jeudi 18 août 2016

Cluny Brown (1946)


Aujourd'hui, parlons de Cluny Brown, qui n'a de religieux que le prénom bien qu'elle serve chez une famille nommée Carmel. Ce film est surtout connu pour être l'avant-dernière œuvre d'Ernst Lubitsch, et la dernière à être sortie de son vivant. Le résultat est plaisant, mais on est loin de Shop et Ninotchka.

Ce qui déçoit légèrement, c'est que l'histoire n'a pas vraiment d'enjeux. On nous met l'eau à la bouche en nous présentant une jeune plombière venue réparer des éviers, et l'on s'imagine alors que ce métier peu orthodoxe pour une fille très bien habillée sera la cause de quiproquos en tous genres. Hélas, une fois l'introduction passée, l'intrigue préfère s'enfermer dans un manoir anglais dans lequel Cluny perd toute originalité: elle se transforme en banale domestique afin de faire plaisir à son oncle qui veut la voir apprendre les bonnes manières, et le seul mouvement reste de savoir si le pique-assiette qui s'est incrusté dans le château saura l'arracher aux griffes d'un pharmacien insipide dont elle semble s'éprendre. Ça se suit sans déplaisir, mais c'est un peu trop fin pour tenir 1h40. Les intrigues secondaires, qui auraient pu combler les faiblesses de la trame principale, sont quant à elles cruellement plates et n'apportent donc pas grand chose à l'affaire, entre le mystère entourant Charles Boyer qui tente apparemment d'échapper à des nazis, et les démêlés sentimentaux des enfants de bonne famille. A vrai dire, la galerie de grands acteurs dans les rôles secondaires n'a quasiment rien à se mettre sous la dent (C. Aubrey Smith, Sara Allgood, Una O'Connor), à part se racler la gorge pour la dernière, ce qui renforce l'impression de vide causée par la passion tumultueuse de Cluny pour le pharmacien.

Par contre, le film regorge de bonnes scènes assez drôles qui relèvent le goût de cette histoire assez fade. Heureusement que Lubitsch était aux commandes! L'introduction est notamment fort osée: Cluny se déshabille, collants compris, avant de se mettre à la tâche, sous les yeux ahuris de grands mondains qui n'arrivent pas à cacher totalement leur plaisir. "I can't thank you enough, Mr. Ames", dit ainsi Cluny à son client pour le remercier de lui laisser une chance de travailler à sa passion pour la tuyauterie; "Oh, not at all!" répond alors le client à mesure que la plombière enlève sa veste sans honte aucune avant de se mettre à visser des canalisations. Plus tard, lorsque Cluny se retrouve en état d'ébriété suite au cocktail qu'on lui offre après son labeur, et qu'elle se met à miauler sur le canapé sans aucune gêne, ledit Ames s'en va aussitôt fermer ses rideaux... Bref, toutes ces scènes piquantes permettent de passer l'éponge sur le vilain calembour de départ entre "sink" et "stink". Une fois au manoir, le ton est sensiblement moins libre, mais la drôlerie n'en est pas moins au rendez-vous, en particulier lorsque Cluny se fait servir le thé par ses patrons... qui ignorent qu'elle est leur nouvelle femme de chambre! A ce moment là, l'héroïne n'a d'ailleurs rien perdu de sa liberté d'esprit, puisqu'elle leur dit sans vergogne: "You're so much nicer than I expected. In fact I didn't think you would be nice at all!" Néanmoins, on retombe très vite dans le registre de la farce quand Cluny fait tomber son plateau d'étonnement devant tous les invités, ou lorsque Charles Boyer joue au gendarme pour moutons dans les rues du village. Le point fort de la Lubitsch touch, qui a quand même perdu de sa saveur au fil des ans, reste probablement la conclusion derrière la vitrine new-yorkaise, où l'on comprend tout ce que disent les personnages par pantomime.

Donc, Cluny Brown a tout de même de nombreux atouts à son actif, malgré une histoire assez creuse. Cependant, ce nouveau visionnage m'a rappelé à quel point Jennifer Jones était mauvaise dans le rôle, malgré le bon souvenir que je gardais de sa performance. Disons qu'au niveau du charme et de la spontanéité, ça fonctionne parfaitement, mais sa scène d'ivresse dans l'introduction est hélas du niveau d'Audrey Hepburn dans Tiffany's; et ses larmes dans le jardin ne sont guère plus crédibles. A vrai dire, même pour énoncer quelque chose d'aussi banal que: "It's my day off, from 3 to 7", Jennifer ne peut s'empêcher de faire la grimace. Le fait que Charles Boyer et les intrigues secondaires prennent le pas sur son devenir dans le second acte n'aide pas à redorer le blason de sa performance, mais la légèreté est tout de même là, et ça colle bien au propos. Charles Boyer est de son côté égal à lui-même en séducteur européen suave et amusant, mais il n'y a pas vraiment d'alchimie entre lui et sa partenaire. Pour le reste, les seconds rôles sont comme je le disais assez mal exploités, Helen Walker n'a pas encore le charisme dont elle fera preuve l'année suivante dans Nightmare Alley, et Richard Haydn n'est pas particulièrement drôle dans le rôle du pharmacien guindé.

Ainsi, Cluny Brown est aussi plaisant que dérisoire. C'est un Lubitsch ultra mineur qui ne se départ pourtant pas d'une certaine créativité, et les jolis décors de manoir et village anglais donnent un certain lustre à l'ambiance recherchée, malgré un scénario totalement futile. Je suppose que ça mérite un bon 6/10.

2 commentaires:

  1. Ah ! Nous ne sommes pas d'accord ! J'ai pour ma part adoré ce film, dans lequel j'ai perçu un humour très fin (Lubitsch...), très second degré, avec des acteurs au sommet. Le scénario n'a rien de génial, mais ce n'est pas ce qui compte le plus pour moi, surtout qu'il est prétexte à des scènes très drôles ! Charles Boyer m'a énormément plu, pour moi une de ses meilleures perfs, puisque pour une fois son accent français lui sert et accentue son effet comique. Jennifer Jones était aussi amusante et à son aise dans son rôle de naïve.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comme précisé, j'y vois plein de bonnes scènes amusantes, mais je ne ris pas autant que pour quasiment tous les autres Lubitsch, en particulier les musicaux et Ninotchka. J'avais visiblement mieux aimé Cluny Brown la première fois, mais la séquence de plomberie et la partie de thé avec les patrons restent des moments d'anthologie. Autrement, j'aime beaucoup Charles Boyer en général, mais je le préfère vraiment dans Conquest, Love Affair, et surtout Gaslight et Hold Back the Dawn. Dans des performances pas spécialement drôles en fait!

      Supprimer