samedi 19 novembre 2016

If I Were King (1938)


Après Basil Rathbone en roi cruel, Basil Rathbone en roi... excentrique? Difficile en effet de définir son Louis XI, personnage fascinant s'il en est, dont le portrait rathbonien ne laisse d'intriguer. C'est une œuvre de Frank Lloyd, décidément habitué aux films en costumes après, entre autres, The Divine Lady, Mutiny on the Bounty et Maid of Salem, soit autant d'histoires prestigieuses produites par les grands studios de l'époque, dont la Paramount pour ce qui nous concerne ici. C'est dire, alors, si ce remake de la version musicale de 1930, The Vagabond King, revêt une aura bien plus brillante que La Tour de Londres évoquée tout à l'heure. Pourtant, je préfère le film de série B à la production de prestige nommée pour quatre Oscars. Pourquoi?

Peut-être parce que le traitement comique ne fonctionne pas tout à fait pour une intrigue médiévale aux ferments dramatiques? En effet, bien que ces aventures se déroulent dans une capitale assiégée par les Bourguignons en pleine guerre de Cent Ans, et bien qu'on nous montre des connétables comploter contre un monarque lui-même fourbe, ou encore des révoltes populaires faisant des victimes, le ton n'en est pas moins celui d'une comédie, ce qui ne fonctionne qu'à moitié. Ainsi, François Villon vole des barriques de vin dès l'ouverture dans la joie et la bonne humeur, avant de partir draguer une jolie dame à la messe, et ce après une course-poursuite volontairement ridicule contre une garde royale tombant dans tous les pièges dressés sur sa route. Autre exemple: il est tout à fait normal d'interrompre le roi en pleine audience pour parler de problèmes culinaires comme si c'était de la plus haute importance! A vrai dire, chaque rebondissement est fort improbable: Louis XI se déguise pour espionner lui même ce qui se trame dans les auberges, avant de nommer le poète qui l'a insulté au plus haut poste de l'administration du royaume pour son propre amusement. Tout est donc traité avec drôlerie, si bien que les rebondissements dramatiques, dont la trahison du premier connétable, qui plus est tué dans une rixe, ou la mort d'un personnage sympathique, ne touchent d'aucune manière. On obtient alors un résultat étrange, certes pas déplaisant, mais l'histoire d'amour malheureuse du personnage le plus aimable en ressort d'autant plus odieuse.

Par ailleurs, le parcours du héros n'est pas spécialement captivant. Dans La Tour de Londres, le méchant Richard a au moins pour objectif de prendre le pouvoir. Mais ici, François Villon ne sait jamais ce qu'il veut. Il profite certes de sa promotion inouïe pour gracier ses compagnons de la Cour des Miracles accusés de vol, mais son rôle de connétable n'est jamais exploité puisqu'il passe le reste de son temps à courtiser la dame d'honneur de la reine. Le suspense vient de ce que nous savons, nous spectateurs, que le roi envisage de le supprimer au bout d'une semaine d'essai, mais comme on s'attache difficilement au poète amoureux, et comme le ton comique de l'ensemble ne laisse que peu de doutes quant à l'issue du défi, difficile de s'intéresser réellement à son avenir. Dans le rôle du célèbre écrivain, Ronald Colman livre une bonne composition non dénuée de charisme, mais sa performance ne contient aucun trait de génie: il fait de François l'archétype du héros justicier épris d'une belle dame, mais il n'y a aucune nuance malgré l'impression positive. Quoi qu'il en soit, on appréciera particulièrement ses éclats de rire lors de l'audience, alors qu'il se cache derrière son pupitre pour n'être pas reconnu de ses amis gueux. Dans le détail, cette séquence est d'ailleurs plus intéressante que l'arc narratif du personnage, puisque les motivations de chaque individu deviennent limpides: François ne veut que le bien de ses compagnons mais ne sait pas qu'il est espionné par le roi, et celui-ci admire à l'inverse le libéralisme de son nouveau conseiller, qui redore ainsi le blason royal auprès d'un peuple peu disposé à l'égard de son souverain.

Dans tous les cas, c'est bien le roi qui est le cœur du film, car sa complexité fait tout l'intérêt de l'histoire. On nous offre ainsi un portrait de roi fourbe et cruel, qui aime enfermer les gens dans ses fillettes, se réjouit de morts opportunes et prémédite des meurtres sadiques pour son bon plaisir, mais qui n'en est pas moins sympathique avec ses manières excentriques, au croisement d'un vieux misanthrope et d'une diva flamboyante, et qui sait finalement faire preuve de souplesse quand il reconnaît le mérite de sujets talentueux. La réplique "un monarque fort vous tuerait, un monarque faible vous laisserait la vie, et je vous propose alors une troisième solution" illustre particulièrement bien l'esprit retors d'un homme envisageant toujours toutes les facettes d'un problème. Louis XI m'a d'ailleurs toujours donné l'impression d'être l'un des rois les plus captivants de l'histoire de France, et Preston Sturges en a brossé un portrait somme toute crédible dans son scénario, malgré une tonalité comique qu'on associe mal à la période concernée. Cependant, outre ce que l'intrigue présente sur le papier, c'est bien la performance de Basil Rathbone qui achève de rendre le roi réellement complexe, et c'est de là que vient toute la difficulté d'appréciation du film. Est-ce une bonne interprétation? Le premier adjectif qui vient à l'esprit est certainement: "bizarre". L'acteur use en effet d'une voix volontairement nasillarde, mais encore d'une gestuelle frénétique et parfois plus que cocasse (la façon qu'il a de s'avancer comme le tyrannosaure de Jurassic Park à un moment donné!), et pour couronner le tout il change parfois de timbre au gré des répliques. 

La première fois, j'avais trouvé ça beaucoup trop surjoué et pour tout dire incohérent. Mais en y regardant de plus près, quelque chose fonctionne, car Rathbone prend en fait le parti d'adapter la personnalité du roi en fonction de son public. Il a donc parfaitement conscience que Louis XI est fourbe et manipulateur, et s'amuse ainsi à tromper son monde. Ainsi, la voix devient volontairement plus aiguë face à des courtisans qu'il méprise et devant qui il aime passer pour moitié fou afin d'accentuer le malaise; puis le timbre redevient plus autoritaire avec un cercle de conseillers triés sur le volet, ou lors de la supercherie à l'auberge alors que personne ne le reconnaît. Quant au ricanement peu subtil dont il use souvent une fois seul, on peut y voir une sorte de relâchement quand il n'a plus à jouer l'un de ses multiples rôles aux yeux de ses diverses audiences. Par contre, le dernier dialogue avec Villon est trop grimaçant alors que ça n'a plus lieu d'être, si bien que je me pose constamment des questions sur la pertinence des choix de l'acteur, choix qui fonctionnent tout de même dans la plupart des cas. Toujours est-il que cette interprétation fascine autant qu'elle intrigue, et si je pensais jadis que les Oscars auraient mieux fait de nommer Rathbone pour son séduisant aristocrate dans Robin des Bois cette même année, je me demande maintenant s'ils n'ont pas fait le bon choix, car son portrait de Louis XI est nettement plus riche et complexe que son interprétation strictement charismatique et sans nuances d'un méchant antagoniste. En outre, son roi de France attire réellement la sympathie sur lui malgré son caractère peu reluisant, ce qui reste un exploit. Je me verrais bien dans un tel rôle une fois âgé, mais il est vrai que quelque chose de si étrange se dégage de cette composition que je ne suis pas tout à fait sûr que ça mérite distinction. Dans tous les cas, le divin Basil électrise l'écran et vole la vedette à tout le monde en monarque excentrique.

Ceci dit, il n'est pas bien difficile d'éclipser une distribution composée de Frances Dee, l'Amelia Sedley de Becky Sharp, encore qu'elle ait un certain répondant non dénué d'humour ici, ce qui permet d'oublier ses grimaces dès que quelque chose la surprend; et d'Ellen Drew, dont le personnage est touchant, malgré une interprétation loin d'être exemplaire. Dans le rôle de la reine, Heather Thatcher renforce quant à elle le côté burlesque de l'intrigue, en riant aux éclats à des blagues pas drôles, ou en prenant un air béat lorsqu'elle écoute de la musique, avant de grimacer dès qu'elle s'étonne qu'un musicien n'arrive plus à suivre la partition, sans voir ce qui intrigue l'assistance dans son dos.

Pour finir, on complimentera l'équipe technique qui nous plonge dans un fantasme médiéval délicieux, avec une décoration de l'incontournable Hans Dreier dont les escaliers du palais, la cathédrale ou encore les toits en poivrière font rêver l'amateur d'architectures anciennes que je suis, même si rien de tout ça n'est au fond réaliste. Les costumes d'Edith Head sont eux aussi extravagants, mais la tenue du roi est très clairement inspirée par le portrait "officiel" de Louis XI, et ce jusque dans les coquilles du collier de l'ordre de Saint-Michel. Le maquillage rend par ailleurs le sublime Basil méconnaissable, mais j'arrive quand même à le désirer comme toujours malgré son aspect volontairement repoussant: priez pour moi! Du côté du son, la musique de Richard Hageman est correcte mais sans plus, partition typique des films d'aventures de ces années-là avec accélération du tempo lors des scènes de combat, mais aucune mesure ne reste en tête après coup. D'ailleurs, les batailles sont si brouillonnes et ridicules que la musique en devient presque drôle à son insu, de quoi rejoindre ce que je disais sur le comique un peu trop prononcé de l'ensemble. Enfin, la photographie est totalement quelconque, preuve que je préfère réellement La Tour de Londres, en particulier pour son ambiance de complots renforcée par de puissants jeux d'ombres.

Moralité: If I Were King se révèle plus divertissant la seconde fois, mais on aurait préféré une comédie qui s'assume vraiment, plutôt que cette atmosphère étrange où l'on est censé craindre la guerre, la famine et les émeutes, alors que tous les personnages réagissent à de telles situations comme s'ils fêtaient un anniversaire! Par bonheur, les décors et costumes sont orgasmiques même dans l'outrance, mais c'est vraiment Basil Rathbone qui donne tout son sel à l'histoire. Reste à savoir s'il faut le trouver catastrophique ou brillant, question que je suis incapable de trancher. 6/10.

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