dimanche 9 octobre 2016

Une Affaire de femmes (1988)


Comme vous le savez, j'ai haï le dernier film d'Isabelle Huppert, Elle, une œuvre bas de gamme digne d'un téléfilm (la scène des volets), et dont le point de vue, en tant qu'individu frappé et touché contre son gré, m'est apparu comme un soufflet insultant. Malgré tout, j'en avais assez de n'avoir que cette image de l'actrice, que j'avais adorée en la découvrant jadis dans 8 Femmes, aussi me suis-je décidé à parcourir sa filmographie plus avant, afin de comprendre pourquoi tout le monde la qualifie de plus grande actrice française en activité.

C'est ainsi que j'ai acheté une demi-douzaine de ses films les plus connus hier, dont Une Affaire de femmes, un film de Claude Chabrol inspiré par l'affaire de la "faiseuse d'anges" Marie-Louise Giraud, qui valut à sa muse la première de ses coupes Volpi. On y croise aussi des noms bien connus du cinéma français, dont François Cluzet en époux soumis, plus intéressant que sa médiocrité le laisserait supposer, Marie Trintignant en prostituée complice, et Dominique Blanc en cliente affaiblie par des grossesses à répétition. C'est néanmoins Isabelle Huppert qui domine cette distribution, en donnant l'une de ses meilleures performances. Vraiment. Elle passe par à peu près toutes les émotions imaginables, et tout est parfaitement nuancé, sans qu'on doute jamais que le personnage est terriblement humain, entre l'attachement que Marie Latour suscite pour sa vivacité, et l'antipathie qu'elle suggère par son agacement vis-à-vis de ceux qu'elle n'aime pas, ou par sa rapacité qui l'empêche de refuser de l'argent même après un avortement qui a conduit une "patiente" au tombeau.

Le personnage est en fait très complexe dès le départ: elle aime ses enfants mais dit parfois des choses désobligeantes sur son fils, elle cherche à écarter un mari qu'elle n'a jamais aimé en demandant à sa bonne de se substituer à ses devoirs conjugaux, elle n'a aucun scrupule à se lancer dans une affaire très lucrative en louant des chambres à des prostituées, et l'on sent vraiment qu'elle prend plaisir à se vanter, alors qu'elle n'a pratiqué qu'un unique avortement, et ce par hasard, à ce moment-là, qu'elle est une experte en la matière. En réalité, Marie ne cesse jamais de s'illusionner sur son sort: elle pense pouvoir mener grand train du jour au lendemain par ses activités sans attirer les soupçons, de même qu'elle s'imagine pouvoir monter sur les planches un jour bien qu'elle chante de façon désastreuse. Lorsque son fils, devenu narrateur vers la fin, avoue qu'elle avait à l'époque le même âge mental que lui, c'est tout à fait crédible, et Isabelle est idéale pour incarner cette femme vivant dans le déni, et pas toujours sympathique au demeurant.

La performance va toutefois nettement plus loin, puisque Marie est aussi une personne attachante qu'on a envie de voir sortir de son quotidien miséreux. Ses pleurs sont sincères quand sa meilleure amie est déportée, elle ne juge jamais ses clientes et veut vraiment leur bien, et l'arrivée du doute dans son esprit est jouée de façon impressionnante. En effet, alors qu'une dame définie comme "chrétienne" lui suggère que les fétus ont une âme avant leur développement, Marie sent les larmes lui monter aux yeux comme si elle venait de réaliser quelque chose d'important, et l'on sent que cette interrogation ne la quitte plus même lorsqu'elle va chercher du plaisir auprès de son amant. En outre, cette scène de confrontation avec la dame pieuse (j'ignore le nom de l'actrice, mais elle est excellente dans cet unique caméo) mêle la stupeur de l'annonce d'un décès et du doute envahissant l'héroïne à quelque chose de plus malsain, puisque c'est à ce moment qu'elle prend de l'argent à son interlocutrice malgré les vifs reproches de celle-ci. En somme, le personnage est complexe, touchant mais non dénué de zones d'ombre, et Isabelle Huppert lui insuffle une énergie impressionnante entre joie de vivre et désir d'évasion, illusions perdues et ennui profond auprès d'un époux qu'elle méprise. 

Il est par ailleurs intéressant de voir comment les rôles s'inversent au sein du ménage, entre un mari au foyer soumis et trompé avec allégresse, et une femme forte qui tient les comptes et mène la vie libre dont elle a toujours rêvé. En outre, si le titre du film fait avant tout référence aux travaux qui ne concernent que des femmes, il n'en prend pas moins une dimension plus générale à mesure que les dames sont clairement mises en lumière par rapport aux hommes. Ainsi, Isabelle Huppert a cent fois plus de volonté que son époux médiocre, Marie Trintignant est nettement plus chaleureuse que son client collabo, et Dominique Blanc émeut par son épuisement physique, à cause d'un mari qui lui interdit de se refuser à ses avances et qui lui a fait sept enfants en sept ans! Le film peut alors se voir comme une déclaration d'estime envers toutes ces anonymes que la société méprise, alors qu'elles en sont les principales victimes et qu'elles sont bien plus compréhensives et solidaires que tous les hommes réunis.

Toutes ces choses, avec en point d'orgue la complexité d'une héroïne pas exempte de reproches, font du film une oeuvre très riche qu'on suit avec intérêt, mais c'est vraiment la performance d'Isabelle Huppert qui rend le tout vraiment très bon. Visuellement, Une Affaire de femmes ne m'impressionne pas, malgré la puissance de certaines images, dont les multiples gros plan sur l'actrice principale, ayant ainsi tout loisir d'user de toutes les couleurs possibles de sa palette, ou encore ce plan fixe assez furtif sur des aiguilles à tricoter plantées dans une pelote de laine, avant la grande confrontation centrale. Les dialogues sont quant à eux travaillés avec soin dans bien des cas, comme en témoigne le premier échange entre Isabelle Huppert et Marie Trintignant: celle-ci lui demande quelles sont donc les activités secrètes dont Marie se vante, en l'appelant d'abord innocemment "mon ange", puis en insistant par ce verbe tranchant: "accouche!" Avec tous ces bons aspects à son actif, Une Affaire de femmes mérite bien un bon 7/10, et j'irai même jusqu'à dire qu'Isabelle Huppert méritait le César cette année-là, malgré la performance de qui l'on sait en face.

6 commentaires:

  1. Et bien ... entre l'exploration de la filmographie de Huppert et la redécouverte (ou découverte) des films français de Romy Schneider ... Gretallulah devient presque un temple dédié aux Césars !
    J'ai longtemps eu beaucoup de mal avec le cinéma français des années 70-80 (Loulou et autres Valseuses ... vraiment pas mon genre) mais, finalement, une partie de la production du temps a pris un patine "rétro" qui m'a donné envie de la redécouvrir et, parfois, je suis souvent plus emballé que je ne l'aurais cru. Mais enfin ce que tu dis des films avec Schneider en général n'est pas follement enthousiasmant (je ne me suis pas risqué à L'important c'est le laid" ... euh je veux dire L'important c'est d'aimer - oscar du meilleur titre d'articles gretallulesques).

    Alors, un palmarès des grandes actrices françaises après les glorieuses Feuillère, Darrieux, Morgan, Presle, Signoret et Moreau ?

    L'AACF, qui a enfin pu voir Lizzie (et avec des sous-titres, s'il vous plait) !!!

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    1. Et alors, Lizzie? Eleanor rentre-t-elle sur ton bulletin?

      Pour Romy, le grand problème est qu'elle donne souvent de très bonnes performances, mais dans des films qui peinent à dépasser un grisonnant 6/10. Même si je lui ai mis cette note, j'ai malgré tout bien aimé La Banquière, ne serait-ce que pour l'ouverture façon film muet en noir et blanc, sur la musique de Morricone.

      Mais si ça peut te rassurer, j'ai le même problème quant à "l'envie de voir des films français de ces années-là". J'ai découvert L'important et La Grande Bouffe cette année, et... ouh... que c'était laid. Du coup, j'ai très très peur de tenter Les Valseuses.

      Ça t'intéresse une liste d'actrices françaises, ou ayant contribué au rayonnement du cinéma français, que je nomme aux Orfeoscar? Je voulais en poster une en guise de réponse, mais j'en suis déjà à deux pages Word entières, un article me semblerait plus adéquat. Sachant qu'il me reste un nombre incalculables de performances à découvrir: je m'attelle à Isabelle Super cette semaine!

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    2. Bien sûr que ça m'intéresse ! C'est compliqué, je trouve, d'être objectif sur la question des prestations internationales, dans la mesure où je suis plus à l'aise avec les cinémas français, italiens, allemand et anglais qu'avec ceux des autres pays européens(sans même parler des films asiatiques ou indiens ou africains ou ...) or tu sembles avoir une vue plus large que la mienne sur la question. Du coup, les prestations françaises que tu remarques doivent vraiment ... être remarquables !!!

      Je ne peux toucher à rien en 57 pour des raisons de politique égalitaire :-) En effet, c'est l'année où je peux faire gagner Kerr et où je peux nommer sans trop de problème Diétrich, Monroe et Hepburn, des actrices peu mentionnées dans mon palmarès. Comme je nomme déjà Parker 4 ou 5 fois ailleurs ...

      La Banquière, je note ! Pas encore vu.

      L'AACF

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    3. La Banquière est très bien photographié, et comme ça se passe dans les années 1930, on nous épargne le cachet "70's" si indéracinable dans les autres films français de Romy.

      Pour les actrices françaises, donne-moi jusqu'à la fin du mois pour regarder les films qui attendent sur mes étagères depuis fort longtemps (Eva, Thérèse Desqueyroux, et plein d'autres), histoire d'étoffer un peu le tout. Pour l'international, il me reste tant à découvrir, alors pas de panique, on est tous dans le même bateau!

      Autrement, 1957 est l'une des années les plus fortes que je rencontre chez les actrices. J'ai au moins neuf performances qui peuvent prétendre à la nomination: Dietrich (Witness), Kendall (Girls), Kerr (Affair), Kerr (Heaven), Magnani (Wind), Masina (Cabiria), Neal (Face), Parker (Lizzie), Samoïlova (Cigognes). Et je n'ai toujours pas vu Monroe! En l'état, les places sont si chères que la seule solution est de transvaser Kendall en supporting, malgré mes réticences originelles, mais il reste tout de même huit performances à départager! Hepburn ne peut prétendre qu'à une modeste dixième place dans cette liste, et de toute façon, le créneau brunette mignonette est déjà occupé par la demoiselle russe... J'ai également un mal fou à me limiter à un top 5 pour les films, c'est dire si 1957 est appelée à rester dans les annales!

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    4. J'ai Kendall dans la catégorie meilleure second rôle aussi, mais, en fait je crois que ça se défend. Et puis ça permet à elle et à Kerr de gagner sans que je sois partagé.

      Pour les seconds rôle, je n'arrive pas à enlever Varsi ou Lange (je vénère le film, je pourrais presque nommer Turner ... mais comme je la nomme très souvent, ça n'est pas grave) ... ce qui fait que je n'ai pas de place pour Moreau et compagnie (Les Louves), Darrieux et compagnie(Pôt-Bouille), Demongeot (Les Sorcières de Salem), Collins (les Naufragés de l'autocar), Blondell (Lizzie et Une Femme de tête) et j'en passe ... un vraie casse-tête (et du coup, la gagnante réelle n'a aucune chance de parvenir sur une des cinq marches du podium, même si j'aime bien Sayonara).

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    5. Miyoshi Umeki est malheureusement la lauréate officielle que j'aime le moins dans cette catégorie. Je l'ai trouvée insipide à mourir. Dommage que parmi toutes les grandes actrices japonaises de l'époque (Hara, Kogure, Kyō, Takamine, Tanaka...), ce soit la seule à qui ils aient pensé pour tenir le rôle.

      Ma Nippone à moi pour les seconds rôles de 1957, c'est Isuzu Yamada dans Le Château de l'araignée! Je la nomme en compagnie de Hope Lange (Varsi est pas mal mais sans plus), Kay Kendall pour dégager une place en lead et Ingrid Thulin dans Les Fraises sauvages. Lanchester est très drôle et pourrait être mon cinquième choix.

      Blondell et Turner ne sont pas loin derrière, j'ai grand besoin de revoir Les Sorcières de Salem qui m'est sorti de l'esprit et... je n'ai jamais entendu parler des Louves ou de l'Autocar, ni n'ai vu Pot-Bouille, ni même Woman in a Dressing Gown dont on me parle avec force enthousiasme! Quelle année, vraiment!

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