vendredi 25 novembre 2016

Boom Town (1940)


Cette semaine, j'ai enfin regardé Boom Town, un film de Jack Conway qui m'attendait sur mes étagères depuis au moins trois ans, mais qui ne m'attirait pas assez pour me donner envie de sauter le pas au plus vite. Pourtant, la distribution ultra prestigieuse aurait dû me faire céder à la tentation dès le départ, puisque dans cette ville champignon du Texas, où jaillit l'or noir si recherché par les protagonistes, se croisent Clark Gable, Spencer Tracy, Claudette Colbert, Hedy Lamarr ou encore Frank Morgan! Avec un ensemble aussi renommé, la découverte est incontestablement plaisante, mais ça ne suffit pas à passer outre les défauts du film...

Ces défauts, justement, sont presque tous contenus dans le scénario, en premier lieu à cause d'une histoire incroyablement répétitive qui ennuie: les deux amis partent prospecter dans le désert, forent au bon endroit, font fortune, mais l'un perd tout, recherche du travail mais refuse l'offre de son ancien associé... qui perd tout à son tour tandis que l'autre a déjà rebondi, puis on s'associe à nouveau, on redevient riche... mais pas pour longtemps, et le cercle vicieux n'en finit jamais! Sachant que le film dure quasiment deux heures, c'est bien trop long! Sans doute conscient de ces enjeux assez minces et rébarbatifs, le scénariste John Lee Mahin a tenté de bien développer les histoires d'amour en parallèle de la recherche de pétrole, mais hélas, les personnages réagissent tous de façon incongrue à chaque situation donnée. Par exemple, lorsque Claudette Colbert débarque dans l'histoire au bout de vingt minutes, pour rejoindre son fiancé Spencer Tracy, elle rencontre d'abord Clark Gable et, par jeu, s'amuse à lui cacher son identité alors qu'il lui fait découvrir la ville. Mais voilà! Elle en tombe amoureuse au cours d'une unique soirée... ne lui dévoile toujours pas sa relation avec son associé... l'épouse la nuit même (!)... et ne lui révèle la vérité que le lendemain matin. Spencer revient à son tour en ville pour communiquer une bonne nouvelle à son partenaire, trouve le couple marié dans la même chambre et... accepte la situation, tandis que Claudette lui avoue qu'elle n'a pas pu lutter contre son désir, mais qu'elle n'a rien contre lui et qu'elle veut rester son amie! Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, le trio reste très uni et s'enrichit dans la joie et la bonne humeur! Mais lorsque Claudette réalise que son mari, épousé à la dernière minute, n'a pas oublié ses vieilles habitudes avec les cabaretières locales, chez qui vient-elle pleurer toutes les larmes de son corps? Sur l'épaule de Spencer Tracy! Et alors qu'elle s'apprête à quitter Clark, voilà qu'elle découvre que le pauvre a tout perdu dans un incendie si bien que, prise de pitié, elle se remet aussitôt en couple avec lui. Celui-ci lui confirme qu'ils sont à présent pauvres et qu'ils doivent aller chercher du travail, ce à quoi Claudette répond: "Nous sommes pauvres? Trop bien! Nous allons donc pouvoir vivoter dans une cabane au pôle Nord en cherchant de nouveaux puits! Mon rêve d'aventures se réalise!" Dit la dame qui, un quart d'heure plus tôt, expliquait à son ancien fiancé que seul Clark pouvait lui offrir la vie stable et bourgeoise, grande maison à l'appui, à laquelle elle aspirait depuis toujours...

Ainsi, dans le monde merveilleux de Boom Town, les personnages ne se posent aucune question. Ils ont beau accéder à la richesse et vivre dans de luxueuses demeures, ils ne sont jamais affectés de devoir repartir à zéro et d'emménager dans des taudis. Quant à l'amant bafoué, il devient dur avec son partenaire uniquement parce que celui-ci trompe la femme aimée. On peut donc jeter un homme aimant comme une chaussette et compter sur son soutien indéfectible en retour, tout va bien! Pour couronner le tout, quand, beaucoup plus tard, l'intrépide Claudette fait une tentative de suicide car elle ne se sent pas de taille contre la nouvelle maîtresse de son mari, la sulfureuse Hedy Lamarr, voilà qu'elle assène à Spencer, évidemment à son chevet pour la consoler, qu'il ne peut comprendre son geste de désespoir car lui-même n'a jamais connu les affres d'une passion sans retour! Cet aplomb! Bref, suite à ces belles paroles, Spencer s'en va... demander la peu scrupuleuse Hedy en mariage (!) pour l'empêcher de provoquer un divorce dans l'autre couple afin d'épouser Clark (!), tandis que l'époux volage ne trouve rien de mieux à faire que réconforter sa femme en lui disant: "Hey, si tu me quittes pour un autre, je te fous une raclée, t'as compris?" Réponse de l'intéressée: "Oh! Oui! Donne-moi une raclée! Ça me prouve ainsi que tu tiens à moi malgré tes tromperies! Je suis ta femme! C'est toi qui décides!" Et hop! Christ est ressuscité, le couple réconcilié, l'amante autrichienne écartée, et Spencer redevient super pote avec Clark en contemplant tendrement le couple réuni! Beurk.

On comprendra ainsi que le scénario est pour le moins gênant: une tonalité sexiste, des réactions incohérentes et une ritournelle narrative agaçante donnent envie de jeter le script par la fenêtre. Néanmoins, Boom Town parvient à se suivre sans déplaisir grâce à d'indéniables atouts techniques. La photographie d'Harold Rosson est notamment assez riche, sans être exceptionnelle pour autant, avec de jolis plans sur diverses armatures industrielles, des wagons aux derricks, en passant par des cuves et toutes sortes de tuyauteries. Les images désertiques sont également attrayantes, à la façon dont des nuages ou un crâne de vache sont intégrés à la scène, et tant qu'on parle de bovidés, la séquence dans le bureau de Gable est à hurler de rire puisque l'acteur dialogue avec ses partenaires en se plaçant devant un trophée, de telle sorte que deux énormes cornes viennent prolonger ses oreilles éléphantesques! Autrement, nous avons droit à un joli noir et blanc contrasté dans une scène d'escalier, et même l'usage d'un drap quadrillé dans une chambre donne une saveur particulière aux retrouvailles entre les anciens fiancés, sous des latitudes tropicales. Le clou du spectacle reste néanmoins l'explosion de la raffinerie, où l'enchaînement des boules de feu géantes sur un ciel obscur confine à une sorte de beauté saisissante, beauté qu'on ne s'attendait pas à découvrir dans cet Etat aride où les forêts ne sont qu'un assemblage de derricks.

Boom Town vaut ainsi davantage pour la forme que pour le fond. Sans surprise, les performances d'acteurs n'ont rien de remarquables vu l'inanité des personnages sur le papier. Clark Gable et Claudette Colbert sont tout de même charismatiques, et créent une bonne alchimie pendant leur soirée de rencontre, puis quand arrivent les difficultés, où les voir furtivement s'échanger des clins d’œil en lavant leur linge fait écho à leurs aventures capraesques bien connues; mais ils échouent totalement à donner une once de sympathie aux protagonistes. Hedy Lamarr est pour sa part quelconque en tentatrice vénéneuse, et Frank Morgan reste égal à lui-même en vieillard amusant qui s'assoit sur des gisements d'eau salées ou n'arrive pas à garder un papier dans les mains. Quant à Spencer Tracy, il a beau être le seul personnage touchant du lot, il ne fait rien pour clarifier les réactions inexplicables qu'on lui demande d'avoir. Ces défauts, principalement dus à l'écriture de départ, ne font pas de Boom Town une abomination, loin de là, mais c'est évidemment très décevant. Je monterai tout de même jusqu'à un 6/10 somme toute correct, parce que ce n'est pas tous les jours qu'on verra de jolies boules de feu en noir et blanc sur grand écran.

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