mardi 1 novembre 2016

Marie-Antoinette, reine de France (1956)


Dans mon article sur La Symphonie pastorale, j'avais écrit être à l'heure actuelle peu inspiré par Michèle Morgan, tout du moins pas autant que par les autres légendes du cinéma français classique comme Edwige Feuillère ou Danielle Darrieux. Son portrait de la dernière reine de France pourrait bien être le rôle susceptible de me réconcilier avec elle, car le fait est que si j'ai trouvé son interprétation simplement bonne lors du visionnage, certains aspects en ressortent vraiment grandis après deux mois de recul. La superbe scène où elle se moque de l'accent de Fersen à Trianon, avec un sourire ravageur qui m'a entièrement charmé, me revient constamment à l'esprit depuis ma découverte du film. Il s'est donc indéniablement produit quelque chose, reste à trouver quoi.

Le film a été réalisé par Jean Delannoy, à qui l'on doit précisément La Symphonie pastorale. La séduction opère essentiellement grâce aux costumes de Georges Benda, mais aussi grâce aux décors, l’œuvre ayant été tournée à Versailles même, d'où un cachet certain. On regrettera tout de même que la photographie présente des teintes pâles, alors que les jolies couleurs des vêtements et des salles d'apparat méritaient plus d'éclat. Autrement, l'histoire se suit avec intérêt, mais c'est trop linéaire: on va de la mort de Louis XV (d'où la justification du titre à rallonge, puisque l'intrigue commence quand Marie-Antoinette devient précisément reine, à l'exception d'une courte introduction festive) à celle de l'héroïne, en évoquant tous les événements qui jalonnèrent son règne, de l'affaire du collier à Varennes, en passant par la prise du palais. La ligne directrice reste néanmoins la romance avec l'amant suédois, ce qui offre une véritable cohérence à l'histoire, sans lui donner un aspect trop factuel. C'est sans doute moins captivant que si le récit s'était concentré sur une unique période de la vie de la reine, comme dans la version récente de Sofia Coppola, mais ce qu'on nous raconte n'est nullement déplaisant, bien au contraire. Le film atteint même une sorte de paroxysme dans la séquence finale, avec cette brillante idée de faire couler le sang de la dame sur l'autel dressé en catimini sous l'échafaud, où un prêtre prie pour son âme. On clôt ainsi le parcours par une image forte, de quoi finir sur une bonne impression, même si le procédé est apparemment décrié par certaines critiques, jugeant le film trop complaisant envers la reine et la royauté. Il m'est personnellement difficile de me faire une opinion: certes, la reine est montrée toujours digne et sous son meilleur jour même dans le drame, mais elle est loin d'être exempte d'imperfections. Elle est notamment frivole, fait du chantage à son mari pour favoriser la politique de sa mère en Europe, et se plaint encore de ses corvées alors qu'elle est ultra privilégiée. Je ne vois pas en quoi le film est plus indulgent que, mettons, la version avec Norma Shearer quant au personnage, qui reste insouciant et capricieux. Reste à savoir si le regard de mépris qu'elle jette aux Parisiens depuis son balcon versaillais est à prendre au premier degré, ou si ça sert à contraster la reine en la révélant imbue de son pouvoir et de ses origines.

En vérité, ces questions politiques ont peu d'importance, car Marie-Antoinette ne règne pas vraiment, préférant au contraire jouer à colin-maillard, boire du chocolat et se laisser conter fleurette par son amant. La désinvolture totale avec laquelle elle parle des Parisiens dont elle ne s'est jamais souciée, et dont elle dit: "Oh oui! Ils m'aiment bien!" renforce d'autant plus le décalage avec le métier qu'elle exerce en théorie, et la réalité des faits, ce qui ne rend pas l'héroïne aussi sympathique qu'on pourrait le croire. Là où l'on peut en revanche trouver le réalisateur trop complaisant, outre l'imagerie trop religieuse de la fin, c'est dans sa présentation du peuple, composé de gens extrêmement laids et vulgaires, qui jouent sur le lit royal comme des enfants, font une critique peu subtile du couple souverain au théâtre, et poussent le vice à agacer l'oreille en criant pendant cinq minutes sans interruption (!!!): "Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain! Du pain!" C'est si entêtant que la phrase me hante encore deux mois après! Mais, c'est bien là que le bât blesse, et que je comprends pourquoi le film est finalement problématique, car la comparaison entre un peuple exclusivement grossier et une reine trop digne et trop pure est effectivement gênante, même si le détail révèle malgré tout d'indéniables imperfections chez l'héroïne.

Pour le reste, comme le film se consacre essentiellement à la romance avec le bellâtre suédois, ça finit par patiner ça et là, mais ça n'ennuie jamais. De toute façon, l'ensemble se tire généralement vers le haut, du point de vue de la dramaturgie, par rapport à l'introduction assez désastreuse où l'on se croirait dans du pur théâtre de boulevard, entre la du Barry qui court comme une comédienne de burlesque pour chercher un médecin, et le roi qui n'a rien de mieux à faire que se transformer en magazine féminin ambulant à trois heures du matin, afin d'inciter son petit-fils à se déniaiser enfin avec sa femme! Sachant que l'épouse en question est justement en train de faire la fête, le ridicule de la situation en devient pathétique... On sent mieux le côté solennel, plus en accord avec le milieu social représenté, une fois passées ces premières minutes embarrassantes, mais c'est aussi que le texte devient nettement meilleur, en enchaînant les mots d'esprit comme il se doit dans une cour du XVIIIe siècle. La périphrase qu'emploie la reine pour annoncer qu'elle est enceinte, en disant à son mari qu'elle a "à se plaindre d'un sujet qui lui donne des coups de pied dans le ventre", est notamment bien trouvée.

La distinction naturelle de Michèle Morgan, et sa beauté imposante, servent finalement bien ce rôle taillé sur mesure pour elle. On jettera simplement un voile pudique sur l'ouverture au bal, où sa voix de gamine sonne faux ("Bas les pattes!"), mais le reste de la performance fonctionne. Comme je le disais, la scène à Trianon est charmante comme tout, lorsqu'elle s'amuse à imiter la voix et l'accent de son beau Suédois, un sourire ravageur aux lèvres, et d'une façon générale, la comédienne pétille dans le registre de la légèreté. Elle traverse les antichambres avec désinvolture et trouve le temps d'influencer la politique de Louis XVI pour "faire plaisir à Maman!", elle chantonne devant les gardes en rentrant du bal à l'aube, et elle ne manque évidemment pas de draguer allègrement le bellâtre en uniforme sur qui elle a jeté son dévolu, lui souriant au vu et au su de tous en plein passage en revue. Le registre dramatique n'est, de son côté, pas mal joué du tout, mais l'actrice y est un peu moins à l'aise. Quand elle pleure le départ de son amant, elle se cache le visage dans les mains d'une façon un peu trop théâtrale, tandis que l'arrivée des drames la voit rester toujours très digne, bien que le maquillage et les cheveux courts fassent la moitié de la composition dans ces moments. Là où le portrait devient le plus intéressant, c'est dans les passages où la reine, encore frivole, se comporte comme une adulte digne de ce nom, réagissant en secret aux calomnies qui la touchent de toutes parts, et nouant avec son mari une franche complicité, puisqu'elle ne lui ment jamais sur ses sentiments envers un autre. On sent d'ailleurs la reine beaucoup plus forte que le roi, mais le scénario joue clairement en sa faveur, en présentant un Louis XVI traditionnellement mou bien que Jacques Morel le rende véritablement humain malgré la caricature.

En définitive, le film est loin d'être déplaisant, on passe un bon moment en compagnie de jolis costumes et d'images ravissantes, et Michèle Morgan donne une interprétation charmante de la reine, dont l'effet croît davantage avec le recul. J'ai néanmoins toujours eu un faible pour les héroïnes légères quand elles savent devenir adultes après des accès de puérilité (coucou Scarlett!), aussi le pétillant me charme-t-il ici. Norma Shearer donne cependant une performance nettement supérieure à tous niveaux, en particulier dans le drame où elle se révèle franchement tragique et nuancée, là où Michèle Morgan ne reste que très digne, toujours un peu en surface. Je ne nommerai donc pas l'actrice pour ce rôle dans ma liste de prix, mais vraiment, les passages légers de Trianon m'amusent au plus haut point. A leur image, l'expérience est somme toute agréable, mais un scénario trop linéaire, une romance sans saveur particulière, une introduction calamiteuse et une complaisance effectivement gênante par moments me conforte dans l'idée qu'on restera sur un 6/10. C'est une note très correcte, mais on pouvait clairement faire mieux.

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