dimanche 27 novembre 2016

Crimson Peak (2015)


Egalement découvert cette semaine, voici Crimson Peak, un film d'horreur gothique de Guillermo del Toro principalement célébré pour deux raisons: la décoration grandiose d'Allerdale Hall par Tom Sanders, qui avait déjà travaillé sur Dracula jadis, et la performance de Jessica Chastain en châtelaine obscure. N'ayant jamais vu El laberinto del fauno, grand succès de 2006, Crimson Peak était l'occasion de faire d'une pierre deux coups: découvrir l'univers d'un réalisateur loué dans bien des cercles, et observer la tournure de la carrière de dame Châtaigne, qui m'intéressait beaucoup il y a quatre ans mais que j'ai fini par délaisser quelque peu, craignant qu'elle ne surpasse jamais son exploit dans Zero Dark Thirty. Qu'en est-il concrètement?

Pour être honnête, je ne suis pas fan du film. Visuellement, c'est un sommet de laideur ahurissant: la photographie parcourt une palette de couleurs agressives allant du jaunâtre délavé pour les scènes d'extérieurs à un bleu-verdâtre médiocre pour l'intérieur du manoir, en passant par un rouge tomate ridicule pour toutes les scènes sanglantes; tandis que les effets spéciaux sont trop galvaudés pour séduire, avec ces multiples fantômes rougeâtres qui s'amusent à ouvrir des portes toutes les cinq minutes. En fait, comme le manoir est lui-même un étang de fantastique, on n'est jamais surpris d'y croiser quelques fantômes en décomposition, de quoi me faire penser que trop d'effets tuent l'angoisse ou le suspense. Par exemple, même si j'abomine l'histoire, je trouve un film comme The Shining beaucoup plus terrifiant, parce que tout se passe dans des lieux bien solides que l'on pourrait arpenter en vrai. Mais dans Crimson Peak, même les séquences réelles du premier acte, dans un New York à l'aube du XXe siècle, ont déjà un air incroyablement fantastique: les bureaux et salles de bal sont déjà trop jaunâtres pour être honnêtes, la pluie est elle aussi un mélange de bleu-vert désagréable, et le cimetière semble tout droit sorti d'un film de Tim Burton. Du coup, on est projeté dès les premières secondes dans l'irréel le plus pur, de telle sorte qu'il m'est impossible de trembler pour l'héroïne, car rien n'est rattaché à une once de réalité. La décoration va encore en ce sens, puisque certaines salles d'Allerdale Hall ressemblent davantage à un vaisseau de science-fiction, avec de grands cercles dentelés de pics, si bien que seul le grand escalier et ses tableaux pour le coup réalistes parviennent à m'impressionner. En comparant avec quelques images connues du Labyrinthe, on comprend néanmoins que ce gothique-fantastique est la marque de fabrique du réalisateur: on ne peut alors lui reprocher d'être fidèle à son style, mais ça ne provoque hélas aucune réaction en moi.

Contre toute attente, les costumes me plaisent vraiment en retour, à commencer par le chapeau blanc de l'héroïne enfant, qui se détache sur les tenues de deuil lors de l'enterrement et dont l'effet est proprement saisissant; sachant que les robes du soir, les chapeaux à voiles, les ombrelles jaunes, les cols fleuris d'oranges sur tissu vert ou encore les robes de chambre vampiriques sont autant de créations fascinantes qui servent et colorent l'histoire sans la submerger par d'inutiles effets. Dommage que l'histoire, précisément, soit convenue jusqu'à l'ennui, d'où peut-être mon désintérêt d'autant plus prononcé pour la forme. En effet, on suit le schéma traditionnel des romans gothiques où une jeune femme se retrouve enfermée dans un manoir angoissant, et l'on comprend très vite qu'elle devra lutter contre des tentatives de meurtre, et que les fantômes ne sont probablement pas les véritables monstres de l'histoire. Pour tout dire, le suspense est tué dans l’œuf car le tout premier plan du film montre la jeune Edith ensanglantée après avoir vaincu ses ennemis dans la neige, alors même s'il n'est pas inintéressant de suivre les événements qui l'ont conduite à cette victoire, il est quand même bien dommage de révéler immédiatement le dénouement. D'ailleurs, aucune des zones d'ombres censées nous intriguer dans le scénario ne résiste à la clairvoyance des spectateurs: on se doute déjà fortement de l'identité de l'assassin du père, l'insistance de Thomas Sharpe pour passer une bague au doigt de l'héritière laisse entendre très vite qu'on se retrouvera dans une intrigue de type "Barbe-Bleue", la relation trouble du frère et de sa grande sœur est devinée dès l'introduction de Lucille au bal, et pour couronner le tout, il est impossible de craindre le moindre fantôme puisque c'est précisément un spectre d'allure repoussante qui donne des conseils à l'héroïne au départ!

On appréciera en revanche le grand duel final où les archétypes du méchant repenti et de l'ancien amant fidèle venu sauver l'héroïne sont rapidement écartés par les deux femmes, qui s'affrontent seules et se révèlent nettement plus fortes que tous les spécimens masculins réunis. Hélas, cette fin grandiose ne suffit pas à effacer les traces d'un scénario sans mystères car trop commun, ni même le souvenir d'une scène de défloration particulièrement ridicule, images érotiques japonaises à l'appui. Par bonheur, ces rôles féminins forts donnent l'occasion aux actrices de donner de bonnes performances, bien que Mia Wasikowska ne fasse pas le poids comparée à sa rivale maléfique. Le grand problème de l'actrice, c'est qu'elle est affublée d'un physique insipide de blonde insignifiante, ce qui joue en sa défaveur dans un métier basé sur l'image, quoiqu'elle parvienne toujours à contourner ce défaut en donnant à ses personnages une force de caractère bien réelle. C'est le cas ici: elle présente une Edith capable de dire les choses en face, quitte à s'autoriser quelques petites piques envers les dames hypocrites de la haute société new-yorkaise, et elle ne laisse jamais son statut de victime l'envahir pour mieux faire preuve de courage et d'intrépidité. On a donc très envie de la voir se sortir d'une situation difficile malgré l'absence flagrante de suspense, et elle laisse finalement sa marque dans l'histoire. Pourtant, elle n'est jamais loin de se faire voler la vedette par la superbe Jessica Chastain, effectivement jubilatoire en châtelaine dépressive, incestueuse, et complètement givrée, pour qui le crime passionnel constitue le principal moteur. C'est vraiment une bonne performance parce qu'elle suggère toute sa rancœur et sa méfiance dès le départ sans quasiment rien faire, avant que son charisme et ses sourires en coin ne lui permettent de dominer le reste de la distribution, et ce jusqu'à une conclusion délirante où elle crache enfin son venin, et ce tout en étant fabuleusement divertissante par son jeu de plus en plus expansif, avec en prime de véritables nuances par lesquelles on ressent la peine qui la ronge depuis son enfance.

Pour le reste, Tom Hiddleston est franchement peu mémorable en méchant soumis, de quoi laisser à dame Châtaigne une marge de manœuvre d'autant plus grande pour éclipser les autres acteurs. En somme, Crimson Peak ne brille nullement par son histoire sans peurs et sans mystères, ni par ses effets visuels déconnectés de toute forme de réalité - alors que le texte tente justement, et maladroitement, de donner un certain réalisme au propos à travers des questions de lois et d'héritages - si bien qu'on est finalement peu remué par une expérience qui se voulait singulière. C'est en fait un peu à l'image du toit troué d'Allerdale Hall: on y observe de bonnes choses par endroits, mais une structure plus affinée n'aurait pas été superflue. La sauce tomate qui coule des murs et supposée représenter l'argile ensanglanté des lieux n'aide pas à rendre le tout réellement effrayant, bien au contraire, mais de jolis costumes et une performance fort distrayante de Jessica Chastain sont par bonheur d'indéniables atouts. J'hésite entre 5 et 6: venant tout juste de découvrir le film, j'ai encore envie d'être indulgent, mais je sens que l'effet de nouveauté passé, je risque d'y prendre encore moins de plaisir.

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