faute? En fait, l'intrigue n'est qu'un jeu de dupes permanent: Philippe (Albert Préjean), confond Lise (Danielle Darrieux), une comédienne du beau monde, avec une marchande de fleurs, aussi croit-il lui faire plaisir en lui offrant une soirée de princesse de contes de fée le soir du Nouvel An. A l'inverse, Lise cherche désespérément à faire financer la nouvelle pièce de sa troupe, aussi est-elle bien décidée à mettre le grappin sur son riche enchanteur. Mais Philippe ne cache-t-il pas des choses de son côté?

Comme je le disais, ce jeu de dupes fonctionne admirablement durant une heure: le rythme soutient parfaitement la comparaison avec certaines des plus grandes screwball comedies américaines, Danielle Darrieux doit constamment changer de personnage afin de tromper son monde au prix de scènes proprement hilarantes, et les dialogues d'André Cayatte ne s'épargnent pas une série de jeux de mots assez amusants. Par exemple, quand l'un des acteurs explique qu'il a choisi son costume "parce qu'il met en valeur [s]es mollets", Lise lui répond: "Ça vous fait une belle jambe. Mais vous pouvez courir, sans moi!" Et lorsque le valet pédant démontre, à celle qu'il prend encore pour une bouquetière, qu'il lui faut viser plus haut qu'elle pour choisir ses amis, Lise s'empresse de lui botter les fesses en commentant: "Chacun vise où il peut." La finesse n'est pas nécessairement au rendez-vous, mais ça fait sourire, et c'est toujours ça de pris. De toute façon, il se dégage une telle énergie comique qu'on suit cette première heure avec grand intérêt, avec en point d'orgue la scène du lustre, durant laquelle Lise cherche à se venger de l'ensemble du personnel d'un restaurant l'ayant regardée d'un peu trop haut à cause de son costume de scène. Par ailleurs, si le film pouvait être édité en DVD un jour, ce ne serait pas de refus, la jolie valse de Montmartre constituant une autre séquence mythique qu'il serait bon de voir remastérisée.

Bref, tout est très drôle pendant un bon moment, Caprices allant même jusqu'à évoquer My Man Godfrey à travers une scène de douche ahurissante où Lise, démaquillée de force après avoir voulu trop jouer à la grande dame, se retourne l'air béat en rassurant ses collègues inquiets: "Il m'a lavé la figure!" Après "Godfrey loves me, he put me in the shower!", voici "Philippe m'aime, il m'a lavé la figure!" Mais hélas, patatras! Tout se casse précisément la figure dans les vingt dernières minutes, à travers une histoire de faux-monnayeurs mal définie, où l'on ne comprend plus du tout qui dupe qui, qui doit aller en prison, ou pourquoi le valet alterne entre les rôles de complice du crime et domestique pédant d'une réplique à l'autre. Je suppose que certains mystères doivent s'éclaircir lors d'un deuxième visionnage plus attentif, mais force est de reconnaître que cette conclusion n'est pas particulièrement limpide, certains rebondissements n'étant expliqués que trop tard par rapport à l'action. Surtout, après une première partie divertissante à souhait, on n'a pas franchement envie de se casser la tête à comprendre le pourquoi du comment à seulement vingt minutes de la fin.

Heureusement, les performances d'acteurs font totalement oublier les défauts du scénario. Danielle Darrieux confirme notamment qu'elle est une actrice comique hors pair, tant elle est hilarante dans chaque variation de Lise. Elle fait ainsi très bien l'air de diva ahurie quand un taxi refuse de la prendre car le chauffeur la croit pauvre; elle est divinement capricieuse au restaurant afin de se venger du personnel qui la traitait comme une moins que rien deux heures plus tôt: elle est encore succulente quand elle tente de charmer Philippe en jouant à la fausse mondaine arriviste, qui collectionne les amants et rit à gorge déployée; et elle est absolument adorable suite à la scène de la douche. Elle chante également la chanson "Un Caprice", de Jean Solar sur une musique de Georges Van Parys, histoire d'apporter une touche musicale fort plaisante à une histoire qui porte très bien son nom, mais contrairement à ce qu'indiquent certaines notices, l'air "Le Bonheur n'est jamais très loin" n'apparaît pas dans le film. Pour sa part, Albert Préjean ne chante pas, mais il est charmant à souhait dans un rôle "d'enchanteur" distingué, quoique la drôlerie de Caprices vienne surtout de sa partenaire.

Néanmoins, Jean Parédès n'est pas loin de leur voler la vedette à tous deux dans le rôle du valet de chambre pédant. Il livre notamment le monologue le plus drôle du film lorsque, jaloux de la place prépondérante que prend Lise sur le cœur de Philippe, il avoue à son patron: "Je ne charme plus monsieur. [...] Dans ces conditions, j'ai le regret de dire à monsieur... que c'est fini, nous deux." Sa pudeur d'écolière lorsque Lise le surprend sans gilet, et son attachement au chapeau blanc de l'héroïne, contribuent encore à imager ce sous-texte explicite, ce qui étonne d'ailleurs, pour un film de la Continental. Non que je connaisse quelque chose au contexte de la Continental, mais pour un studio associé aux heures les plus sombres de la politique française, je n'imaginais pas que des répliques aussi ambiguës aient pu être validées. A moins que l'air ravi du valet après avoir reçu un baiser de Lise ait suffi à brouiller les pistes? Je ne saurais dire.

Quoi qu'il en soit, Caprices possède un charme fou malgré son historique controversé et son finale raté. Danielle Darrieux prouve une fois de plus qu'elle est une actrice comique de génie, qui soutient très bien la comparaison avec Ginger Rogers et ses trois variations de personnage dans Le Major la même année. Disons que la seconde reste imbattable parce qu'on sait où elle veut en venir, alors que les duperies de la première sont parfois difficiles à suivre tant elle complique inutilement les choses. Mais pour ce qui est du rire, elles en donnent toutes deux à revendre! J'ai dès lors envie d'être très indulgent et d'attribuer un 7 à ces capricieuses aventures, malgré une gigantesque imperfection à la fin. Pas sûr d'avoir de la place pour Danielle parmi les cinq finalistes de l'année, mais elle sera bonne sixième au pire des cas.

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