samedi 13 août 2016

Duel in the Sun (1946)


Puisque aujourd'hui il fait déjà une chaleur épouvantable même dans ma retraite campagnarde, parlons d'un film ensoleillé qui ne ménage pas les gouttes de sueur sur le front de ses interprètes. Avec Duel in the Sun, le tout puissant David O. Selznick a voulu faire son Autant en emporte le vent de la décennie, confiant la réalisation au talentueux King Vidor, et dépensant des sommes astronomiques rien que pour la campagne publicitaire. Le résultat est divertissant malgré d'énormes défauts.

Le gros problème de Duel au soleil, c'est son histoire: un homme (Herbert Marshall) tue sa femme et son amant puis est condamné à mort. Sa fille métisse, Pearl (Jennifer Jones), doit alors partir vivre chez sa tante (Lillian Gish), une gente dame du Texas mariée à un sénateur infirme et bougon (Lionel Barrymore), et affublée de deux fils que tout oppose: Jesse (Joseph Cotten), homme sage et défenseur des opprimés, et Lewt (Gregory Peck), une ordure immonde qui se croit sublime et tire sur tout ce qui bouge. La beauté sauvage de Pearl fera évidemment fondre le cœur des deux frères, qui se livreront une lutte sans merci tandis que l'arrivée du chemin de fer menace grandement les terres des ranchs de la région... D'après ce synopsis, tout semblait en place pour donner lieu à un film épique et flamboyant, mêlant passion et politique sur fond de Conquête de l'Ouest. Malheureusement, le vin ne met pas longtemps à tourner au vinaigre. Qu'on prenne le personnage de Pearl, par exemple: non seulement le scénario passe son temps à la faire osciller entre une sauvageonne à dompter et une jeune fille de bonne famille, mais en outre, elle se contredit toutes les cinq minutes quant aux sentiments qu'elle éprouve envers ses cousins. Un coup elle aime Lewt, un coup elle veut se venger de ses avances apparentées à un viol, mais elle l'aime quand même la minute d'après, mais elle veut malgré tout le tuer, mais en fait non... ou si... Bref, c'est complètement inconsistant. La confrontation finale, qui donne son nom au film tout de même et qui aurait dû être absolument grandiose, tourne quant à elle au grotesque avec ces personnages qui veulent se prouver leur amour en se tirant dessus (!), et qui se mettent à découvert pile quand ils sont vulnérables (!), si bien qu'on ne s'étonnera pas de la réaction de Powell et Pressburger, de qui Selznick cherchait l'estime et qui tombèrent d'accord pour regretter... que personne n'ait songé à tirer sur le scénariste!

La question du maquillage fait elle aussi perdre de son crédit au film, puisque Jennifer Jones ressemble davantage à une caucasienne trop bronzée qu'à une métisse anglo-indienne de la frontière mexicaine. Dans la furtive apparition de la mère, la Viennoise Tilly Losch est quant à elle encore abonnée au grimage après The Good Earth et The Garden of Allah, et c'est bien triste. Certes, Hollywood ne pouvait tolérer un mariage entre Herbert Marshall et une dame de couleur en ces années-là, aussi fallait-il une Européenne peinte de partout, mais cette morale n'en est pas moins affligeante. Le plus gênant: les Indiennes sont ramenées à une sorte de bestialité. En effet, la mère offre visiblement ses faveurs à tous les hommes de passage sans aucune retenue, et la fille a littéralement besoin d'être exorcisée de sa sauvagerie par un prêtre, avant que le fameux duel ne la ramène à un comportement animal qui la fera boire dans l'eau telle une jument, ou ramper sur le sol tel un lézard. Curieusement, Lewt a beau avoir tous les vices du monde, on ne le verra jamais boire à même le sol ou ramper dans la poussière: les profils caucasiens restent élégants en toutes circonstances...

Autrement, Duel in the Sun ne s'épargne pas quelques longueurs, en particulier lors des séquences du chemin de fer, dont on se soucie peu, avec en prime un panneau publicitaire ridicule indiquant à tous les bandits de grand chemin que, "attention (!), un train chargé d'explosifs va passer dans la région le 18 août à 14h, veillez à ne pas le faire dérailler s'il vous plaît!" La fête aux lampions multicolores semble pour sa part avoir été inventée pour insérer une séquence musicale dans cette histoire du XIXe siècle, à l'image d'un bal à Tara d'avant-guerre, mais puisqu'elle sert le seul rebondissement impliquant Charles Bickford, le tout semble un peu vain. En effet, le personnage apparaît comme par magie au pied d'un arbre, tombe amoureux de Pearl qui en profite pour chauffer à blanc le désir de Lewt en dansant avec l'inconnu, et décide évidemment de l'épouser le lendemain sans aucune conviction de part et d'autre.

La conviction est en fait ce qui fait cruellement défaut à quasiment tous les interprètes. Sans mentir, sur les sept personnages identifiables, on compte deux performances catastrophiques, deux caricatures, trois interprétations atrocement conventionnelles, et seulement une grande performance qui illumine l'ensemble du film. Pas de chance, les catastrophes sont les deux héros: Jennifer Jones et Gregory Peck. La première est mauvaise dès son entrée en scène: elle force sa voix pour la rendre inutilement grave, tire la langue aux passants, hurle une série de "Noooo!" pour protéger son père qui vient quand même de tuer sa mère; et elle passe le reste du film à écarquiller les yeux et à contorsionner sa bouche, histoire de bien rendre le personnage caricatural. Ainsi, quand Pearl est en colère, Jennifer s'ingénie à mettre sa bouche au milieu de la joue tout en plissant les yeux, pour bien montrer que, attention (!), son regard est très menaçant; et lorsqu'elle respire la joie de vivre, elle reste la bouche en cœur et ouvrant grand les yeux, telle une jeune novice découvrant le monde. Bref, c'est excessivement mauvais et grimaçant, et ce n'est évidemment pas ainsi que l'actrice parvient à rendre l'héroïne cohérente, accentuant beaucoup trop à la fois le côté sauvage de Pearl et son aspect de jeune fille de bonne famille, sans jamais lier ces deux extrêmes. Gregory Peck est tout aussi atroce puisque, doté d'un personnage ignoble, il ne songe jamais à le nuancer un peu pour lui donner un semblant de charme, aussi reste-t-il à parader satisfait de lui-même, n'y allant pas de main morte sur les sourires pervers. Son expression ridicule lors du duel final ressemble d'ailleurs aux bouches bées de sa partenaire, afin de bien déséquilibrer le tout à la dernière minute!

Les caricatures sont pour leur part le fait de Walter Huston en exorciste illuminé faisant la morale à tout le monde, et de Lionnel Barrymore en patriarche hargneux à peine plus nuancé que son méchant Potter de La Vie est belle. Sa conclusion, tout en larmes et repentir, ne suffit hélas pas à rendre le personnage plus sympathique malgré l'effet recherché. Les performances conventionnelles sont quant à elles données par Herbert Marshall, égal à lui-même en mari nerveux; Charles Bickford, bien gentil d'avoir fait le déplacement pour cinq minutes d'amant insipide; et Joseph Cotten, un acteur qui me touche peu et qui a surtout eu la chance, à mon avis, d'enchaîner trois films mythiques entre 1941 et 1943 pour être aussi encensé aujourd'hui. Il n'est pas mauvais du tout ici, mais sa palette expressive est une fois de plus ultra minimaliste. Lillian Gish est comme on s'en doute la lumière du film: elle compose une femme attachante mais ferme, capable de s'inquiéter pour ses fils tout en protégeant Pearl des menaces de son mari; et chacun de ses regards enrichit considérablement la scène: elle n'est ni trop grande dame, ni trop complice, et tout est pour le mieux dans la meilleure des nuances. Si je vous dis qu'elle a en outre une scène digne de ses grands exploits de films muets, à la toute dernière seconde près, voilà qui en fait une bonne raison pour courir voir le film malgré tout ce que j'ai pu dire auparavant.

Outre Lillian Gish, Duel in the Sun compte en réalité de multiples atouts malgré son histoire aberrante et ses affreux premiers rôles, à commencer par la jolie photographie de Lee Garmes et associés. En effet, leur façon de filmer les rares arbres du Texas ou la vapeur des locomotives donne lieu à une succession de fort belles images de ces régions arides; le plan sur Walter Huston devant les croix du cimetière, sur fond de calèches bien rangées, est également impressionnant; de même que l'assemblage des lampions de la fête, filmés comme des essaims autour desquels gravite la société, ou encore le hurlement du loup à côté d'un arbre mort dans la pénombre. Les couleurs du ciel sont souvent restituées avec grandeur, surtout lorsqu'on en vient aux ombres chinoises, mais dommage que certaines teintes trop rouges préfigurent un film de science fiction des années 1960: on s'attendrait presque à voir des dinosaures débarquer devant la roche en forme de visage! Autrement, les décors et costumes sont tout à fait corrects pour le milieu représenté, mais ce n'est pas ce qui marque le plus les esprits. Pour finir, la musique de Dimitri Tiomkin n'est pas ce que le compositeur a fait de plus mémorable, malgré une introduction dynamique.

Quoi qu'il en soit, ces jolies couleurs font de Duel in the Sun un divertissement incontestable, mais quel dommage que l'intrigue et certaines performances soient aussi mauvaises. Le visionnage est un plaisir qui n'ennuie jamais, sans pour autant faire oublier les trop gros défauts du film: 6/10.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire